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Discussions générales

Mettre fin à la culpabilisation des victimes de violences physiques et sexuelles (PPR)

L’intime est politique : cette revendication féministe a beau être puissante, elle n’est pas toujours bien comprise. Pourtant, les liens de pouvoir et de subordination entre les hommes et les femmes trouvent un terrain de choix à l’ombre des regards extérieurs, au cœur du domicile familial.
Il faut le répéter, tant une grande partie des violences faites aux femmes viennent de cette sphère traversée de violence et de conflits. Oui, la culture du viol s’invite jusqu’au lit conjugal.
Il faut l’énoncer clairement, afin de lutter contre cette espèce de romantisation des violences faites aux femmes. Je pense aux expressions « crime passionnel » ou « baiser volé » : ce champ lexical riche, emprunté aux plus belles expressions des grandes tragédies grecques, est une manière d’enjoliver un acte de prédation, de violence et de barbarie.
Le récent documentaire sur l’assassinat de Marie Trintignant en dit long sur les effets délétères de la qualification de crime passionnel et de la frontière assumée entre relations personnelles et personnages publics.
Cette culture du viol s’immisce jusqu’à notre droit. Notre code civil ne fait pas mention d’un devoir conjugal, mais une interprétation archaïque de l’article 215, qui dispose que « les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie », a pu être comprise comme une obligation sexuelle implicite, dans le cadre du mariage.
Alors que la chambre criminelle de la Cour de cassation a aboli le devoir conjugal depuis un arrêt du 5 septembre 1990, les juges civils continuent de l’imposer, selon une vision archaïque du mariage. Pourtant, la décision précise explicitement que le viol « n’exclut pas de ses prévisions les actes de pénétration sexuelle entre personnes unies par les liens du mariage […]. »
Depuis, les décisions instaurant une obligation sexuelle implicite dans le cadre du mariage n’ont jamais cessé. Elles concernent, en très grande majorité, des femmes. Objectivées car considérées comme étant à la disposition de leur époux, ces dernières doivent, en cas de faute, verser des dommages et des intérêts à leur ex-conjoint pour « manquement à leur devoir conjugal »… en lisant cela, je peine à croire que nous sommes au XXIe siècle ! C’est pourtant la réalité de notre droit et de son application.
Le 23 janvier 2025, la CEDH a condamné la France pour avoir prononcé un divorce aux torts exclusifs de la requérante, au motif qu’elle refusait d’avoir des relations sexuelles avec son époux. Dans cet arrêt, la Cour réaffirme clairement que « le consentement au mariage ne saurait être assimilé à un consentement aux relations sexuelles futures. » Elle souligne aussi que des moyens alternatifs étaient à la disposition du conjoint pour mettre fin à la relation, comme le divorce pour altération définitive du lien conjugal, sans recourir à des motifs portant atteinte à l’intégrité du corps de l’autre partie.
Il est important de rappeler l’importance de la CEDH, au moment où beaucoup remettent en cause les décisions de la Cour, voire s’en émancipent.
La lutte contre les violences faites aux femmes est constante. Les militantes féministes le savent bien. Si elles connaissent des luttes victorieuses, des moments où les progrès s’accélèrent, elles savent aussi qu’obtenir gain de cause prend du temps –⁠ beaucoup de temps. Il a fallu de nombreuses années de lutte pour en finir avec cette idée que le lit conjugal, où se produisent la majorité des viols, est une zone de non-droit.
Le texte que nous examinons n’a rien de contraignant. Malgré tout, il est utile, au moins pour une raison : il nous permet de débattre du sujet.
Les textes affirmant des principes ne sont pas de trop, tant les retours en arrière nous guettent. Il est important de redire ici, dans l’hémicycle, que le corps des femmes n’est pas à la disposition des hommes. Faisons résonner la voix des victimes sur ces bancs, disons-leur que nous les croyons et qu’elles ne sont pas responsables.
Les mots doivent entraîner des actes. Nous profitons donc de l’examen de ce texte pour rappeler que de nombreuses propositions existent pour lutter contre les violences faites aux femmes. Nous espérons vivement que le travail engagé en vue d’une loi-cadre ou d’une loi intégrale aboutira, le plus rapidement possible.
Il sera aussi nécessaire d’abonder massivement les financements des associations de défense des droits des femmes et des centres d’hébergement d’urgence. Enfin, j’appelle à instaurer une formation citoyenne et politique sur les différentes formes de domination patriarcale. Nous voterons évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS. –⁠ M. Jean-François Coulomme applaudit aussi.)

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