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Loi de programmation militaire 2024-2030

MOTION DE REJET PREALABLE

Décider d’engager au cours des sept prochaines années 413 milliards d’euros en faveur de nos armées est un sujet sérieux et important. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons déposé une motion de rejet préalable, parce que nous souhaitons que les choix opérés dans ce texte fassent l’objet d’un large débat avec nos concitoyens, avec la société tout entière et non pas seulement au sein de notre assemblée.

En premier lieu, la présente loi de programmation militaire implique une stratégie au service de l’Otan, que les Français doivent connaître. Vous avez déclaré, monsieur le ministre, défendre une autonomie stratégique de la France. Toutefois, en quoi consiste cette autonomie alors que la France a rejoint le commandement intégré de l’Otan ? En ce qui nous concerne, nous souhaitons qu’elle se retire du commandement intégré et retrouve pleinement son autonomie stratégique, si chère aux gaullistes et aux communistes – nous sommes en cela fidèles à l’histoire.

Ensuite, le budget de la défense atteindra 69 milliards d’euros en 2030, alors que votre gouvernement demande aux Français énormément d’efforts, en particulier de travailler plus longtemps pour financer le système de retraite. Ce montant de 69 milliards représentera le premier budget de l’État – c’est inédit sous la Ve République – devant celui de l’éducation nationale.

Afin de lever toute ambiguïté quant à la position des élus communistes et du groupe Gauche démocrate et républicaine, je rappelle que nous sommes très attachés à l’indépendance et à la souveraineté de la France en matière de défense et d’industrie de défense. Nous voterons donc toutes les dépenses à même d’augmenter les moyens dans ce domaine, de les moderniser, de permettre aux soldats de s’entraîner, de se protéger et d’être les plus efficaces sur le terrain. La défense nationale ne se négocie pas. Elle doit être forte et efficace.

Je tiens d’ailleurs à rendre hommage aux soldats disparus ces dernières années et, à travers eux, à toutes celles et ceux qui sont prêts à faire le sacrifice ultime, celui de leur vie, pour que chacun puisse vivre libre dans notre République.

C’est d’ailleurs parce que nous sommes attachés à cette souveraineté que nous contestons vos choix d’investir autant d’argent dans une armée de projection, symbolisée par le projet de porte-avions de nouvelle génération qui coûtera 10 milliards. Avons-nous les moyens, monsieur le ministre, de financer à la fois une armée de projection et d’intervention sur des terrains lointains, et une armée à même d’assurer pleinement la sécurité de l’ensemble de notre territoire et la protection de tous nos concitoyens, sur tous les continents ?

Nous ne le pensons pas et nous tenterons de le démontrer au cours des débats.

De même, est-il indispensable d’investir 54 milliards dans la dissuasion nucléaire et dans l’escalade nucléaire, à l’heure où nous devrions, au contraire, tout faire pour que l’arme nucléaire disparaisse de la planète, dans un élan commun et multilatéral de toutes les puissances nucléaires ? Je reviendrai sur ce point.

Alors, qu’aurions-nous fait à votre place, si nous avions eu cette responsabilité, sur un sujet d’une telle importance pour la nation ? Bien sûr, nous aurions tout fait pour rattraper les retards pris ces dernières années et pour engager les moyens nécessaires face aux besoins de nos armées, en tenant compte du contexte de guerre et de tensions internationales. Nous aurions certes augmenté le budget des armées, sans toutefois le doubler. La question centrale est de définir, en premier lieu, les objectifs fixés aux armées.

Quelles sont, en effet, les priorités ? Tout d’abord, c’est se donner les moyens de disposer d’une armée dédiée à la défense du territoire national et à la protection de nos concitoyens et de nos ressortissants, où qu’ils se trouvent dans le monde. C’est également de nous protéger de toute attaque, qu’elle vienne d’un pays extérieur ou qu’il s’agisse de terrorisme. C’est de favoriser un lien puissant entre l’armée et la nation. C’est d’être capable de sécuriser l’immense espace maritime de la France, le deuxième plus important au monde.

