Il n’y a rien de surprenant à ce que nous nous retrouvions aujourd’hui autour d’une nouvelle motion de censure du gouvernement. La première raison en est que votre légitimité est contestable ; nous le répéterons sans cesse. Comme votre prédécesseur Michel Barnier, vous avez été nommé en lieu et place d’un premier ministre issu du Nouveau Front populaire – tel aurait dû être le cas si le président de la République avait respecté le vote des Français. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS.)
Sitôt arrivé à Matignon, à la tête d’un gouvernement fait de bric et de broc faisant la part belle à des ministres jamais élus sinon battus aux élections, vous avez, pour vous maintenir, annoncé la création du fameux conclave, un terme bien pompeux pour désigner ce qui s’est avéré une négociation strictement encadrée entre patronat et syndicats. Permettre la tenue d’une conférence sociale et de financement, comme l’intersyndicale ne cesse de le réclamer depuis 2023, aurait témoigné d’une ambition bien plus haute et constitué une marque de confiance d’une plus grande envergure dans le dialogue social. (M. Gérard Leseul applaudit.)
Nous ne nourrissions que peu d’espoirs sur l’issue de ce conclave.
La suite nous a malheureusement donné raison : vous avez piétiné les règles les plus élémentaires d’une négociation sociale en intervenant publiquement, notamment pour interdire toute discussion sur un retour de l’âge légal à 62 ans. Avec le soutien direct et public du premier ministre et de son gouvernement, le Medef n’avait plus qu’à jouer la montre. Vous avez même, monsieur le premier ministre, poussé le bouchon jusqu’à lui donner un mode d’emploi pour bloquer les discussions, en affirmant qu’en l’absence d’accord, c’est la réforme Borne-Macron qui continuerait de s’appliquer.
Ironie du sort, c’est vous désormais qui tentez de jouer la montre : vous recevez les organisations syndicales et le patronat ; vous proposez de relancer les discussions ; vous affirmez soudainement que des mesures seront soumises par le gouvernement au Parlement. Tout cela n’est pas sérieux ! La réalité est simple : le conclave est un échec et, contrairement à ce que nos collègues socialistes ont pu écrire, cet échec est non pas celui du dialogue social, mais le vôtre, monsieur le premier ministre. La motion de censure de votre gouvernement est donc la suite logique de vos errements et de votre duplicité.
Je résume la situation à ce stade : les Français ne veulent toujours pas de la réforme des retraites de 2023 et vous avez fait échouer les négociations entre les organisations syndicales et patronales. Quelles que soient les améliorations apportées à cette réforme, elles ne seront jamais suffisantes pour réparer le préjudice qu’elle a fait durement subir aux Français. D’autant moins que, si l’on en croit le relevé de décisions du conclave, nos compatriotes, notamment les retraités, paieront très lourdement ces quelques améliorations éventuelles.
Au sein de ce marasme existe néanmoins un totem – pour reprendre un terme qui vous est cher : c’est le vote qui a eu lieu au sein de notre assemblée le 5 juin dernier, à l’initiative de notre groupe.
Pour la première fois, nous avons pu dans cette assemblée voter sur cette réforme, et une majorité très nette s’est prononcée en faveur de son abrogation. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR. – M. Andy Kerbrat, M. Gérard Leseul et Mme Christine Arrighi applaudissent également.) Monsieur le premier ministre, telle est l’expression des députés, telle est la volonté du peuple.
En conséquence, la seule voie de sortie durable pour votre gouvernement serait de respecter la voix des Français et celle de leurs représentants en nous indiquant clairement quand vous allez abroger la réforme de 2023 ou bien quand vous allez créer les conditions d’un référendum pour que les Français s’expriment ! Le démocrate que vous êtes ne peut pas s’asseoir sur le vote de la représentation nationale ; ce serait faire preuve d’une intransigeance coupable. La réforme des retraites de 2023 a été et demeure la plus grande offense sociale et démocratique jamais infligée à notre pays depuis la négation du vote des Français lors du référendum de 2005 sur le traité de Constitution européenne.
