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MRC : application de l’article 68 de la Constitution

La parole est à M. Patrick Braouezec.
M. Patrick Braouezec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début des années 2000, les différentes réformes constitutionnelles n’ont été pensées que pour renforcer la présidentialisation du régime, les pouvoirs personnels du Président, qu’il s’agisse de l’élargissement du champ référendaire et de l’instauration du quinquennat en 2000 que de l’inversion du calendrier électoral en 2001 qui instaure la concomitance des élections présidentielle et législative et soumet la seconde à la première.
En ce qui concerne l’application de l’article 68 de la Constitution, modifié par la loi constitutionnelle du 23 février 2007, il aura fallu attendre cinq ans pour que soient mises en œuvre les conditions de son application, qui donnent les modalités exactes de la destitution du Président de la République. Vous avouerez que c’est vraiment long mais que, au regard de la crise systémique vécue par de nombreux pays, cette question est bien mineure.
S’il est important de connaître les conditions selon lesquelles un président peut être destitué, force est de constater qu’en l’état de nos institutions il y a peu de chances que la destitution du chef de l’État soit un jour prononcée, sauf dans des circonstances exceptionnelles où « les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate » pour reprendre les termes de l’article 16 de la Constitution portant sur les pouvoirs exceptionnels du chef de l’État, avec lequel la procédure dont nous débattons maintenant entre en contradiction.
Dès lors, il faut bien préciser que les termes de ce projet de loi n’ont d’autre intérêt que celui de démontrer que nous nous trouvons devant une crise de la démocratie. Il serait temps d’avoir un vrai et sérieux débat parlementaire pour mettre à plat ce qui ne fonctionne plus dans nos institutions et dans notre vie politique et élaborer un diagnostic qui permettrait d’identifier les fausses solutions qui ne font qu’aggraver la situation.
Force est de constater que la démocratie politique française connaît une crise profonde, comme en atteste une abstention de plus en plus massive aux élections, notamment dans les milieux populaires. Les formes classiques de la représentation politique survivent mais leur légitimité s’amenuise et leur efficacité décline. On peut même affirmer que le modèle de gouvernance de la Ve République est à bout de souffle.
Une question se pose alors : comment sortir de cette situation mortifère pour la démocratie ? On parle, à juste titre, de la parité entre hommes et femmes dans l’exercice du mandat d’élu, mais les élites qui nous gouvernent au plan national ne se sont guère préoccupées d’avoir la même démarche pour permettre la juste représentation des couches ouvrières et populaires dans les institutions et les collectivités. Pourtant, le renouveau de la démocratie en France en dépend pour l’essentiel.
Il est donc indispensable de créer les conditions qui permettront à chacun, quelle que soit sa situation sociale, de se sentir partie prenante des débats, avec la possibilité de participer concrètement et réellement au choix et aux orientations qui intéressent le quotidien, du local au mondial.
Cela suppose le renforcement du pouvoir d’agir des habitants sur leur territoire. La co-construction des activités socio-économiques entre élus, mais aussi avec les habitants, les services administratifs et techniques, doit être au cœur d’une nouvelle gouvernance des territoires, pour permettre la mise en mouvement des citoyens et ainsi sortir de l’opposition archaïque entre élite et population. Mettre en synergie, dans une dynamique commune, démocratie élective et démocratie participative, tel est bien l’un des grands défis de notre époque.
Il serait temps de sortir des formules incantatoires sur la démocratie participative et la citoyenneté pour commencer à les traduire concrètement en actes. Il serait temps de sortir de la République et de la démocratie des élites et des experts pour construire une République et une démocratie du peuple, pour et par le peuple.
Pour l’heure, dans ce contexte de crise, la dictature des marchés impose sa loi.
Le peuple grec a été sommé d’obtempérer, et ce sera bientôt le tour du peuple français. Dans l’Europe du traité de Lisbonne, les marchés et les banques ne tolèrent pas la démocratie. Pour eux, elle devient un luxe inadmissible, et les citoyens ne peuvent qu’approuver les orientations et les décisions prises par leurs dirigeants. Leurs votes ne valent que s’ils sont conformes à l’idéologie dominante.
Les États, dont la France, ont oublié qu’ils étaient signataires du Pacte international sur les droits économiques et sociaux de 1966, dont l’article 11 reconnaît le droit pour toute personne et sa famille de bénéficier d’un niveau de vie suffisant – alimentation, logement, santé et éducation –, ce qui condamne de facto le désengagement social. Je rappelle que la Déclaration de 1789 n’est pas seulement celle des droits de l’homme, c’est aussi celle des droits du citoyen, et qu’elle prévoyait bien le contrôle populaire des finances publiques.
Ajoutons que, sous l’emprise du capitalisme financier, aucun pays de l’Union européenne ne peut prétendre être un instrument de paix et de coopération. Parlons plutôt d’une machine de guerre économique prête à dévorer les peuples et leur environnement pour retrouver une croissance destinée à nourrir les groupes industriels et financiers.
Cette même Union européenne, en s’inscrivant délibérément dans le cadre d’une compétition mondiale animée par la seule recherche du profit, contribue activement, et depuis longtemps, à l’augmentation des inégalités et à l’aggravation de tous les déséquilibres Nord-Sud.
Désormais, sous les traits arrogants du Président de la République et de la Chancelière allemande, l’Union européenne mène une politique qui attise ouvertement les rivalités et les antagonismes intracommunautaires, ce qui menace de dresser les peuples européens les uns contre les autres. Il est grand temps de sortir la France des griffes de tous ces grands prédateurs pour la rendre responsable et solidaire.