C’est d’anticiper les attaques cyber et de protéger l’espace de toute militarisation. Enfin, pour éviter les guerres et les conflits, nous préférons investir dans la diplomatie plutôt que de l’affaiblir comme c’est le cas depuis trop longtemps. Nous plaiderons toujours en faveur de la recherche de la paix, du respect du droit international et d’un soutien sans faille aux actions lancées par les Nations unies. Nous défendrons toujours notre indépendance en matière de défense, tout en travaillant à des accords de sécurité collective, sans hégémonisme ni suprématie de quelque pays que ce soit – je pense en particulier à la domination des États-Unis au sein de l’Otan.

Notre longue histoire le prouve : en tant que communistes, nous ne sommes pas des naïfs. Face aux périls qui menaçaient notre pays, nous avons toujours répondu présents pour le défendre et pour résister à l’oppresseur, les armes à la main.

C’est pourquoi nous souhaitons que l’armée dispose des meilleurs matériels et des nouvelles technologies, que les soldats soient bien équipés, bien formés et mieux rémunérés. La présente loi de programmation militaire comporte sur ces différents points des avancées positives, je le concède.

Toutefois, le Président de la République affirme désormais qu’il faudrait avoir « une guerre d’avance » et « tirer les conclusions de ce que notre époque porte en germe ». De notre côté, nous craignons au contraire d’avoir, avec cette LPM, une paix de retard si rien n’est engagé politiquement pour désarmer les conflits et travailler à la sécurité collective des nations.

Vous faites reposer la politique de défense sur la dissuasion nucléaire : il s’agit là d’une différence historique entre nous ! Avec le temps, nous avons pris acte de ce choix, mais aujourd’hui, notre désaccord porte surtout sur le niveau de dépenses que vous engagez à ce titre. Il est énorme et les Français doivent le savoir, même si ce n’est écrit nulle part – cela pose d’ailleurs un sacré problème en matière de transparence ! La seule indication que vous avez transmise oralement, c’est ce taux de 13 % qui sera consacré à la dissuasion nucléaire, soit une somme estimée à 54 milliards sur sept ans. Là encore, il s’agit d’un niveau de dépenses inédit.

Alors, à quand un véritable débat avec les Français sur une politique décidée par le général de Gaulle dans les années soixante et qui n’a jamais été rediscutée depuis ? Quel bilan pouvons-nous en tirer et quelle est l’utilité réelle de la dissuasion à l’échelle du monde ? Toutes ces questions sont légitimes, d’autant plus que la priorité absolue donnée au renouvellement des armes nucléaires non seulement vampirise le reste des dépenses de la LPM – j’y reviendrai –, mais va également à l’encontre de nos engagements internationaux en la matière.

En effet, en ratifiant le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), en août 1992, la France s’était engagée, je cite, « à poursuivre de bonne foi des négociations […] relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires […] et au désarmement nucléaire ». Ce week-end encore, à l’issue d’un G7 qui s’est tenu à Hiroshima, la France s’est de nouveau engagée, avec les autres États membres, à « approfondir les efforts de désarmement et de non-prolifération visant à atteindre l’objectif ultime d’un monde sans armes nucléaires ». Pour ma part, je souscris à une telle déclaration ! Mais quelle France faut-il croire ? Celle qui approuve les déclarations appelant au désarmement nucléaire – déclarations que nous partageons – ou celle qui dépense des dizaines de milliards afin de renforcer son arsenal ?

En ce qui nous concerne, nous pensons qu’il faut au moins respecter les termes du TNP. Et si nous ne sommes pas favorables à un désarmement unilatéral – je l’ai dit et le répète ici publiquement –, nous estimons en revanche que la France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, a un rôle diplomatique majeur à jouer pour contribuer à écarter la menace nucléaire. C’est pourquoi nous souhaitons que notre pays participe, en tant qu’État observateur, aux réunions du traité sur l’interdiction des armes nucléaires, sous l’égide des Nations unies.

Enfin, nous vous demanderons de soutenir nos amendements visant à obtenir réparation pour les victimes civiles ou militaires des essais nucléaires, dans les zones contaminées de Polynésie ou d’Algérie.

