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Mesure d’urgence en faveur des intermittents de l’emploi

« S ’asseoir à la table d’un restaurant. S’évader le temps d’un spectacle. Vibrer à l’unisson dans les gradins. Retourner à la salle… Cette vie nous avait tant manqué ! » C’est le message publié sur les réseaux sociaux par le Président de la République, mercredi dernier, 9 juin, à l’occasion de la nouvelle phase du déconfinement.

Le même jour, toujours sur les réseaux sociaux, Emmanuel Macron rendait hommage aux restaurateurs et aux cafetiers, « ces métiers qui portent l’identité de notre pays, cet art de vivre dans nos grandes villes, comme dans nos terroirs et qui ont dû faire face à la crise ».

Un bel hommage certes, mais un hommage incomplet. Comme souvent, il y a des oubliés. Car si les restaurants, les spectacles ou les gradins reçoivent à nouveau du public, c’est grâce au dévouement de millions d’invisibles, les intérimaires, les extras, les vacataires, les saisonniers, qui travaillent dans des secteurs directement touchés par la crise sanitaire : l’événementiel, l’hôtellerie, la culture, la restauration, l’entretien ou encore le tourisme.

Tous ces secteurs sont directement dépendants de ceux qu’on appelle les intermittents de l’emploi, ces travailleurs qui alternent structurellement des jours salariés en fonction des missions ou des projets qui leur sont confiés et, éventuellement, des jours indemnisés par Pôle emploi, quand ils y ont droit. Ils participent par leur travail au rayonnement économique, touristique et culturel de nos territoires. Ils font tourner notre pays et rendent possible cet art de vivre, malgré une précarité alarmante.

Cette précarité découle de la succession de contrats de courte durée qui leur est imposée. Leurs horaires sont flexibles, leurs conditions de travail souvent dégradées, et leurs salaires peu élevés. Ils jonglent avec les petits boulots et les missions d’intérim, et sont appelés à la dernière minute pour venir en renfort, le temps d’une soirée, d’une semaine ou d’une saison. Pour eux, rien n’est jamais durable.

On entend parfois dans les discours dominants que les salariés alternant des périodes de travail et d’indemnisation seraient des profiteurs ; c’est d’ailleurs dans cet esprit que le Gouvernement argumente pour justifier la réforme honteuse de l’assurance chômage, en pleine crise économique.

À vous entendre, l’explosion des contrats courts serait due à une assurance chômage trop protectrice : c’est faux, archifaux ! Ce n’est pas l’assurance chômage qui engendre des contrats courts, mais bien le patronat qui choisit de précariser l’emploi.

Une étude publiée le mois dernier par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), organisme rattaché au ministère du travail, rappelle bien qui porte la responsabilité de cette situation : « Depuis une vingtaine d’années, les employeurs ont intensifié leur recours à des contrats de travail de courte durée. »

Pour mémoire, la part des contrats à durée déterminée dans les embauches est passé de 76 % en 2000 à 87 % en 2019, hausse qui s’explique en partie par l’utilisation croissante des CDD de moins d’un mois.
Non, le chômage n’a jamais été un choix. Il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver un emploi stable, a fortiori dans les secteurs où la précarité est reconnue et validée officiellement par le Gouvernement – j’en veux pour preuve l’agrément du ministère du travail, qui fait de l’intermittence une norme reconnue dans de nombreux secteurs ou métiers.

Madame la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chacun son point de vue, nous ne serons jamais d’accord. Nous sommes des révolutionnaires ; vous ne l’êtes pas pour un sou.

Loin d’être choisie, c’est bien une précarité subie qui s’abat sur les intermittents de l’emploi, une situation qui pèse sur la santé et le moral. D’ailleurs, l’étude de la DARES déjà citée pointe les dégâts sur la vie privée rendue difficile par un volume d’heures incertain et par la nécessité de rester disponible.

Depuis plusieurs années, des libéraux, comme vous, tentent d’imposer leur modèle de flexisécurité. Être moderne, ce serait accepter un travail flexible en contrepartie d’une hypothétique sécurisation du parcours de vie. Dans le cas présent, ces salariés doivent assumer la flexibilité mais sans aucun filet de sécurité.

