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Mise en application de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, chers collègues, j’entends cette exclamation : « Incroyable ! », aussitôt qu’on démasque ce qui se cache dans votre texte sous de vaines apparences. Mais non ! C’est la vérité, la vérité vraie. Seulement, elle vous choque.
Au demeurant, nous sommes très honorés par la présence d’autant de secrétaires d’État dans l’hémicycle, même si la désertion des bancs de l’UMP par nos collègues a permis au ministre sentinelle, M. Karoutchi, d’aller se coucher !
La modernisation de l’économie, que vous affirmez vouloir entreprendre, pose la question de ses finalités et de ses valeurs. Pour nous, ce qui est moderne, c’est la solidarité, l’égalité, la citoyenneté, l’écologie, la parité, la justice fiscale, les services publics – qui sont pour vous autant de gros mots. Pour nous, une économie moderne doit s’inscrire dans une volonté de développement durable, dans une logique de transformation sociale, d’épanouissement des individus dans leur travail et dans leur vie personnelle.
Évidemment, madame la ministre, bien que je ne m’exprime pas en anglais, il s’agit d’un français qui vous est étranger, parce que nous n’avons pas les mêmes valeurs. Les vôtres sont cotées au CAC 40 et les miennes au Panthéon.
La comparaison de cette brève énumération avec les têtes de chapitre du projet de loi qui nous est soumis est éloquente. Votre sollicitude va surtout aux avantages des chefs d’entreprise, au renforcement de la concurrence que vous entendez rapprocher de la concurrence libre et non faussée, chère à Bruxelles, qui a laissé de bien mauvais souvenirs, et au développement des marchés financiers. Par ailleurs, vous désarticulez la Caisse des dépôts, bras armé de l’État et de l’intérêt général, en y introduisant même des « personnalités qualifiées ». J’imagine que vous avez déjà votre short list, où figurent certains noms. Des gens de talents, à vous en croire, qui sont un peu désœuvrés pour l’instant : M. Messier, M. Forgeard et bientôt M. Bouton, ancien président d’un Comité d’éthique des banquiers. Étant donné ses exploits depuis l’affaire du Sentier jusqu’à l’affaire Kerviel, il a certainement montré qu’il possède les talents requis pour siéger dans de telles instances !
Nos concitoyens veulent une économie qui permette de construire les logements, en particulier sociaux, dont ils ont besoin. Mais votre projet démantèle le mécanisme de financement du logement social, en livrant le livret A aux banques, dont la finalité est de produire des profits pour leurs actionnaires, y compris en spéculant sur les marchés financiers, ce pour quoi un surplus de liquidités issu des livrets A sera bienvenu. Je ne reviens pas, à ce sujet, sur l’excellente démonstration de Jean-Pierre Balligand.
On comprend que les banquiers salivent au vu de l’augmentation de 8 % des dépôts sur le livret A l’année passée, alors qu’ils doivent éponger dans l’urgence les pertes dues à leurs placements aventureux sur des produits financiers plombés par les subprimes américains ou aux spéculations délirantes et incontrôlées d’opérateurs des salles de marchés, dont on voudrait nous faire croire qu’ils ont agi seuls.
Nos concitoyens veulent une économie plus morale, moins mercantile et donc dans laquelle les salaires mirifiques et les pactoles divers dont bénéficient patrons et cadres dirigeants soient encadrés pour rester dans des limites décentes, surtout au moment où le pouvoir d’achat de la grande masse des Français est dans la tourmente. C’est même devenu un sujet de débat dans l’Union européenne, comme l’a indiqué M. Juncker, Premier ministre luxembourgeois, à l’issue du Conseil des ministres des finances, le 13 mai dernier, bien que l’on en reste prudemment, dans ce cénacle, aux vœux pieux – lesquels, en l’occurrence, sont plutôt des vœux impies !
Sur ce sujet, monsieur de Courson, vous en connaissez un rayon ! Voulez-vous que nous fassions un peu d’histoire ? Dans ce cas, je vous propose de remonter jusqu’à la Révolution !
Et nous parlerons de Le Peletier de Saint-Fargeau : il faut être à la hauteur de ses ancêtres, monsieur de Courson !
À l’opposé de cette économie plus morale et moins mercantile, le projet de loi qui nous est soumis prévoit d’accorder de substantiels avantages nouveaux – il crée des niches fiscales supplémentaires au moment où l’on veut les démanteler ! – aux cadres étrangers venant travailler en France ou, lors de leur retour, aux Français partis exercer leur activité à l’étranger.
Nos concitoyens veulent une économie dans laquelle tous les travailleurs soient également respectés, tant par les employeurs que par les autorités publiques. Mais le projet de loi comporte un article qui prévoit que des cadres étrangers de haut niveau et des dirigeants de grandes entreprises, qui apportent « une contribution économique exceptionnelle à la France » pourront se voir attribuer par le préfet, sur une base individuelle, une carte de résident de dix ans. Cette mesure est scandaleusement discriminatoire et profondément choquante, alors que, en ce moment, des milliers d’étrangers non communautaires qui disposaient d’un emploi – même si c’était au noir – sont enfermés dans les centres de rétention avant d’être expulsés. Eux rendaient concrètement service à l’économie du pays et avaient un emploi régulier – certes, parfois avec de faux papiers, mais si vous n’avez pas de papiers, vous en cherchez…
Je ne sais pas si c’est régulier, mais je trouve cela assez moral, voyez-vous ! Votre logique amène à violer les fondements de la légalité. Vous êtes plus sévère avec ces gens-là qu’avec les Kerviel et Bouton.
Cette prétendue modernisation aurait-elle, malgré ces conséquences néfastes et destructrices, une quelconque vertu économique ?
Le Gouvernement ne nous facilite pas la tâche pour en juger puisque le coût des mesures proposées n’est généralement pas chiffré. Cela ne vous empêche pas, madame Lagarde, d’annoncer – j’allais dire avec votre aplomb habituel mais « brio » convient aussi, les deux n’étant pas contradictoires – « selon nos premières estimations, au moins 0,3 % de croissance et 50 000 emplois par an ». Je vous imagine, madame la ministre, avec votre boule de cristal détectant ces emplois futurs et ces dixièmes de point de croissance supplémentaire. Dommage que vous ne nous précisiez pas pendant combien d’années ! Nous savons d’expérience ce que valent ces affirmations et ce qu’il en coûte à nos concitoyens et au pays.
Comme l’ont déjà dit à cette tribune mes collègues Daniel Paul et Pierre Gosnat, nous nous opposerons donc à l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
 

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Jean-Pierre
Brard

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