J’en viens maintenant à votre volonté de bâtir une armée de projection, capable d’intervenir vite, en tout point de la planète – ce qu’on appelle la culture expéditionnaire – et, surtout, sous domination de l’Otan. Car c’est bien là que réside le problème. Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu’un bilan des opérations menées depuis vingt ans est nécessaire ? Qu’elles aient été réalisées par la France seule ou au sein d’alliances, ces interventions n’ont réglé aucun des problèmes posés, à commencer par celui du terrorisme en Afrique. Elles ont, au contraire, entraîné une déstabilisation politique, économique et sociale, et une dissémination d’armes et de munitions, comme ce fut le cas en Libye ou en Afghanistan.

Ces échecs stratégiques ont contribué à créer une certaine rancœur à l’égard de nos forces – nous l’avons constaté récemment au Sahel. Les qualités exceptionnelles de nos soldats, auxquels je veux de nouveau rendre hommage, ne sont bien sûr pas en cause : ce sont la stratégie et la doctrine d’emploi des forces qui le sont.

Il est donc temps d’abandonner ce vieux modèle d’armée de culture expéditionnaire, non seulement parce qu’il exhale de tristes relents néocolonialistes (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe RN), mais aussi parce qu’il se perpétue au détriment des missions essentielles de protection du territoire national.

La clé de voûte nucléaire ne protège pas des attaques terroristes sur notre sol, tout comme elle ne protège pas des conflits hybrides où la frontière entre civil et combattant, entre monde réel et virtuel est absente.
Nous aurons une grande décision à prendre : avons-nous besoin d’un porte-avions à propulsion nucléaire de nouvelle génération, qui mobilisera au moins 10 milliards d’euros ?

Nous estimons qu’il y a mieux à faire, quand la défense opérationnelle de notre territoire révèle des lacunes criantes – je pense notamment à notre surface maritime – et que les renforts annoncés sont insuffisant. Il nous semble urgent de privilégier un modèle d’armée taillé pour protéger nos concitoyens en Océanie, dans l’océan Indien, en Amérique et en Europe.

Ceci est tellement vrai que le poids excessif des dépenses liées à la dissuasion nucléaire et au porte-avions vous contraint à opérer des glissements ou des reports de crédits importants sur des programmes majeurs, voire à effectuer des coupes claires – il en a été question sur tous les bancs. En ce qui concerne la marine – qui est pourtant si importante pour la défense de nos zones économiques exclusives –, la cible des frégates de défense et d’intervention pour 2030 passe de cinq à trois unités, celle du système de drones aériens de quinze à huit, et celle des avions de surveillance et d’intervention maritime Albatros de treize à huit – je ne passerai pas en revue toute la liste, d’autant que le sujet a été évoqué en commission.

Enfin, notre modèle industriel d’armement, qui est trop précaire et trop dépendant d’autres pays – voire de fonds de pension privés et étrangers –, doit être interrogé. Même si nous sommes favorables au principe de coopération avec d’autres pays européens, nous défendons le principe d’un pôle public de l’armement, garant de notre souveraineté, et capable de s’appuyer sur une participation de l’État dans ses principales entreprises.

Nous voulons aussi garantir le statut et les conditions de travail des ouvriers d’État, indispensables pour répondre aux besoins des armées.

Vous l’aurez compris : nous plaidons pour un modèle d’armée bien différent du vôtre, délivré des obligations de rentabilité industrielle, tourné exclusivement vers la protection de la nation, de nos territoires et de ceux de nos voisins européens, dans le cadre de traités européens de sécurité collective.

Ce modèle permettrait de renforcer la France, afin qu’elle soit crédible dans son rôle de maintien de la paix, mais aussi qu’elle soit libre, affranchie des influences du commandement militaire américain de l’Otan. Bien que le projet de loi comporte quelques avancées – s’agissant notamment des conditions de vie et d’indemnisation des soldats, de la reconnaissance de la mention « mort pour la France » pour les résistants étrangers fusillés pendant la seconde guerre mondiale, ou encore de la pérennisation de l’ordre de la Libération –, les députés du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES proposent de le rejeter et de remettre l’ouvrage sur le métier, en commençant par ouvrir un large débat avec les Français sur les choix de la France en matière de paix et de sécurité. (M. Jean-Paul Lecoq applaudit.)

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Fabien
Roussel

Député du Nord (20ème circonscription)

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