Permettez-moi tout d’abord de revenir sur le scandale de Ford Blanquefort, parce que c’est aussi dans l’actualité et en lien avec l’utilisation de l’argent public. « Trahison » : monsieur le ministre, vous avez lâché le mot et il est bien choisi pour décrire la scandaleuse décision du groupe américain. À la veille de Noël, 850 personnes privées d’emplois ! Vous êtes révolté, écœuré ? Nous aussi !
Oui, mais une fois qu’on a dit cela, que fait-on ? Combien de temps supporterons-nous encore de tels camouflets ? Combien de temps tolérerons-nous que les grands groupes mondiaux empochent des millions d’euros d’aides publiques – pour le groupe Ford, cela s’élève à 45 millions d’euros ces dernières années, dont 8 millions au titre du CICE – tout en refusant de vous répondre et même de vous prendre au téléphone ? Cette désinvolture n’a que trop duré, car il y a Ford, mais il y a aussi General Electric, qui promet à la France de créer 1 000 emplois avant d’en détruire des centaines puis de renoncer avec cynisme à ses engagements initiaux. Il y a aussi Carrefour, qui engrange 134 millions d’euros au titre du CICE en 2016 – montant donné par les syndicats et jamais contesté par la direction –, avant de mettre en œuvre le plan de destruction de l’emploi que l’on connaît.
Oui, ils sont nombreux ceux qui se moquent ouvertement de l’État sans jamais subir de sanction. Alors, monsieur le ministre, allez au bout de votre colère légitime. Jeudi, vous avez déclaré que vous étiez écœuré par le choix de Ford, qui ne se justifie que par « sa décision de faire monter son cours en bourse ». Nous vous proposons une solution : remettre à l’ordre du jour la proposition de loi contre les licenciements boursiers que les députés communistes ont déposée en 2012. Exigez aussi le remboursement de toutes les aides versées en pure perte aux grands groupes qui délocalisent. Ce seraient autant de recettes nouvelles pour notre budget.
Vous avez fait de la maîtrise du déficit budgétaire l’alpha et l’oméga de votre politique, vous venez de le rappeler ici. Mais où est la logique quand on lâche dans la nature 40 milliards d’euros de CICE sans le moindre fléchage, sans la moindre exigence de résultat pour notre économie, pour l’emploi, alors que des services publics sont en tension, comme nos hôpitaux ?
Vous voyez bien, avec Ford et General Electric, que les promesses n’engagent que ceux qui les croient. L’argent public versé à ces grands assistés de la République ruisselle en fait dans le portefeuille des actionnaires. Voilà pourquoi il faut remettre à plat votre politique fiscale. Les gilets jaunes aujourd’hui et les syndicats avant eux ne demandent rien d’autre, et c’est pourquoi nous demandons le renvoi en commission de ce budget injuste pour la majorité de nos concitoyens – mais pas pour une minorité d’entre eux. Et pourtant, malgré ce qui monte dans le pays, en nouvelle lecture, dans le projet de loi de finances, il n’y a toujours rien pour augmenter les recettes.
Il n’y a rien sur l’impôt de solidarité sur la fortune, devenu pour vous un véritable totem auquel il serait sacrilège de toucher. C’est pourtant un des moyens de faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État, au nom de la solidarité, l’un des piliers de notre République. Nous demandons son rétablissement depuis des mois, et nous sommes tellement satisfaits de voir que cette demande est enfin reprise par une majorité des Français – mais pas par la majorité de cette assemblée. Vous ne touchez pas à l’ISF alors qu’en 2017, les 358 700 redevables à cet impôt affichaient un patrimoine de 1 028 milliards d’euros ! Vous croyez vraiment qu’ils sont à 3 milliards ou 5 milliards d’euros près ? En revanche, pour le budget de l’État, c’est un sacré trou dans le tapis : 5 milliards d’euros manquants, c’est 40 % du budget total de l’enseignement supérieur. C’est pourtant aux étudiants étrangers de payer des frais d’inscription en hausse pour compenser des trous dans leur budget, et c’est pour cela que nos étudiants manifestent aussi.
Il n’y a rien non plus, en nouvelle lecture, dans votre projet de loi de finances, pour rétablir une fiscalité plus juste sur le capital. Vous nous parlez tous les jours du coût du travail, ça, on l’a bien compris. Mais on a compris aussi que votre grande priorité, c’est alléger la fiscalité du capital. Et voilà le résultat : selon l’INSEE, en 2018, l’industrie française continue de perdre des parts de marché et des emplois, avec 2 600 emplois supprimés au cours des six premiers mois de l’année.
