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modification de certaines dispositions encadrant la formation des maîtres

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.
M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis consterné de devoir constater que la trentaine de députés signataires de cette proposition de loi n’a pas tiré tous les enseignements des mots fameux, prononcés il y a pourtant plusieurs siècles par Marius Tullius Cicero, mieux connu sous le nom de Cicéron : « Il y a un art de savoir et un art d’enseigner ».
Près d’un demi-siècle avant la naissance de Jésus-Christ, cet éminent consul de la république romaine aux idéaux humanistes et à la pensée d’inspiration platonicienne avait déjà compris ce que, plus de 2 000 ans après, vous refusez encore d’admettre : l’érudition ne suffit pas à faire un pédagogue – à quelques exceptions près, dont fait partie, ai-je cru comprendre, l’orateur de l’UMP qui m’a précédé à cette tribune. Cicéron, égorgé quarante-trois ans avant notre ère par la volonté de Marc Antoine, vous le tuez une seconde fois sous les injonctions de votre maître à penser, l’actuel Président de la République.
M. Philippe Gosselin. C’est ce qui s’appelle faire dans la mesure !
M. Michel Vaxès. Pourtant, contrairement à ce que vous prétendez, il reste profondément vrai que l’art d’enseigner ne s’improvise pas : il s’apprend. La mastérisation ne suffira jamais à faire d’un étudiant, même savant, un enseignant qui fasse honneur au métier qu’il exerce.
La Cour des comptes vient d’ailleurs de nous rendre, aujourd’hui même, un rapport qui permet à l’éditorialiste du Monde de titrer sa une sur ce sujet, en soulignant l’échec cinglant de la formation des maîtres telle que vous l’avez initiée en 2008. Cela ne surprendra pas ceux d’entre nous qui, dès cette époque, vous avaient alerté sur la nocivité de cette réforme. Aujourd’hui, ce sont les magistrats de la rue Cambon qui viennent vous dire que vos dispositions soulèvent « des questions de fond sur l’organisation de la formation initiale, sur l’attractivité du métier d’enseignant et sur l’adéquation de ce nouveau dispositif aux grands objectifs assignés au système éducatif. »
Comme tout métier, celui d’instituteur, de professeur, exige des compétences que la maîtrise d’une discipline académique ne leur donnera pas. Plus que tout métier, celui d’enseignant, parce qu’il s’exerce sur le matériau le plus complexe, le plus riche de potentialités, le plus noble, le plus fragile aussi : l’humain, exige une formation très spécifique dont vous voulez aujourd’hui le priver.
Votre proposition de loi témoigne d’une conception consternante du métier d’enseignant parce qu’elle ne vise pas l’épanouissement humain, c’est-à-dire l’appropriation par le plus grand nombre de la part la plus élevée possible du patrimoine social et culturel que nos civilisations, dans la richesse de leur diversité, ont accumulé des siècles durant. Votre conception de l’enseignement est d’une pauvreté affligeante, parce que, comme je le rappelais dans mon explication de vote sur la motion de renvoi en commission, elle reste contrainte par les préoccupations mercantiles que vous dictent les marchés et l’utilitarisme économique dans lequel vous voulez l’enfermer.
Nombreux sont, sur ces bancs, les parlementaires qui savent ce qu’ils doivent aux écoles normales primaires, aux IPES, aux écoles normales supérieures et, pour les plus jeunes, aux IUFM, dans leur formation professionnelle et dans leur attachement aux valeurs de notre république laïque. Ils savent ce que leur a apporté de savoir-faire précieux l’enseignement de la pédagogie en théorie et en pratique. Or, vous voulez aujourd’hui retirer de nos bibliothèques ce patrimoine exceptionnel qui a si longtemps distingué, aux yeux de tous les peuples du monde, la qualité de l’enseignement dispensé par les écoles de la République française. Vous vous apprêtez à l’autodafé de tous les manuels des sciences de l’éducation, dont vous voudriez bien qu’ils rejoignent les cendres des écrits de Freud, de Zweig, de Brecht, de Marx et d’Einstein, brûlés sur la place publique par des étudiants de triste mémoire.
Non, mes chers collègues, cette proposition de loi n’est sûrement pas un ajustement technique, comme ses auteurs voudraient nous le faire croire. Elle est sous-tendue par un parti pris idéologique redoutable. Elle participe d’une démarche entreprise ces dernières années qui nous engage progressivement et pernicieusement dans la voie de l’abandon de la formation des maîtres, de la privatisation de ce qui en restera et du recrutement par les chefs d’établissement de personnels inscrits à Pôle emploi, comme c’est déjà le cas depuis deux années avec le dispositif Éclair dont les inquiétants résultats signent l’échec.
Ce que vous préparez s’inscrit dans la cohérence d’ensemble d’une politique qui a délibérément choisi de saper le service public dans tous les domaines, y compris celui de l’éducation, qui est de moins en moins nationale. Vous allez même jusqu’à supprimer l’avis du Haut conseil de l’enseignement dans l’élaboration du cahier des charges, que vous vous apprêtiez aussi à supprimer et que vous confiez aux seuls ministres de l’éducation et de l’enseignement supérieur, en vous privant de l’avis de compétences reconnues, comme vous vous priverez, demain, des compétences des inspections générales, si précieuses à bon nombre d’enseignants.
Cette politique tourne le dos à l’intérêt général ; elle sacrifie la jeunesse de France sur l’autel des intérêts très privés d’une aristocratie financière qui n’a que faire de l’épanouissement humain.
Nous fêtons cette année le tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau. Lisez et relisez Le contrat social. Peut-être y trouverez-vous l’oxygène qui manque à votre inspiration et comprendrez-vous mieux ce que voulait dire Saint-Just lorsqu’il affirmait ne reconnaître de souverain que le genre humain.
Le peuple souverain s’exprimera bientôt. Je forme le vœu qu’il fasse de votre majorité une minorité…
M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas encore fait !
M. Michel Vaxès. …pour que ce texte finisse là où il doit finir : dans la corbeille des rebuts de l’histoire des institutions éducatives de notre pays.
En attendant, vous aurez compris que le groupe des députés communistes, apparentés et du parti de gauche votera résolument contre cette proposition de loi examinée dans l’urgence. Une urgence que rien ne justifie, mais qui est un aveu de la portée politique des dispositions qu’elle contient et qui prolongent, en la complétant, la panoplie des blessures que, jour après jour, vous voulez porter au meilleur du système éducatif français, plutôt que de lui donner les moyens d’assumer son rôle dans la fidélité aux valeurs qu’ont honorées les philosophes des Lumières et ceux qui, comme nous, continuent de s’y référer. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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Michel
Vaxès

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