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Meilleur encadrement du pacte Dutreil (PPL)

Les plus de 467 niches fiscales recensées dans notre budget représentent, chaque année, un coût de 84 milliards d’euros. Nombre d’entre elles forment un véritable trou noir budgétaire qui engloutit les moyens dont manquent les services publics –⁠ hôpitaux, écoles, justice – et dont manquent de si nombreux citoyens qui attendent que l’on réponde à leurs besoins et attentes essentiels.
Le pacte Dutreil, pour sa part, jouit du rare privilège de disposer d’une estimation de son coût –⁠ estimation au mieux incertaine toutefois. Longtemps évalué à 500 millions d’euros, ce coût a été réévalué à 800 millions lors du dernier budget, sans aucune explication. Le CAE avance, quant à lui, une fourchette située entre 2 et 3 milliards d’euros. Une telle estimation ferait figurer le pacte Dutreil à la quatrième position des niches les plus coûteuses. Ces sommes pourraient faire penser que le pacte Dutreil serait une cible de choix pour un gouvernement annonçant vouloir faire jusqu’à 40 milliards d’économies, dont 4 à 8 milliards grâce à la suppression de niches fiscales ! Mais il n’en est rien, et il préfère faire les poches des salariés et des plus précaires.
Ces considérables écarts entre les estimations témoignent d’un évident déficit d’information, sur cette niche comme sur bien d’autres. Pendant que des milliards s’évaporent, sans contrôle, au sommet de la société, des millions de nos concitoyens doivent se justifier de chaque euro d’aide sociale qu’ils perçoivent. Les plus précaires, eux, vivent sous la menace permanente du soupçon de fraude, alors même que l’opacité règne là où circulent les montants les plus faramineux.
Ce deux poids, deux mesures est insupportable. Les dépenses fiscales, comme toutes les dépenses publiques, doivent faire l’objet d’un débat sérieux, éclairé par des données fiables et transparentes.
Les béances de notre système statistique, force est de le constater, ne permettent pas d’apprécier à sa juste mesure le coût et l’efficacité de ces niches.
Elles doivent également être contrôlées, afin que nous puissions nous assurer que les maigres conditions qui les encadrent soient respectées. Sur ces contrôles, là encore, nous manquons de données. Il est pourtant important de renforcer le contrôle fiscal sur le dispositif Dutreil, pour lutter contre des abus comme le non-respect des délais de détention ou des obligations de gouvernance.
Ces 84 milliards ne font pas que dissimuler une atténuation d’impôts jugés trop élevés. Certaines niches répondent à des objectifs sociaux recevables. C’est le cas, par exemple, du taux de TVA dérogatoire à la Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, de la non-imposition des prestations familiales ainsi que de l’allocation aux adultes handicapés.
D’autres niches, en revanche, subventionnent les énergies fossiles ou, plus souvent encore, constituent des mécanismes d’évitement de l’impôt, sans justification sociale ni économique. Le bénéfice de ces niches n’est pas à la portée de tous : il y a ceux qui peuvent se payer un avocat fiscaliste, et ceux qui doivent faire leurs comptes pour boucler leurs fins de mois. Pour en utiliser pleinement le potentiel, il faut avoir des connaissances et bénéficier de l’aide de conseils extérieurs.
Une fois n’est pas coutume, je pourrais reprendre les mots qu’a eus Mathieu Lefèvre dans une tribune sobrement intitulée, écoutez bien, « Supprimons toutes les niches fiscales et rendons l’argent aux Français ! », publiée le 17 avril dernier par Les Échos. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et EcoS.) Je le cite : « Cette proposition assume de faire des perdants parmi les contribuables qui optimisent la défiscalisation au détriment de ceux qui se tiennent éloignés de tous ces mécanismes. »
Pendant ce temps, combien de personnes doivent renoncer, parce qu’elles ne maîtrisent pas les procédures, à une aide ou à un droit ? Combien de familles populaires ne réclament pas le RSA, l’allocation de rentrée scolaire ou le chèque énergie, faute d’être accompagnées ?
Dans notre système, les plus riches peuvent éviter l’impôt en toute légalité, pendant que les plus pauvres n’exercent pas leurs droits ou sont stigmatisés comme fraudeurs potentiels.