M. Pierre Cordier. Ce n’est pas ce que le ministre nous a dit !
M. Fabien Roussel. Mais ce sont les chiffres de l’INSEE.
Quant aux déclarations d’investissements directs étrangers en capital, recensées par la Banque de France, elles atteignent, depuis le 1er janvier 2018, 34,6 milliards d’euros, soit l’équivalent de 2015, rien de plus, en dépit de toutes vos aides. Quel est l’effet du CICE, de la flat tax, de l’exonération de la taxe sur les dividendes, de la suppression de l’ISF ? Ceux qui cherchent du travail attendent toujours et ceux qui le perdent crient leur colère.
En revanche, sans surprise, la France reste la championne du monde de la distribution des dividendes. Nos barons du CAC 40 en sont tellement friands qu’ils en ont distribué 46,8 milliards en 2017, soit 48 % de leurs résultats en moyenne. Record du monde !
Vous avez refusé d’élargir l’assiette de la taxe sur les transactions financières ; vous avez mis en place la flat tax qui réduit les impôts de ceux qui tirent leurs revenus de la spéculation.
Quant à la niche Copé, si chère à la droite de cet hémicycle, vous avez certes accepté de ne pas l’amplifier pour les actionnaires – fort bien puisqu’on récupère ainsi 300 millions d’euros – mais elle coûte encore 7 milliards d’euros aux finances publiques en 2018 ! C’est une belle somme qui profite à une minorité, alors que nous pourrions immédiatement en faire bénéficier nos hôpitaux, nos EHPAD – établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes –, nos pompiers, ou encore pour la justice de proximité, bref, toutes les filières et les professions qui sont en colère par la faute de vos réformes.
Vous avez l’obsession de réduire la dépense publique – on l’a encore entendu aujourd’hui –, mais pas celle d’augmenter les recettes, alors qu’il était encore temps de corriger le tir en nouvelle lecture du PLF.
Il y a pourtant beaucoup d’argent à aller chercher, ailleurs que dans le porte-monnaie des salariés et des retraités, de nos services publics, de nos collectivités.
Je dirai un mot au sujet de l’évasion fiscale, qui a été remise à l’ordre du jour par le Président de la République. Elle coûte à notre budget entre 80 milliards et 100 milliards d’euros chaque année. Si cette somme entrait dans les caisses, nous serions à l’équilibre, avouez que ça changerait la donne ! Or que proposez-vous ?
Vous proposez de taxer les multinationales dont le siège serait basé dans les paradis fiscaux. Vous êtes sérieux ? C’est ce que vous voulez faire ? Mais votre proposition serait crédible si votre liste des paradis fiscaux l’était elle-même ! Or vous proposez de taxer les multinationales dont le siège se trouve sur Niue, Nauru, Guam ou les îles Palaos. Cela n’a pas de sens ! Pourquoi ne trouve-t-on pas, dans la liste des paradis fiscaux, la Suisse, le Luxembourg, l’Irlande ni les Pays-Bas ? C’est là que se trouvent les bénéfices des multinationales qui échappent à l’impôt !
Soyons sérieux et concrets sur ces questions ! Donnons-nous vraiment les moyens de récupérer cet argent qui nous est dû ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.) Quand vous aurez la parole, vous pourrez vous exprimer, mes chers collègues.
Recrutons des agents à la DGFIP – la direction générale des finances publiques –, par exemple, pour faire face aux enjeux, bien au-delà de votre modeste police fiscale, alimentée par des transferts d’effectifs ! Soyons aussi sévères envers les délinquants en cols blancs qu’envers ceux qui braquent les banques – nous n’en sommes pas là, car aucun col blanc n’est en prison, excepté Carlos Ghosn, et ce sont les Japonais qui l’y ont mis !
Les multinationales doivent payer leurs impôts là où elles réalisent leur activité et non dans les paradis fiscaux. C’est en vertu de ce principe simple, juste et compréhensible par tous que nous vous proposons de mettre en place, comme on sait le faire pour les citoyens, le prélèvement à la source des bénéfices des multinationales qui ont leur siège à l’extérieur de notre pays et pour certaines d’entre elles dans des paradis fiscaux notoires, dont certains sont membres de l’Union européenne. C’est tout à fait possible, monsieur le ministre. Renseignez-vous : ce système existe déjà aux États-Unis, en Allemagne, au Canada – on ne peut pas dire que ce soient des économies administrées ! La proposition de loi que nous vous soumettrons s’appuie sur les travaux d’économistes, de chercheurs et d’experts selon lesquels la France peut parfaitement mener seule une telle réforme, montrant la voie aux autres pays européens. Ne soyons pas timides sur ce sujet. Ne vous arrêtez pas au GAFA, comme vous le proposez, avec l’ambition de faire rentrer quelques millions d’euros alors que la fraude se compte en dizaine de milliards d’euros. Soyons fermes sur ce sujet et n’attendons pas un improbable feu vert de cette Union Européenne si libérale. Après tout, ni l’Irlande ni les Pays-Bas n’ont attendu le moindre feu vert pour pratiquer un dumping fiscal dévastateur pour nous. Voilà où se trouve l’argent qui pourrait rentrer dans les caisses de l’État.
