Les prises de parole de personnes qui, enfants, avaient été victimes d’inceste, ont révélé à la société entière que les agresseurs sont nos pères, nos oncles, nos frères, nos grands-pères… Le procès Pelicot a, lui, démontré la banalité du crime de viol, une banalité dans la fréquence, une banalité dans les profils. Une banalité qui se joue dans un silence assourdissant.
Il nous faut à présent être à la hauteur. Or, disons-le, nous ne le sommes pas encore – et la réponse judiciaire non plus. Vous avez rappelé plusieurs chiffres : seules 6 % des victimes de viol portent plainte et 94 % de ces plaintes sont classées sans suite – 86 % dans les affaires de violences sexuelles.
Il ne s’agit plus seulement d’écouter les victimes mais bel et bien d’agir. Il existe de nombreuses propositions visant à mettre fin à ce qui constitue une violation du droit à l’intégrité physique et une violation du droit à la dignité. Parmi ces propositions, on peut relever le vote d’une loi-cadre contre les violences sexistes et sexuelles, une loi intégrale, globale pour s’attaquer à tout ce qui touche à ces violences sexistes et sexuelles. On pense également au financement massif des associations de défense des droits des femmes ou encore à la nécessaire formation citoyenne et politique sur les différentes formes de domination patriarcale et sur les procédés des agresseurs.
Nous examinons une proposition de loi composée de mesures défendues par la Ciivise qui, depuis plusieurs années, réalise un travail d’alerte remarquable que je salue.
L’une de ces mesures, l’imprescriptibilité de l’action civile, soulève plusieurs interrogations, évoquées en commission le 22 janvier dernier. L’imprescriptibilité civile implique que la victime peut se voir indemnisée pour le viol qu’elle a subi à n’importe quel moment de sa vie et quand bien même l’action publique pénale serait prescrite. Or l’action civile repose en partie sur l’action pénale. Afin d’indemniser la victime d’un viol, il faut prouver un fait générateur du préjudice, qui est ici précisément le viol. En l’absence de possibilité pour le procureur de mener une enquête en raison de la prescription au pénal, la caractérisation du fait générateur est impossible.
Aussi ne faut-il pas sous-estimer le phénomène de déperdition des preuves qui empêche toute caractérisation de l’infraction : c’est non seulement un des fondements de la prescription mais aussi et bien souvent un des fondements des classements sans suite. Seul un cas subsiste : celui où l’auteur avouerait le viol après la prescription de l’action publique. La probabilité d’un tel événement dans le cadre d’une société mue par un patriarcat plurimillénaire reste néanmoins très faible. Non seulement la société ne l’y invite pas, mais encore l’auteur de viol n’a aucun intérêt à supporter les conséquences de tels aveux.
Il existe un risque important, celui que nous tâchons d’évaluer à l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi : créer de faux espoirs. Au bout de la chaîne, c’est l’autorité judiciaire qui sera qualifiée d’incompétente et les victimes qui se sentiront peut-être encore plus abandonnées. On risque en effet de reprocher à la justice d’enregistrer un nombre important de procédures et de prononcer peu de condamnations en raison du manque de preuves du fait générateur du préjudice.
Enfin, le caractère imprescriptible pourrait, dans certains cas, faire peser l’indemnisation du crime sur la descendance de l’auteur si celui-ci vient à décéder.
L’extension de la prescription glissante aux victimes majeures ne pose pas de difficultés pour le groupe GDR : la pratique permettant en réalité déjà de couvrir ces cas de figure, nous ne voyons pas d’obstacle à l’inscrire dans la loi.
En ce qui concerne le contrôle coercitif, la rédaction proposée en commission pose plusieurs problèmes, avis partagé par l’ensemble des commissaires. Nous pensons que l’efficacité de cette infraction repose sur la qualification autonome qu’on pourrait lui donner. Si la définition proposée par Mme Josso nous semblait intéressante, il faut veiller à ne pas trop restreindre les marges de manœuvre du magistrat.
Pour finir, je tiens à souligner à quel point il nous faut avancer rapidement vers une loi-cadre de nature à nous permettre de lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles dans la société. Pour ce qui est de la présente proposition de loi, vous aurez compris que nous nous déciderons en fonction de la teneur de nos débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Mme Colette Capdevielle applaudit également.)
Discussions générales
« Il nous faut avancer rapidement vers une loi-cadre »
Publié le 28 janvier 2025
Elsa
Faucillon
Députée
des
Hauts-de-Seine (1ère circonscription)
