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Budget 2021 : les Français attendent une reprise en main de l’économie par l’Etat

J’ai fait un rêve.

Pas un cauchemar, un rêve. La crise frappait le monde, notre pays – ça, c’était la réalité. Un gouvernement très libéral avait très mal géré la première vague ; un nouveau gouvernement venait d’être nommé. Et là, coup de tonnerre dans un ciel serein : le nouveau premier ministre prenait les affaires en main, réorientait complètement les centaines de milliards d’euros d’argent public mobilisés face à la crise, appelait à la mobilisation de toute la nation, y compris des plus riches, énonçant une priorité claire : « Ce n’est pas aux Français de payer cette double crise sanitaire et économique : nous serons à leurs côtés. »

Bref, un changement radical ! Dans mon rêve, une chaîne publique d’information rendait compte du discours du ministre de l’économie et des finances – qui n’était pas vous, monsieur Dussopt – sur son plan de relance. Pour la première fois depuis longtemps, je n’entendais à la radio que de bonnes nouvelles. Imaginez le changement : enfin des ondes positives, des raisons d’avoir confiance, de l’espoir ! Enfin, on se sentait protégé pour de bon ! Imaginez, écoutez ce changement de politique qui me réchauffe encore le cœur.

À l’hôpital, tout d’abord, ce nouveau gouvernement allait enfin créer 10 000 lits, rouvrir les services des urgences fermés au cours des deux dernières années ; il décidait aussi de tripler le nombre de lits de réanimation.

Tous les élèves infirmiers de troisième année étaient embauchés, affectés dans les hôpitaux et les EHPAD. Les salaires des personnels de santé augmentaient de 300 euros, comme ils le réclament depuis des années. À la suite de l’adoption, quelques semaines plus tôt, d’une proposition de loi des députés communistes, chaque pharmacie délivrait gratuitement des masques sur présentation de la carte Vitale.

Cerise sur le gâteau, les Parisiens apprenaient la réouverture de l’hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce, fermé depuis 2016, ce qui permettrait de désengorger les services des urgences d’Île-de-France. Quel soulagement ! Quel changement !

Dans ce rêve, le gouvernement du changement décidait de donner des moyens à l’école, face aux milliers d’élèves déscolarisés depuis mars dernier. Dans chaque département, des bataillons d’hommes et de femmes étaient mobilisés pour renforcer le soutien scolaire et faire respecter les règles sanitaires. Un gouvernement venait enfin de décider de ne laisser aucun enfant en marge du système scolaire.

Cela allait même plus loin : voilà que les informations annonçaient un revirement total en matière industrielle et de souveraineté. On ne parlait plus de plan de relance, mais de conquête industrielle. Incroyable mais vrai, enfin un gouvernement décidait de mobiliser tous les moyens pour que le pays retrouve pleinement sa souveraineté économique, avec un plan de reconquête industrielle capable non seulement de répondre à nos besoins, mais aussi de préparer l’avenir en préservant la planète et les ressources naturelles ! Des milliers d’emplois allaient être créés. Des bureaux d’embauche et de formation allaient s’ouvrir dans les grandes villes pour répondre aux besoins des services publics, des associations et des entreprises. Chaque jeune, sorti de l’école, allait trouver un travail correctement rémunéré. Quelle rupture avec le monde d’avant !

Alors que les Français et les salariés avaient peur, jusque-là, de perdre leur emploi, voilà que ce premier ministre de rêve annonçait que personne ne resterait sur le carreau et que la nation tout entière était solidaire, pour de vrai. Écoutez ça : ce gouvernement décidait d’instaurer un système tout à fait révolutionnaire, innovant, garantissant à chacun un emploi ou une formation sans perte de salaire. C’était une première dans toute l’Europe ! Sur la même base que la création de la sécurité sociale en 1945, l’État et les employeurs se mettaient autour de la table et se mobilisaient pour sécuriser les parcours professionnels, depuis l’école jusqu’à la retraite, avec un vrai salaire permettant à chacun de vivre dignement, avec un travail, des périodes de formation ouvrant droit à des qualifications nouvelles dans la même filière ou pas, ouvrant droit, aussi, à la mobilité, mais toujours dans la sécurité.

Parallèlement, l’État revalorisait le SMIC, bien sûr, et réduisait le temps de travail, avec un objectif simple que tout le monde comprend : qu’on travaille moins, qu’on travaille tous, et qu’on travaille mieux. Vous imaginez le changement de société !

