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Discussions générales

Organisation du service et information des passagers dans les entreprises de transport aérien

M. le président. La parole est à M. Pierre Gosnat.
M. Pierre Gosnat. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, cette proposition de loi vise à instaurer l’obligation de déclaration individuelle de grève pour les salariés du secteur des transports aériens. Elle appelle une opposition totale de notre part.
Les syndicats et les salariés du secteur sont en état d’alerte. Avec eux, les députés communistes, républicains et du parti de gauche considèrent que ce texte est une nouvelle entaille, extrêmement grave, dans le droit de grève.
Tout d’abord, pourquoi une telle loi, et pourquoi maintenant ?
À l’évidence, les motifs de l’UMP sont électoralistes, même s’ils s’inscrivent dans une démarche permanente contre le droit de grève. Son objectif est de jeter le discrédit sur les salariés qui défendent leurs droits et d’opposer les voyageurs aux personnels du transport aérien, qu’ils soient au sol ou dans les airs.
Existe-t-il aujourd’hui une difficulté particulière pour anticiper un mouvement de grève sur les lignes aériennes ? En aucun cas. En effet, un certain nombre de professions sont déjà tenues de déposer un préavis avant toute mobilisation – agents de sûreté, contrôleurs aériens, salariés d’Aéroports de Paris etc. –, ce qui permet de prévoir les conflits. Les hiérarchies n’ont donc aucune difficulté à anticiper ces mobilisations.
Le dialogue social est-il impossible aujourd’hui dans le secteur du transport aérien ? Nullement. Des négociations de branche ont lieu régulièrement, les rencontres entre organisations représentatives des salariés et patronat figurent déjà dans le code du travail. Certaines sont d’ores et déjà à l’ordre du jour, notamment pour discuter de ce projet de loi. Si vous considérez qu’il y a trop de mouvements sociaux, et notamment de grèves, peut-être devriez-vous vous interroger sur l’intransigeance de certains chefs d’entreprise. Il est donc parfaitement superfétatoire d’instaurer ce dispositif. Il s’agit là d’un prétexte, avancé pour masquer la finalité réelle de la réforme : empêcher les salariés de faire grève. Qui est dupe de la manœuvre ?
Votre proposition de loi prétend d’ailleurs s’inscrire dans le cadre de l’objectif constitutionnel de « sauvegarde de l’ordre public ». Comment pouvez-vous affirmer que les mouvements sociaux des personnels navigants et autres entraînent des troubles à l’ordre public ? Chacun sait que ce n’est pas le cas, à moins de considérer que la grève en soi pourrait nuire à l’ordre public, et c’est bien cela qui est antirépublicain dans votre position.
J’ajoute que l’observatoire des retards du transport aérien, dans ses publications annuelles, a établi que 50 % des avions accusent un retard supérieur à 15 minutes. Or, dans l’écrasante majorité des cas, ce sont des « problèmes structurels », d’ordre technique, qui sont à l’origine de ces dysfonctionnements. Et là aussi, on retrouve des voyageurs entassés dans les halls des aéroports.
M. Lionnel Luca. Très drôle !
M. Pierre Gosnat. Cela n’a rien de drôle !
M. Lionnel Luca. Oh si !
M. Jean Mallot. Le cynisme de M. Luca est sans limite !
M. Pierre Gosnat. De tels dysfonctionnements ne proviennent pas de mouvements sociaux, mais bien de la dégradation du service, et de l’enchevêtrement généré par la jungle de la concurrence « libre et non faussée » – du libéralisme économique, en quelque sorte.
Les retards, les blocages et le manque d’information des voyageurs que vous diagnostiquez devraient vous conduire, non pas à accuser les salariés, mais à faire le procès des privatisations et à prendre de véritables mesures pour améliorer cette information. Il est donc particulièrement malvenu d’attaquer comme vous le faites les travailleurs du transport aérien.
Cette proposition de loi repose sur l’instauration d’un accord-cadre aux termes duquel l’exercice du droit de grève ne pourra intervenir qu’après négociation préalable entre l’employeur et les syndicats. C’est en cas d’échec de ces négociations qu’interviendra l’autodéclaration individuelle de grève, quarante-huit heures à l’avance.
J’ai déjà souligné que ce double mécanisme était inutile puisque aucun problème de prévisibilité des conflits ne se pose à l’heure actuelle et que rien ne confirme une hypothétique impossibilité du dialogue social, impossibilité qui sera bien plutôt la conséquence de l’adoption de ce texte.