Ne croyez pas que le groupe GDR se ramollisse mais, contrairement à M. Lefèvre, nous ne proposons pas, aujourd’hui, de supprimer toutes les niches fiscales, ni de supprimer le pacte Dutreil –⁠ simplement de réguler ce dernier. Il s’agit de faire en sorte que cette niche fiscale serve véritablement les objectifs qu’elle était censée remplir. Créé en 2000 pour enrayer la vague de ventes d’entreprises françaises à des fonds d’investissement étrangers, le pacte Dutreil a, depuis, connu une double dérive, à laquelle nous voulons nous attaquer : une extension excessive des avantages qu’il offre et, parallèlement, un affaiblissement des conditions qui l’encadrent. Les amendements déposés par notre rapporteur ne visent donc pas à affaiblir cette niche, mais à corriger les dérives législatives et pratiques qui l’ont éloignée de ses objectifs initiaux. Il s’agit d’un retour à l’esprit originel du texte : une « révolution », au sens étymologique du terme –⁠ un retour sur soi.
Dans cette logique, le rétablissement d’un engagement de conservation des titres individuels pour une plus longue durée –⁠ huit années contre quatre actuellement – s’inscrit pleinement dans l’objectif de favoriser une détention familiale prolongée. Permettez-moi de rappeler que le dispositif en vigueur avant le pacte Dutreil exigeait un engagement individuel et collectif de seize ans : notre proposition est bien moins contraignante.
Notre volonté d’exclure certains biens professionnels du périmètre du pacte Dutreil vise, dans un même esprit, à empêcher des abus manifestes. On ne peut accepter que des actifs personnels, comme des chalets à Megève, puissent être transmis à un taux fortement réduit sous couvert d’un statut professionnel douteux.
Sur une donation de 100 millions d’euros, par exemple, l’assiette imposable se voit ramenée à 25 millions. Alors que le taux d’imposition de la transmission devrait théoriquement être de plus de 40 %, le taux effectif des mutations ne s’élève ainsi à guère plus de 10 %. Ce taux peut même être abaissé à près de 5 %, en cumulant les avantages du pacte Dutreil avec ceux de la donation en pleine propriété effectuée avant 70 ans. Ce taux et ce cumul de dispositifs dérogatoires, qui peuvent déjà paraître excessifs en temps normal, deviennent vraiment insupportables quand ils concernent des biens sans rapport aucun avec l’activité économique de l’entreprise faisant l’objet de la transmission.
L’Inspection générale des finances (IGF) recommande d’ailleurs de procéder à ce recentrage que l’Allemagne, la Belgique ou encore au Royaume-Uni ont déjà opéré. Notre proposition –⁠ sans chercher à faire offense à notre rapporteur – est modérée, et même œcuménique. Pourtant, une nouvelle fois –⁠ comme à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la taxe Zucman –, le bloc central et l’extrême droite ont fait chorus, en commission, pour rejeter cette réforme. Ce soir, ils sont visiblement un peu moins nombreux ! (Mme Anaïs Belouassa-Cherifi applaudit.)
Le groupe GDR s’est retrouvé sur le banc des accusés dans un procès en idéologie. C’est amusant : l’idéologie est toujours celle des autres, et c’est presque drôle, quand cette accusation vient d’un camp qui a déposé sur ce texte de multiples amendements, dont beaucoup s’apparentent à de l’obstruction –⁠ certains ne changeant que le titre de la proposition de loi, avec cet humour propre aux macronistes que je qualifierais de douteux.
Oui, ce texte est l’expression d’un choix politique. Face à une idéologie de classe qui protège le capital et abandonne les vies fragiles, la nôtre sera toujours du côté de celles et ceux qui luttent pour leur dignité.
Cette idéologie de classe ne s’embarrasse même plus de justifications scientifiques. L’inspection générale des finances l’a elle-même constaté dans son rapport de mars 2024 sur les aides aux entreprises : le Medef et le Meti défendent ardemment le pacte Dutreil, sans être capables d’en démontrer l’efficacité. Aucune étude sérieuse ne prouve l’efficience économique de la transmission des entreprises aux héritiers. La littérature académique, au contraire, démonte cet axiome pourtant martelé par les porte-parole du patronat. Une étude de David Sraer et David Thesmar souligne notamment que la promotion familiale des dirigeants conduit à une baisse de 10 points de la rentabilité économique à court terme. Personne ne peut donc démontrer qu’il est efficace, d’un point de vue économique, de confier la direction des entreprises aux fils ou aux filles de leurs fondateurs.
À l’injustice du népotisme, il faut donc ajouter son inefficacité économique. Ceux qui, pourtant, prônent du matin au soir le mérite et la responsabilité individuelle comme fondement de la hiérarchie sociale seront les premiers à s’opposer à cette proposition de loi – preuve que ce qui vous anime, c’est le maintien de cet ordre de privilèges, de rentes et d’inégalités. Vous êtes ici pour défendre une société où la destinée de chacun est fixée à la naissance.
Nous sommes, nous, épris de liberté –⁠ et donc d’égalité. Prenez donc ce chemin, en encadrant le pacte Dutreil : ce n’est que justice ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)
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