Les Français ne sont pas prêts à tourner la page, car jamais une réforme des retraites n’est allée aussi loin dans la régression sociale imposée aux travailleurs : un relèvement de l’âge de deux ans, de 62 à 64 ans, et dans le même temps, une augmentation de la durée de cotisation obligeant chacun à travailler un trimestre de plus tous les ans pour prétendre à une carrière complète. Et jamais la mise en œuvre d’une réforme des retraites n’est allée aussi vite : dès septembre 2023, elle a frappé de plein fouet 50 000 travailleurs qui s’apprêtaient à prendre leur retraite, et davantage encore les années suivantes. Ils ont dû, sans y être préparés, prolonger leur carrière de trois, six ou douze mois, et ce après plus de quarante années déjà passées au travail. Cette réforme représente pour tous ces travailleurs un tribut illégitime et insupportable.
En février dernier, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) a d’ailleurs indiqué que le nombre d’assurés sociaux qui font le choix de prendre leur retraite sans une carrière complète, donc en subissant une décote à vie, a plus que doublé.
Jamais une réforme des retraites n’a provoqué autant de dégâts sociaux. Les travailleurs dits seniors ont été particulièrement abîmés : quand le chômage est massif et qu’à l’approche des 60 ans, une personne sur deux est privée d’emploi, repousser de deux ans l’âge de départ à la retraite aggrave mécaniquement le taux de pauvreté de ces travailleurs.
Même la Cour des comptes a enfin admis que reculer l’âge de départ ne signifiait nullement allonger d’autant la durée en emploi. Bien au contraire, un tel recul se traduit par un temps plus long en invalidité ou au chômage. C’est particulièrement le cas, bien sûr, pour les travailleurs les moins qualifiés, aux métiers les plus pénibles ou les plus précaires.
Les femmes ont été elles aussi les grandes victimes de la réforme de 2023 : le report de l’âge légal les conduit à travailler pendant une durée supplémentaire supérieure à celle imposée aux hommes – en moyenne sept mois de plus, contre cinq mois de plus pour les hommes – et, du fait qu’elles ont souvent des carrières plus courtes, notamment en raison des responsabilités éducatives et familiales qu’elles endossent, l’allongement de la durée de cotisation entraîne des difficultés accrues pour qu’elles atteignent la durée exigée pour une pension à taux plein. En 2021 déjà, 52 % des femmes retraitées percevaient une pension mensuelle inférieure à 1 000 euros ; aujourd’hui, les retraites des femmes sont toujours inférieures de 40 % en moyenne à celles des hommes.
Enfin, quelle image du travail, de la solidarité et de l’égalité salariale donnons-nous à la jeunesse quand elle voit ses aînés travailler dur, finir malades ou relégués au chômage, avec au bout du compte une pension de misère ?
Jamais une réforme d’une telle ampleur n’a été promulguée sans un vote du Parlement. Jamais un gouvernement n’a osé récuser ainsi tout un peuple et ses représentants syndicaux et politiques, qui s’étaient unanimement élevés, pendant des mois, contre un projet de loi.
Pour toutes ces raisons, les Français ne veulent toujours pas de cette réforme : plus des deux tiers demandent instamment son abrogation. Et si une très grande majorité d’entre eux ne désarme pas face à l’injustice de la réforme des retraites, c’est aussi parce que votre attitude à leur égard – comme celle de vos prédécesseurs, d’ailleurs – est empreinte de mépris. À cet égard, je mets sur le compte d’une colère – cela peut arriver – les propos que vous avez tenus tout à l’heure, en regardant les bancs de gauche, sur la méconnaissance que nous aurions du monde du travail.
Je vous adresse donc une invitation, cordiale : venez un jour chez moi, à Saint-Denis, lors d’une réunion de famille. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS.) Vous rencontrerez ma femme, mes enfants, mes neveux, mes cousins, mes beaux-frères, ma sœur, toutes sortes de gens qui ont tous commencé à travailler à l’âge de 16 ans et n’ont pas chômé un seul jour dans leur vie ; ils vous expliqueront ce qu’est le travail et comment ils ont vécu cette réforme des retraites. Et si vous avez du temps, nous ferons venir tous les voisins de l’immeuble ; vous verrez, ce sera très sympathique (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC), ce sont des gens polis, cordiaux et respectueux.
Monsieur le premier ministre, ne dites pas à quelqu’un comme moi ni à mes collègues que nous ne connaissons pas le monde du travail ! Dans notre famille, nous le vivons tous les jours, dans notre chair ! (Les députés des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS ainsi que de nombreux députés du groupe SOC se lèvent et applaudissent longuement.)
Bien évidemment, nous voterons la censure.
Discussions générales
Motion de censure en application de l’article 49.2
Publié le 1er juillet 2025
Stéphane
Peu
Député
de
Seine-Saint-Denis (2ème circonscription)