Ce n’est pas fini : dans cette logique de reconquête, l’État décidait aussi de mobiliser les grands groupes dont il est actionnaire, et d’entrer au capital d’autres groupes pour élaborer de nouvelles stratégies visant à relocaliser les productions, à ouvrir des usines et à créer des emplois. Renault, Airbus, Sanofi, Alstom, Air France, Safran et Thales étaient mobilisés, mais aussi Nokia, General Electric et Vallourec. Chez Bridgestone Béthune, l’État empêchait les licenciements annoncés et la fermeture de l’usine. L’État stratège allait enfin mettre fin aux diktats des conseils d’administration qui s’amusent à placer les salariés français en concurrence avec ceux de l’Union européenne. Imaginez le soulagement pour les salariés ! Pour ceux de Béthune, le cauchemar prenait fin. Pour tous ces hommes et ces femmes, finies les angoisses du chômage, des prêts à rembourser, des études des enfants à payer.

Dans la foulée de ces belles annonces, un pôle public du médicament était créé, avec Sanofi bien sûr, garantissant l’approvisionnement en médicaments et protégeant des sites menacés comme Famar Lyon, Luxfer ou encore le laboratoire LFB.

Dans ce rêve, les bonnes nouvelles ne s’arrêtaient pas là. Écoutez celle-ci, monsieur le ministre délégué : j’apprends que ce nouveau gouvernement avait enfin décidé de s’attaquer vraiment aux paradis fiscaux, et qu’il venait de nommer Éric Bocquet, sénateur communiste incorruptible devant l’éternel et la finance, nouveau ministre pour la lutte contre l’évasion fiscale. Cette décision inédite dans l’histoire de la Ve République intervenait après un nouveau scandale : un fonds de pension américain, le groupe Apollo, propriétaire de nombreuses entreprises dont le groupe Verallia, producteur de verre, aurait transféré 0,5 milliard d’euros aux îles Caïmans via le Luxembourg fin décembre de l’année dernière. Je vous ai saisi de ce dossier, monsieur le ministre délégué ! Je rappelle que ce groupe a annoncé 198 licenciements, la fermeture d’un four à Cognac et, en même temps, le versement de 100 millions d’euros de dividendes aux actionnaires. Voyez-vous, dans mon rêve, les salariés étaient enfin respectés, et l’État aussi. Enfin, un gouvernement écoutait les salariés et interdisait les plans de sauvegarde de l’emploi ! Désormais, tout transfert de fonds vers les paradis fiscaux était interdit. Quelle rupture avec l’ancien monde !

Concernant la transition écologique, ce gouvernement de rêve passait enfin aux actes, avec des objectifs clairs et ambitieux, et des dizaines de milliers d’emplois à la clé. Un plan de formation et de recrutement était lancé pour atteindre le bon rythme de rénovation thermique des logements, c’est-à-dire 700 000 logements par an jusqu’en 2040. C’est ça, l’objectif !

Dans l’énergie, l’eau et le traitement des déchets, l’État reprenait la main, après le camouflet imposé par Engie. S’appuyant sur ses fleurons industriels, il décidait de créer un grand pôle public autour d’Engie, du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives – CEA –, d’EDF et de Suez, plutôt que de laisser ces entreprises passer sous capitaux privés.

Il s’attaquait aux modes de production pour relocaliser le travail et pour arrêter d’exploiter les hommes et les ressources naturelles. L’agriculture et les modes de transport doux allaient enfin bénéficier d’un vrai soutien. Les transports allaient même devenir gratuits dans les agglomérations !

Pour finir – et c’est là un tournant par rapport à ces dernières années –, l’État allait supprimer toutes les exonérations d’impôts en faveur des plus riches, et mettre enfin ces derniers à contribution, tout simplement. Finis les cadeaux aux premiers de cordée, au 0,1 % des plus riches qui s’étaient enrichis ces derniers mois et ces dernières années. Les gros allaient enfin payer gros, et les petits allaient payer petit !

Vous imaginez que je n’en croyais pas mes oreilles, au point que je me suis dit : « Ce n’est pas possible, je rêve, c’est le socialisme à la française ! »

Effectivement, je rêvais, mais je tenais, à travers ce rêve, à vous faire part de ce que nous ferions, nous les communistes, dans la situation présente. Il y a urgence à rompre avec vos choix au service de la finance. Non seulement il n’y a ni rupture ni remise en cause dans votre budget, mais au contraire, on y retrouve tous les ingrédients d’une politique toujours davantage au service des plus riches. Pourquoi poursuivez-vous cette trajectoire néfaste de cadeaux faits aux plus riches, aux grandes entreprises, creusant chaque année un peu plus les déficits du budget de l’État ? Que les TPE et les PME soient aidées, que nous financions du chômage partiel, d’accord – et encore, il faudrait en faire plus pour les TPE et PME, les libérer des charges financières et compenser à 100 % leurs pertes de chiffre d’affaires.

Mais pourquoi maintenir tous ces allégements d’impôts pour des multinationales qui ont accumulé tant de richesses ces dernières années ? En plus, vous ne leur demandez rien en retour – zéro ! Vous décidez, encore une fois, de maintenir le cadeau de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et le cadeau de la flat tax, et vous refusez de taxer leurs bénéfices à la source pour éviter l’évasion fiscale, comme nous le proposons.