Les Français souffrent de l’austérité qu’on leur impose depuis des années, dictée par des traités européens qu’ils n’ont pas votés. Oui, les Français ont du mal à boucler leurs fins de mois, à faire face à toutes ces factures qui s’envolent, celles du gaz, de l’électricité, des mutuelles. Ils n’arrivent plus à vivre dignement de leur travail, et ce ne sont pas les mesurettes en trompe-l’œil annoncées par le Président de la République qui vont durablement régler le problème du pouvoir d’achat.
Encore une fois, ce que vous donnez d’une main, vous le reprenez de l’autre. Votre vraie fausse augmentation du SMIC par le biais de la prime d’activité, financée sur le budget de l’État, donc par nous, est une véritable escroquerie. Au nom du dogme de l’abaissement du coût du travail, vous écartez d’emblée toute contribution des employeurs et vous leur envoyez le signal qu’ils n’ont pas besoin d’augmenter les salaires puisque l’État s’en chargera à leur place. Vous faites donc toujours supporter l’effort sur les mêmes et vous tirez les salaires par le bas. Pourquoi en effet le PDG de Carrefour, par exemple, augmenterait-il les salaires de ses caissières payées au SMIC si l’État le fait à sa place ? Pour cette raison, le salaire de nombreux salariés plafonnera au SMIC, et pendant longtemps !
C’est donc une mesure très injuste que vous proposez de mettre en place. En plus, les salariés qui toucheront la prime ne cotiseront pas sur cette somme pour leur retraite, la sécurité sociale, le chômage : c’est la double peine.
Au lieu de cela, monsieur le ministre, nous vous proposons d’ouvrir des négociations entre patronat et syndicats pour une hausse générale des salaires, dans le public comme dans le privé. Une hausse des salaires de 1 %, ce sont 2 milliards d’euros qui entrent dans les caisses de la sécu.
Monsieur le ministre, « un pays riche ne peut pas avoir de travailleurs pauvres ». Cette phrase n’est pas moi ; elle est de Pedro Sanchez, le Premier ministre espagnol. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR et SOC.) Prenez exemple sur l’Espagne ! La hausse de 22,3 % du SMIC va permettre à la sécurité sociale espagnole d’engranger 1,5 milliard d’euros supplémentaires, c’est la vérité ! Cessons d’envisager les hausses de salaires uniquement comme un coût : plus d’argent pour les salariés, c’est bon pour la croissance, c’est bon pour l’emploi et c’est bon pour le financement de la sécurité sociale.
On aura compris que je ne demande pas notre alignement sur le SMIC espagnol, bien inférieur au nôtre, mais notre alignement sur le taux de progression du SMIC espagnol, car nous en avons bien besoin ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Arrêtons le bricolage ! Les salariés ne veulent pas aller tous les trimestres à la CAF – la caisse d’allocations familiales – pour toucher un complément de salaire, ils ne veulent pas être des assistés ; ils veulent de véritables hausses de salaires, pérennes, pour vivre dignement de leur travail, cotiser à la sécurité sociale, payer des impôts, bref pour participer pleinement à la vie de la nation.
De même – et nous sommes là au cœur du PLF –, il y a des mesures urgentes à prendre pour baisser le coût de la vie de nos concitoyens tout en répondant à l’urgence climatique, à l’heure ou la COP 24 est loin de répondre à ce défi. Mettez en place un plan d’urgence pour la rénovation des logements qui sont de véritables passoires thermiques, avec l’objectif de rénover 500 000 logements par an ! C’est quand même autrement ambitieux qu’un chèque énergie !
Accordez une baisse de TVA sur les factures EDF et GDF, dont les tarifs n’arrêtent pas de flamber ! Mettez en place un plan ambitieux pour les transports collectifs publics en donnant plus de moyens aux régions et autres collectivités qui aimeraient assurer la gratuité des transports, au moins pendant les pics de pollution – Lille a enregistré soixante jours de pics de pollution en 2018 !
En nouvelle lecture, nous aurions aimé débattre sur un projet de loi de finances exceptionnel, qui réponde aux défis climatiques tout en redonnant du pouvoir d’achat aux Français. Arrêtez de tourner autour du pot ! Prenez conscience de l’ampleur de la crise sociale et écologique, et renvoyez le PLF en commission pour que nous apportions tous ensemble les vraies réponses aux besoins que les Français expriment depuis des semaines ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)
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