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Lutte contre la banalisation des discours de haine dans le débat public

Notre démocratie est d’autant plus vivante qu’elle se nourrit d’une ardente confrontation des idées, dans le respect de nos valeurs républicaines. C’est ce cadre-là, auquel nous sommes tous fondamentalement attachés, qui permet la plus large liberté d’expression politique. Or, depuis de nombreuses années, ce pacte qui nous unit est dévoyé, mis à mal par la banalisation de propos racistes, discriminatoires et antisémites.

Alimentée par les réseaux sociaux, relayée par certains médias et par une accumulation de déclarations publiques, cette banalisation de propos racistes menace notre société, comme elle menace des citoyens agressés à cause de leur couleur de peau, de leur origine ou de leur religion.

Le constat, hélas, n’est pas nouveau. Dès 2015, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU s’inquiétait de la banalisation en France du discours haineux à l’égard des minorités, notamment des Roms. Ces dernières années, ce sont les actes contre nos concitoyens musulmans ou juifs qui ont progressé.

Les chiffres sont tristement éloquents. Ils marquent une inquiétante progression des propos racistes et antisémites. Pendant l’année 2020, pourtant marquée par le confinement, le Conseil français du culte musulman a enregistré une progression de 53 % par rapport à 2019 des actes antimusulmans commis sur notre sol.

De son côté, le service de protection de la communauté juive, s’il se réjouit d’une légère baisse des actes antisémites en 2020 par rapport à 2019 et 2018, déplore une explosion de 121 % de ces actes, entre 2017 et 2019.

Mais les chiffres ne disent pas tout. La diffusion décomplexée des discours de haine a libéré des organisations d’extrême droite, identitaires, racistes, suprémacistes, que l’on croyait renvoyées pour longtemps aux oubliettes de l’histoire.

Le réveil est brutal, comme nous pouvons tous le mesurer dans la vie quotidienne, où des ministres, des parlementaires ou des joueurs de foot, des artistes sont comparés à des singes, où nos concitoyens musulmans sont associés au terrorisme, où des synagogues et des tombes sont taguées de croix gammées, quand ce n’est pas le portrait de personnalités comme Simone Veil. Nous avons également en mémoire les tirs d’un ancien candidat du Front national contre la mosquée de Bayonne, faisant deux blessés graves.

Dernièrement, à Arras, ce sont des militants d’extrême droite qui ont déployé, devant la façade de la section locale de mon parti, une banderole reprenant le sigle d’un groupe terroriste auteur de multiples attentats dans le monde. L’un de ces délinquants portait un tee-shirt orné d’une tête de mort de la Waffen-SS, l’unité spéciale chargée de la gestion des camps de concentration.

Ce genre d’épisode, misérable, est loin d’être isolé, et mon parti a d’ailleurs subi pas moins de vingt-neuf dégradations similaires en deux ans. Chaque fois, ces événements suscitent l’indignation générale des citoyens, des associations, d’anciens combattants et de déportés, des élus de tous bords, de gauche et de droite, tous rassemblés pour refuser cette idéologie, comme nous le fûmes, dans la Résistance et pour la libération du pays.

Pourtant, les propos racistes et antisémites perdurent dans le débat public, la parole et les actes semblent libérés. Ainsi, le 23 novembre dernier, treize hommes fichés S, membres du groupe d’extrême droite « Recolonisation France », ont été arrêtés par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité (OCLCH) : sur les réseaux sociaux, ce groupe appelait à former des unités armées, dans la perspective d’une guerre civile causée par l’immigration.

Ce climat, je le répète avec force, est une menace pour notre démocratie. C’est pourquoi nous devons non seulement être extrêmement vigilants sur les propos tenus dans l’espace public, mais aussi d’une fermeté totale à l’égard de ceux qui transgressent nos lois.

Dans cette bataille, les élus se doivent d’être en première ligne, irréprochables, exemplaires. C’est d’ailleurs pourquoi, au fil des récentes affaires qui ont traversé notre vie politique et sur lesquelles je ne reviens pas, des peines complémentaires d’inéligibilité se sont imposées dans la loi. Elles sont notamment prévues dans les cas de manquement au devoir de probité, dans les cas de corruption, de trafic d’influence, de fraude fiscale ou électorale.

Des élus, des responsables politiques nationaux, des ministres ont été sanctionnés, et c’est tant mieux. La justice a fait son travail en prononçant des peines d’inéligibilité. Qui accepterait qu’un responsable politique condamné pour détournement de fonds puisse se présenter aux élections ?

La même sanction complémentaire d’inéligibilité existe aussi pour les délits d’injure ou de violence à caractère raciste, antisémite ou homophobe, d’apologie du terrorisme, de négationniste ou de participation à des associations dissoutes.

Au début de cette législature, le Parlement s’était emparé de cette question en adoptant un amendement au projet de loi pour la confiance de la vie politique, qui visait à rendre cette sanction automatique. C’était une courageuse initiative, mais le Conseil constitutionnel a invalidé cette disposition, en raison, précisément, du caractère automatique de la peine.

La proposition de résolution que nous vous soumettons évite cet écueil. Elle ne prétend pas créer de nouvelles dispositions mais entend tout simplement rappeler la loi, toute la loi, rien que la loi ! En effet, la loi du 29 juillet 1881, modifiée par la loi Gayssot du 13 juillet 1990, prévoit déjà, dans son article 24, de sanctionner d’une peine complémentaire d’inéligibilité les auteurs d’infractions racistes ou discriminatoires.
Par cette résolution, nous vous proposons d’envoyer un message fort, unanime, républicain, afin de garantir un débat public sans propos xénophobes. Entendons-nous : il ne s’agit pas, comme j’ai pu l’entendre, de brider la liberté d’expression, mais au contraire de la protéger contre ceux qui la pervertissent.

Il ne s’agit pas non plus d’interdire à qui que ce soit de se présenter à l’élection présidentielle. Ce n’est pas notre rôle. Il y a des règles, notamment liées à la présentation de 500 parrainages, et c’est au Conseil constitutionnel de vérifier si toutes les conditions sont remplies.

Concernant l’inéligibilité, ce sont les juges qui décident, ou pas, de prononcer cette peine, y compris dans les procès à venir, quel que soit d’ailleurs votre vote sur cette résolution.

Ce que nous voulons, c’est, grâce à un vote qui pourrait être unanime, envoyer un message ferme, simple et clair, pour réaffirmer que, dans notre pays, les propos racistes et antisémites sont bannis du débat public et peuvent entraîner l’inéligibilité de leur auteur.

À quelque mois d’élections importantes, montrons aux Français que nous pouvons avoir un débat qui mette en évidence nos différences mais sans jamais tomber dans l’outrance.

Je vous interroge toutes et tous : quelle image renverrait notre assemblée si, à l’inverse, nous rejetions une telle résolution ? Qu’est-ce que cela signifierait ? Que les propos racistes relèvent de la liberté d’expression ?

Que l’incitation à la haine peut figurer dans le débat public, sans que cela ne nous pose aucun problème ?
Je m’adresse donc à vous, députés de la majorité et du groupe Les Républicains, que j’aimerais voir siéger pour examiner cette résolution quel message allez-vous envoyer par votre vote ? Si ce texte est rejeté, le risque est bien d’adresser un mauvais message, un mauvais signal : le message, grave, que la parole raciste et antisémite n’est passible que d’une simple amende, comme c’est actuellement le cas dans notre loi.

Mes chers collègues, l’objectif poursuivi par la proposition de résolution peut, je le crois profondément, nous réunir très largement, dans la diversité de nos opinions. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI. – Mme Lamia El Aaraje applaudit également.)

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