Cette année, vous poursuivez la baisse du taux d’imposition sur les bénéfices des multinationales et des grandes entreprises ; c’est toujours la même trajectoire ! Et là, vous ajoutez à votre tableau de chasse la baisse des impôts dits de production. Dites la vérité – votre gouvernement nous a envoyé les chiffres ce matin : sur les 10 milliards d’euros de cadeau fiscal supplémentaires par an, 6,6 milliards seront captés par les plus grandes boîtes.

Encore une fois, les petites boîtes, qui devraient être les plus aidées, n’auront que les miettes ! Sans parler des communes et des agglomérations qui perdent ces recettes, et que vous placez encore plus sous tutelle.

Contrairement à vos discours sur l’importance des territoires, vous continuez à les priver d’autonomie. Cette année, en raison de la pandémie, les collectivités – dont les communes – devraient enregistrer des pertes financières de l’ordre de 7,2 milliards, compensées à hauteur de 4,2 milliards seulement. Vous prévoyez de baisser la dotation globale de fonctionnement, en refusant d’y intégrer les effets de l’inflation et de l’augmentation des populations. Notre pays a pourtant un impérieux besoin des communes, premier levier de l’investissement public, pour participer pleinement au plan de relance. Ce n’est pas le moment de leur couper les ailes !

Enfin, selon de nombreuses associations humanitaires et caritatives, la pandémie a fait basculer 1 million de Françaises et de Français dans la pauvreté. Ces derniers mois, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a augmenté d’environ 30 %, voire de 45 % dans certains départements. Monsieur le ministre délégué, la France est riche, très riche, mais la pauvreté explose, et votre plan de relance n’apporte pas de réponses. Pire, il risque d’aggraver encore les inégalités. Nos concitoyens vivent dans la peur d’un licenciement, ou dans la honte de ne plus pouvoir faire face aux dépenses courantes : 10 millions de Français sont en situation de pauvreté. Ils préfèrent remplir leur frigo plutôt que d’acheter des masques, et ils portent parfois le même masque chirurgical plusieurs jours. Ferons-nous reculer la pandémie ainsi ? Non. Pour cette raison, l’épidémie frappe davantage les quartiers pauvres que les quartiers riches – et ça, ce n’est pas une fatalité, c’est le résultat de choix politiques injustes !

De plus, en annonçant une hausse de 800 000 chômeurs d’ici à la fin de l’année – comme si c’était signé ! –, vous donnez en quelque sorte un permis de licencier en masse. Je vous assure : c’est le message qui passe ! Comment voulez-vous que des groupes comme Bridgestone l’interprètent, monsieur le ministre ? Ils se lâchent ! Vous pouvez pousser des grands cris d’indignation, dénoncer les actionnaires, dire « c’est inacceptable » à Bridgestone, General Electric, Ford et Verallia, mais vous ne faites peur à personne avec vos mots ; ils se moquent de vous. Si vous n’êtes pas capable d’empêcher les délocalisations annoncées, avec la cohorte de camions qui importeront demain ces mêmes produits dans notre pays, à quoi servez-vous ? À quoi sert votre plan de relance ? J’aimerais tellement que vous annonciez ici, monsieur le ministre, que l’État empêchera la fermeture de Bridgestone Béthune ! C’est une saignée insupportable pour l’emploi, pour le climat, mais aussi pour l’État qui perd des recettes fiscales. Allez-vous prendre en compte ce coût pour la nation ? Cessez de leur donner des milliards d’euros d’argent public, sans exiger la moindre contrepartie ! Cet argent public, c’est l’argent des Français, c’est le nôtre, c’est notre argent ; à nous de dire à quoi il doit servir ! Dans chaque région, il devrait y avoir des comités spéciaux pour bien vérifier son utilisation et s’assurer qu’il sert l’emploi et les services publics, et qu’il répond aux urgences.

D’ailleurs, vous saurez nous dire que c’est notre argent, monsieur le ministre, quand il faudra le rembourser au titre de la dette ! En attendant, non seulement nous n’avons pas la main sur les 570 milliards d’euros d’argent public mis sur la table, mais en plus, nous devrions accepter de voir passer les trains de licenciements. Eh bien non !

Les Français attendent autre chose de leur gouvernement. Ils veulent des actes, une stratégie, une fermeté de l’État pour reprendre la main sur l’économie. Et ça, ce n’est pas un rêve, c’est un espoir qui se lève !

Dans sa dernière encyclique, le pape François rappelle avec justesse que « la politique ne doit pas se soumettre à l’économie », mais se fonder sur un amour préférentiel pour les plus faibles. Votre projet de budget suit une pente inverse. Les députés communistes feront tout – tout ! –, pendant ce débat, pour bâtir un budget au service de l’être humain, de nos concitoyens, de la lutte contre la pauvreté et de la transition écologique. Faute d’y parvenir, ils voteront contre votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et SOC.)

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Fabien
Roussel

Député du Nord (20ème circonscription)

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