Cela suppose de réfléchir à une nouvelle Constitution, ce qui ne peut se faire qu’en mettant en place une Constituante, qui devrait revoir de fond en comble la Constitution de 1958. C’est cela que nous devrions discuter.
M. Philippe Houillon, rapporteur. Hors sujet !
M. Patrick Braouezec. Au contraire, c’est en plein dans le sujet !
En effet, au-delà du présidentialisme, la Constitution de 1958 fut l’instrument du pire fléau contemporain, la délégation de pouvoir, dont la dévastation idéologique de masse est effroyable et souvent masquée. De manière cohérente avec cela, la démocratie est réduite aux élections, et les partis politiques sont cantonnés à devenir des appareils de recrutement d’électeurs.
L’individu, le citoyen devient, quant à lui, objet de pouvoir au lieu d’être acteur de pouvoir. C’est la notion même de citoyenneté qui est en cause.
L’enjeu fondamental est donc la question du « pouvoir par en haut » et du « pouvoir par en bas ». Se pose alors celle de l’État : le « trop d’État » est un slogan du libéralisme qui nous gouverne. Il ne s’agit pas de savoir s’il y a assez ou trop d’État, il s’agit de savoir de qui l’État est l’instrument de pouvoir. Est-il l’instrument du pouvoir exercé sur le peuple ou l’instrument de pouvoir du peuple sur ses affaires ?
Intolérable aussi est la formule « État-providence », qui ne fait que recouvrir le désengagement social de l’État. Le fait que la dette soit non plus seulement celle du Sud ou de la Grèce mais aussi celle des États-Unis montre que c’est un problème structurel. L’État a pour fonction de satisfaire avec les ressources de l’impôt les besoins publics mais, pour ce faire, il doit rémunérer le profit privé, aux dépens de la satisfaction des besoins publics.
On voit dès lors que la pierre de touche est la notion de souveraineté populaire. Celle-ci a été le cheval de bataille de tous les progressistes du XIXe siècle, contre la confiscation de la révolution par la bourgeoisie. Elle a été portée au rang de valeur universelle par la Charte des Nations unies, dont je rappelle les termes : « Nous, peuples des Nations unies avons décidé d’unir nos efforts. En conséquence, nos gouvernements, etc. »
La souveraineté populaire est le contraire du populisme, qui consiste à flatter le peuple pour qu’il abdique entre les mains d’un chef ou d’une oligarchie : elle implique une intervention permanente, les élus étant l’instrument de sa mise en œuvre. N’oublions pas, en outre, que la souveraineté populaire ne procède pas d’une idéalisation de la spontanéité du peuple : elle suppose une démocratie de l’éducation et de l’information.
J’en donnerai un bel exemple qui, il est vrai, date de la IVe République.
En 1954, lors du vote sur la Communauté européenne de défense, des délégués de villages, d’ateliers, venus deux par deux avec des paquets de pétition, ont demandé à parler à leur député, formant une file d’attente d’un kilomètre devant l’Assemblée nationale. La majorité a basculé, et la majorité de ratification est devenue une majorité de rejet. La démonstration de la souveraineté populaire était faite ; il est vrai que les institutions le permettaient.
On a beaucoup vilipendé la IVe République et il ne s’agit pas pour moi d’en faire l’apologie. Ses principes démocratiques étaient peut-être néanmoins plus forts que ceux de la Ve République. Il serait intéressant, d’ailleurs, de ressortir des cartons le premier projet de Constitution de la IVe République, hérité de la culture de la résistance populaire et du programme du Conseil national de la Résistance et rejeté sous l’influence du discours prononcé par de Gaulle à Bayeux.
Alors, oui, nous avons besoin d’une constituante comme celle qui s’est mise en place en Islande. Las, les médias français se gardent bien de relayer cette nouvelle, à croire qu’ils ont peur que les citoyens français décident de suivre cet exemple !
À la suite de la mobilisation populaire contre la crise financière, l’Islande a mis en route le processus d’une assemblée constituante. Cette crise était particulièrement brutale pour les Islandais, et la faillite d’une de leurs banques leur aurait coûté 40 % du PIB s’ils avaient dû en assumer le coût. La plupart des souscripteurs de la dette islandaise étant britanniques et hollandais, les gouvernements négocièrent un remboursement avec un prêt à 5,5%, mais les Islandais protestèrent si bruyamment – casseroles à l’appui – que le Président de la République refusa de promulguer la loi ratifiant le dit accord. Les banques furent nationalisées. Il en fut décidé ainsi par 93 % des suffrages, lors d’un référendum auquel participèrent 60 % du corps électoral.
Depuis lors, l’Islande a dévalué sa monnaie, dont la parité avec le dollar a diminué de moitié, ce qui a provoqué la relance des exportations de poisson et d’aluminium et dopé le tourisme.
Le recours à la souveraineté populaire pour adopter une nouvelle Constitution est un effet de la mobilisation de la société contre la crise. C’est un indice de la volonté de changement dans un domaine où les partis restent malheureusement trop conservateurs. Les citoyens sont loin d’être irresponsables, et certains États feraient bien de les écouter et de les entendre.
Au regard de tous ces éléments, et même si certains ont considéré que j’étais hors sujet, il est bien évident que le groupe GDR demande le renvoi en commission : l’heure devrait être non pas à voter les modalités d’application de cet article 68 de la Constitution mais bien à discuter avec l’ensemble des citoyens de la mise en place d’une Constituante – et peut-être à demander aux candidats de s’engager en ce sens –, cette Constituante devant respecter l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en restaurant la séparation des pouvoirs et en redonnant au peuple la maîtrise de son destin.
M. Marc Dolez. Très bien !

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Patrick
Braouezec

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