Voici un cri d’alerte que vous avez peut-être reçu : « Monsieur le député, pas moins de 2 millions de personnes ont été oubliées des plans de relance. La situation de ces salariés s’est détériorée – divorces, expulsions, suicides – sous le triste quotidien des oubliés du quoi qu’il en coûte. Cette proposition de loi est vitale. Nous vous demandons de la soutenir et de convaincre vos collègues et de la voter. Comme l’a déclaré Jeanne Balibar lors de la cérémonie des Césars, il y a non-assistance à personne en danger. »

Mes chers collègues, ce message, envoyé par le collectif des précaires de l’hôtellerie , de la restauration , et de l’événementiel, vous l’avez tous vu dans votre boîte de réception. Il illustre la très forte attente de ces salariés en emploi discontinu. La plupart d’entre eux sont aujourd’hui en fin de droits en raison des périodes de confinement et des restrictions sanitaires imposées à leur secteur d’activité. Ils se sentent oubliés par l’État, car si les salariés en emploi stable ont bénéficié de mesures de soutien, notamment du chômage partiel, la plupart de ceux en emploi discontinu n’ont eu aucune mesure d’accompagnement.

Avec ce texte, nous vous proposons de répondre à cette détresse financière, sociale et psychologique vécue par les intermittents de l’emploi. Pour ce faire, nous avons un double objectif : d’une part, instaurer de manière pérenne des droits relevés en matière d’assurance chômage ; d’autre part, bien entendu, répondre à l’urgence par des mesures de solidarité concrètes et de soutien financier immédiat. Nous proposons donc de compenser les pertes exceptionnellement engendrées par la crise sanitaire et par l’arrêt subit des activités de ces salariés.

Comment pourrait-on tourner le dos à cette souffrance, à ces cris d’alerte, alors que 100 % des grandes entreprises du CAC40, qui annoncent des dividendes records, ont touché des aides publiques ? En pleine pandémie, les actionnaires toucheront 22 % de rémunération en plus et empocheront la coquette somme de 51 milliards. Après avoir dévoré le pactole du plan de relance, ils ne rendront rien ; tel est le miracle des aides données sans aucune contrepartie. La solidarité ne peut être réservée aux plus riches !

L’autre grande injustice que nous vous proposons de lever, c’est celle qui concerne l’assurance chômage. Votre réforme, imposée de manière dogmatique et sans tenir compte des réalités vécues par les privés d’emploi, doit entrer en vigueur au 1er juillet. Nous vous offrons la possibilité de faire machine arrière, afin de ne pas venir sanctionner des salariés déjà en grande difficulté.

Voici la question que des intermittents de l’emploi m’ont posée : comment se réjouir de voir la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion défendre sa réforme de l’assurance chômage alors qu’elle massacrera, lorsqu’ils reprendront leur activité, ceux-là mêmes qui n’ont déjà plus rien ? Le mot « massacrer » est cru mais il est à la hauteur de la colère et de l’attaque que subiront les 1,2 million de personnes qui verront leur allocation baisser dès la première année, selon les projections réalisées par l’UNEDIC.

Du reste, les premières victimes du changement de calcul du salaire journalier de référence seront bien les intermittents de l’emploi. Pour eux, ce sera la double peine : déjà victimes d’une crise économique violente et d’un statut de travailleur précaire, ils seront également punis par une réduction de leurs droits au chômage. Non seulement le montant journalier baissera, mais le nombre de jours indemnisés également.

Alors que plus d’un million de nos concitoyens ont basculé sous le seuil de pauvreté et que les milliardaires français sont toujours plus nombreux, vous voulez mettre un nouveau coup d’accélérateur aux inégalités. C’est inacceptable.

Vous ne pouvez pas persister dans ce projet dévastateur, le pays n’est pas prêt à vous suivre dans cette voie rétrograde. Les syndicats sont unanimes, tous contre vous. Les intermittents, les « interluttants », les privés d’emploi ont occupé de nombreux théâtres et lieux symboliques, avec comme première revendication, l’abandon de la réforme de l’assurance chômage. Le Conseil d’État a même retoqué votre premier décret, au nom du principe d’égalité. Nous proposons donc d’arrêter de chouchouter les riches et de nous occuper des humains. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.)

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Alain
Bruneel

Député du Nord (16ème circonscription)

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