Comme il est heureux de travailler dans cet hémicycle sur le sujet si déterminant de la maîtrise et de la préservation du foncier ! Que notre collègue Dufau soit sincèrement remercié de son initiative.
Autant le dire d’emblée, les députés du groupe GDR soutiendront l’ensemble des mesures salutaires de cette proposition de loi : la lutte contre les ventes en démembrement de propriété qui se multiplient ces dernières années et le renforcement du droit de préemption partielle des Safer, à l’article 1er ; la lutte contre la rétention des biens plus de cinq ans, rétention qui a pour but de leur faire perdre leur vocation agricole, à l’article 2 ; les dispositions confortant le droit de visite préalable des biens par les Safer, à l’article 3 ; la création d’un droit de révision du prix total du bien afin de lutter contre le contournement du droit de préemption, prévue par l’article 3 bis.
D’immenses défis nous attendent, à très court terme, si nous voulons simplement préserver notre capacité à nourrir nos concitoyens demain. Alors que notre pays compte 28,3 millions d’hectares de surface agricole utile, soit 54 % du territoire national, 20 % au moins de ces surfaces devraient, dans les cinq prochaines années, changer de propriétaires, avec des cessions d’activité et une nouvelle pression foncière.
Certes, la spéculation sur les terres agricoles a longtemps été contenue par la politique foncière française qui a assuré, malgré ses imperfections, un véritable contrôle du marché foncier.
La création du statut du fermage en 1946, puis celle des Safer et de leur droit de préemption, en 1960 et 1962, ont été les outils essentiels de cette régulation, une régulation tout à fait originale dans le paysage agraire européen, où, rappelons-le, les prix de l’hectare agricole sont aujourd’hui deux, trois, voire jusqu’à dix fois plus élevés que le prix de l’hectare français !
Malgré le caractère protecteur de nos politiques publiques, l’alignement, depuis les années 1980, de l’agriculture française sur les marchés mondiaux et les réformes libérales de la PAC, la politique agricole commune, ont accéléré la concentration des structures et les pressions foncières – d’abord au sein même de la profession.
Une autre progression est spectaculaire : celle de l’artificialisation des sols pour des usages d’habitation, de déploiement d’infrastructures de transport ou d’implantation de surfaces de commerce et de services.
Beaucoup de collègues ont rappelé à juste titre les nouvelles protections établies ces dernières années pour faire face à ces dynamiques inquiétantes, notamment la loi du 20 mai 2019 pour la protection foncière des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale, dite loi Pahun, et la loi Sempastous. Toutefois, si toutes ces initiatives étaient bienvenues, elles tenaient davantage du grignotage. Comme le relevait le travail de la mission d’information conduite par notre collègue Dominique Potier, nous avons l’impression de courir sans cesse derrière les spéculateurs et tous les « ardents accapareurs » de rente foncière !
Si les protections juridiques mises en place au coup par coup sur le foncier agricole sont si souvent contournées, c’est bien parce qu’il manque aujourd’hui, dans notre pays et a fortiori à l’échelon européen, une véritable volonté politique de redonner la priorité à une agriculture durable, familiale, à taille humaine.
Je suis désolé de le redire, madame la ministre, mais le rendez-vous manqué de la loi d’orientation agricole sur ce sujet est tout à fait révélateur : pour réguler, redistribuer le foncier agricole, il faut le courage de s’attaquer à toutes les féodalités économiques qui se dressent devant le partage de la terre au bénéfice de ceux qui la travaillent ! Cela suppose aussi de dégager des outils de financement public à la hauteur, pour les acteurs chargés de la régulation et de la préemption comme pour l’accès des nouveaux agriculteurs au foncier à des tarifs abordables.
Si nous sommes nombreux à plaider pour ce nouvel acte fondateur en matière de politique foncière agricole, c’est surtout parce que nous mesurons combien il est intenable à moyen terme d’assurer la transition agroécologique de notre agriculture et de garantir la durabilité de la valeur productive de nos sols agricoles si nous ne transformons pas en profondeur les rapports sociaux de production et d’échange.
Les défis du renouvellement des générations en agriculture et de la viabilité d’une agriculture durable ne pourront faire longtemps l’impasse sur ce débat de fond – même s’il est sans doute bien plus idéologique que les mesures concrètes et salutaires dont nous débattons aujourd’hui.
Discussions générales
Lutte contre la disparition des terres agricoles et régulation des prix du foncier agricole
Publié le 11 mars 2025
André
Chassaigne
Président de groupe
Député
du
Puy-de-Dôme (5ème circonscription)