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Lutte contre le dumping social sur le transmanche

Puisqu’il est question de la Manche, je tiens d’abord à réaffirmer ma solidarité à l’égard des marins-pêcheurs mobilisés sur toute la façade ouest : de Boulogne aux ports bretons, en passant par Dieppe, Le Tréport, Le Havre et toute la Normandie, des ports sont bloqués et des criées sont fermées, parce que le métier de pêcheur artisan est en danger. Soumis aux conséquences du Brexit, à l’accaparement des quotas par la pêche industrielle non contrôlée et à la volonté de Bruxelles d’interdire les arts traînants dans les aires marines protégées, au détriment des entreprises à taille humaine, les pêcheurs n’ont plus aucune visibilité. Leur colère, qui s’exprime au-delà des comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins (CRPMEM), doit être entendue par l’État.

Pour en revenir au transmanche, appelons un chat un chat : le dumping social pratiqué sur certains ferries immatriculés sous pavillon chypriote – pavillon de complaisance accordé au cœur de l’Union européenne – s’apparente à de l’esclavage moderne. Des marins sont recrutés dans des pays à faible coût de main-d’œuvre par des agences d’intérim et embarqués pour des durées pouvant atteindre dix-sept semaines, en vertu de contrats selon lesquels leurs jours de repos ne leur sont pas payés lorsqu’ils mettent pied à terre, ce qui les incite à repartir en mer sans avoir eu le temps de se reposer. Grâce à ce système, qui repose tout entier sur la recherche d’un avantage commercial par la dégradation des conditions sociales d’exploitation des navires, des compagnies ayant pignon sur rue affichent des coûts salariaux inférieurs de 80 % à ceux des armateurs immatriculés au pavillon français.

Disons-le sans détour, chers collègues : les sociétés qui recourent à procédés de voyous, dignes du temps de Dickens ou dignes de Thatcher, ne reculeront devant rien pour défendre leur juteux modèle. Nous devons engager un rapport de force, en France par la loi, mais aussi à l’échelle européenne, pour imposer une harmonisation par le haut des règles qui prévalent dans le transport maritime par ferry.

Le premier enjeu, que tous les intervenants ont évoqué, est celui de la sécurité : il existe une forte corrélation entre la sécurité en mer et les rythmes de travail, la santé des navigants, leur niveau de qualification et leur bien-être. Nous agissons pour prévenir un accident en mer, qui ne manquera pas de survenir au vu des risques intrinsèques que ce modèle de dumping social emporte quand les navigants qu’il emploie sont traités comme des kleenex. Cette impérieuse nécessité de sécurité autorise le recours à une loi de police. Personne ne le conteste plus désormais, surtout dans l’espace de la Manche qui, avec ses 600 navires par jour, est, aux heures de pointe, comparable au périphérique parisien.

Le deuxième enjeu, majeur, est social et économique : les compagnies maritimes opérant des liens transmanche établies en France – DFDS Seaways et Brittany Ferries – emploient 2 500 marins français, ce qui représente le premier contingent de marins nationaux. Ces compagnies ont prévenu : si rien n’est fait pour mettre un terme au dumping social, elles nivelleront par le bas et remettront en cause le statut des marins français. La France, deuxième puissance maritime mondiale, peut-elle l’accepter ? Évidemment non. Alors ne soyons pas sur la défensive : les auditions ont montré que nous disposions d’une fenêtre de tir juridique et que nous devions, pour lutter contre le dumping social, prendre en considération, non seulement la rémunération, mais aussi les rythmes de travail, sur lesquels les compagnies low cost font reposer leur modèle dégradé en divisant par 2,5 le nombre de personnels présents sur leurs navires. Elles ont aussi montré que même la moins sévère des règles que nous introduirons sera contestée par P&O Ferries ou Irish Ferries – il ne faudrait pas toucher au grisbi – et que le temps long du contentieux doit nous permettre de mener cette bataille à l’échelle européenne. Tel est le sens de la proposition de loi.

Nous devons également, pour préserver l’attractivité des métiers de marin, refaire dans la loi ce qui a été défait par le Brexit, en excluant les liaisons transmanche du RIF. J’ai noté avec satisfaction, monsieur le secrétaire d’État, votre engagement à prendre un décret en ce sens. Je me réjouis que vous repreniez ainsi l’un des articles de ma proposition de loi.

Je terminerai en citant quelques mots d’un marin qui, après avoir travaillé plus de vingt ans pour P&O Ferries, a été débarqué manu militari avec près de 800 autres, le 17 mars 2022 : « On ne peut même pas dire qu’on a été virés comme des malpropres. Non, là c’est pire : commando, cagoule, menottes, matraque, dehors ! Voilà ce que nous avons subi. » Monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, nous vous suivrons si le texte impose une riposte proportionnée à ces pratiques de voyous. Davantage qu’un « poil à gratter », pour reprendre un terme que j’ai entendu au cours des auditions, cette proposition de loi doit être un chemin à suivre pour que la sécurité et le bien-être des gens de mer soient au cœur du modèle européen de ferries. Tel est l’état d’esprit dans lequel le groupe GDR-NUPES l’examen de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC, Écolo-NUPES et sur les bancs des commissions, ainsi que sur quelques bancs du groupe RE. – MM. Jimmy Pahun et Pierre-Henri Dumont applaudissent également.)

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)

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