Cette proposition appelle également plusieurs autres commentaires, et d’abord sur la déclaration individuelle de grève. Les organisations syndicales sont très inquiètes, car elles estiment dans leur majorité – et il faut en tenir compte – que l’obligation de se déclarer individuellement comme gréviste vise en réalité à empêcher tout mouvement de grève futur. Vous le savez, les salariés des entreprises du secteur aérien sont soumis à une forte précarité et à des pressions énormes des employeurs. Le recours massif aux contrats précaires et à la sous-traitance se conjugue avec des plans sociaux qui interviennent de plus en plus fréquemment – Air France en apporte malheureusement l’illustration. Sachez aussi que, tout récemment, la compagnie française Air Méditerranée a délocalisé les contrats de travail de ses personnels en Grèce. De cette façon, ses salariés sont moins protégés, alors même que les avions décollent de Roissy ! Dans ce contexte de contrainte extrême des salariés, croyez-vous que quiconque osera facilement se déclarer en grève de façon individuelle ?
Il faut préciser que le mécanisme proposé ne garantit en rien la confidentialité de la déclaration – les propos que nous avons entendus tout à l’heure à ce sujet constituent une véritable aberration –, pour la bonne et simple raison que les services de comptabilité des entreprises doivent connaître l’identité des salariés en grève afin d’effectuer les retenues sur salaire. Les difficultés économiques actuelles sont d’ailleurs suffisamment dissuasives, car peu nombreux sont les salariés qui peuvent diminuer leur salaire dans la période de crise que nous connaissons. On sait qu’ils gagnent 1 000, 1 200, 1 300 euros par mois.
Quelle peut être la justification d’une entaille aussi exorbitante dans le droit de grève ? Vous avez instrumentalisé le principe de continuité du service public pour restreindre le droit de grève dans l’éducation et les transports terrestres en instaurant le service minimum, lui-même en rupture avec le droit fondamental à la grève. Cette manœuvre ne peut s’appliquer en ce qui concerne l’aérien. En effet, les entreprises concernées sont des entreprises privées, les contrats des salariés sont des contrats de droit privé. Le principe de continuité du service public ne peut donc être invoqué. La validité juridique de votre texte se heurte à un véritable écueil. Nous souhaiterions, avec nos collègues du groupe SRC, que la présente proposition de loi puisse être déférée devant le Conseil constitutionnel au cas où elle serait votée.
J’en viens à un autre aspect du problème : ce texte a moins pour finalité d’informer les voyageurs, comme vous le prétendez, que d’empêcher qu’un mouvement social puisse voir le jour et ait la moindre conséquence sur la fluidité du trafic. La hantise de l’UMP, c’est que les salariés, pour défendre leurs droits, puissent retarder quelques vols. Car cela pourrait leur donner plus de poids dans la négociation avec le patronat. Vous nous dites que « c’est la période des vacances », celle où les gens voyagent le plus. La vérité c’est que, pour vous, on devrait faire grève entre deux heures et cinq heures du matin. Évidemment, ce ne serait pas trop gênant !
M. Lionnel Luca. Ce qui n’est pas trop gênant pour vous, c’est qu’il y ait 300 jours de grève sur 365 !
M. Pierre Gosnat. Oui, les mouvements sociaux vous font peur, vous les craignez. D’ailleurs, vous n’êtes jamais du côté des travailleurs en lutte, comme on peut le voir actuellement pour SeaFrance ou Lejaby.
Avec ce texte, vous prolongez le vieux rêve du patronat : que les salariés ne puissent faire valoir leurs droits collectivement. L’acharnement qui vous anime a été parfaitement résumé par Nicolas Sarkozy lorsqu’il a déclaré : « Désormais, quand il y a une grève en France, plus personne ne s’en aperçoit. » Quel mépris ! Tout dans votre politique est voué à la satisfaction des intérêts du MEDEF et de la bande du Fouquet’s.
M. Lionnel Luca. Assertion pitoyable !
M. Pierre Gosnat. Pour notre part, nous avons toujours été du côté des travailleurs en lutte, et nous le resterons. Nous ne sommes pas du même côté du combat. Nous défilons avec les grévistes quand vous leur envoyez les CRS ! C’est d’ailleurs ce que j’ai connu voilà quelques semaines lors du déplacement du Président Sarkozy dans le Val-de-Marne. Très franchement, c’était un état de siège !
L’objectif de cette offensive, c’est bien de rendre invisibles les revendications sociales. Est-ce un hasard si un autre député UMP, Claude Bodin, a déposé une proposition de loi visant à empêcher le droit de retrait dans les services publics de transport ?
C’est la même logique qui est à l’œuvre dans votre manœuvre visant à interdire aux salariés des transports terrestres, donc ferroviaires, de se déclarer en grève quarante-huit heures à l’avance et d’aller finalement travailler.
Il importe d’affirmer que le droit de grève ne peut exister que si les salariés peuvent décider individuellement et collectivement, jusqu’à la dernière minute, s’ils prennent part ou non au mouvement social. L’obligation de « mûrir » la décision deux ou trois jours avant est foncièrement incompatible avec la liberté de se mettre en grève.
Pour les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche, le droit de grève ne peut souffrir une telle remise en cause. Vous l’avez compris, ils voteront contre le présent texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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Pierre
Gosnat

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