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Logement : installation de détecteurs de fumée dans les lieux d’habitations

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen d’un texte dont l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée remonte à l’automne 2005.
Il s’agissait alors, comme le soulignaient ses auteurs, de « marquer la volonté des députés de réagir face à la succession de graves incendies domestiques ». Le texte faisait en effet suite aux événements dramatiques dont nous nous souvenons tous : l’incendie à l’hôtel Paris-Opéra, qui provoqua, le 15 avril 2005, la mort de vingt-cinq personnes, dont onze enfants, et l’incendie d’origine criminelle survenu dans un immeuble de L’Haÿ-les-Roses le 4 septembre de la même année, et qui fit quant à lui dix-huit victimes.
Si je rappelle ces circonstances, c’est d’abord pour regretter le manque d’empressement du Gouvernement à inscrire à l’ordre du jour de nos assemblées ce texte, qui a navigué de chambre en chambre pendant cinq ans.
Il n’est pas dans mon intention d’engager un débat sur nos institutions et l’anomalie que constitue la relégation de l’initiative parlementaire au rang d’instrument législatif subalterne. Le temps perdu sur ce texte en est un cruel témoignage, nonobstant la faculté désormais reconnue au Parlement de convoquer de sa propre initiative une commission mixte paritaire.
La protestation solennelle formulée il y a deux semaines par le président de notre assemblée, qui soulignait à juste titre la « dégradation de la qualité du débat démocratique et du travail législatif », vaut, au-delà de la question de la banalisation de la procédure d’urgence, pour les conditions d’examen des propositions de loi, dont l’adoption semble systématiquement moins urgente que celle des projets de lois gouvernementaux, fussent-ils inutiles ou réduits à de simples instruments de communication politique.
Venons-en au fond et aux réserves que nous inspire ce texte.
Lors de son examen en première lecture, à l’automne 2005, nous en avions déjà souligné les insuffisances. Nous ne sommes naturellement pas opposés à l’obligation d’installer des détecteurs autonomes de fumée dans les locaux à usage d’habitation. Nous savons en effet – et d’autres l’ont rappelé – que, si 70 % des incendies surviennent le jour, 70 % des incendies mortels se produisent la nuit, et que les deux tiers des victimes succombent asphyxiées dans leur sommeil, faute d’avertisseur. La nécessité de ce type d’équipement fait donc l’objet d’un consensus.
Nous notons également avec satisfaction que le Gouvernement a pris l’initiative d’une campagne de prévention sur les précautions élémentaires à prendre à l’intérieur de son logement afin de se prémunir contre le risque d’incendie, et sur les conduites à tenir en cas de survenue d’un incendie. Nous en avions fait la demande d’emblée, aux côtés de nombreux collègues.
Mais la prévention des risques d’incendie n’est pas uniquement affaire de communication et de prescriptions légales, telle celle qui régit l’installation de détecteurs de fumée. Elle repose aussi sur une politique volontariste de lutte contre l’habitat insalubre et sur le renforcement des moyens de lutte contre l’incendie, deux domaines où l’action du Gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux.
Ainsi, où en est aujourd’hui la lutte contre l’habitat indigne ? Au point mort. Des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vivent dans des logements aux murs et aux escaliers délabrés, sans issues de secours, exposés à la menace d’un court-circuit ou d’une fuite de gaz liée à la vétusté des installations. Et que proposez-vous ? Vous leur imposez d’acheter à leurs frais, de poser et d’entretenir un détecteur individuel de fumée : avouez que c’est un peu court !
Rappelons en outre que la loi Boutin, votée il y a un an, a eu pour effet de priver l’agence nationale pour l’amélioration de l’habitat d’une part importante de ses moyens, puisqu’elle n’a d’autre ressource que le 1 % logement.
La lutte contre l’habitat indigne n’est manifestement pas votre priorité. De fait, aucun effort particulier n’est demandé aux bailleurs privés, qui ne sont pas même tenus de respecter ni de faire respecter les réglementations en vigueur sur la protection contre les incendies dans les parties communes et sur la mise en conformité aux normes des installations électriques ou de plomberie. Il suffit d’ailleurs de discuter avec les associations de locataires et de résidents pour savoir combien il leur est difficile d’accéder aux préconisations des commissions de sécurité et d’en vérifier l’application.
Aborder la question de la .prévention des risques d’incendie sans s’attaquer à ces dossiers, c’est un peu s’arrêter au milieu du gué. Nous le regrettons.
De fait, et c’est le principal reproche que nous adressons au texte, vous avez choisi de faire peser sur les occupants des logements, donc, le cas échéant, sur les locataires, la responsabilité et le coût de l’installation. Certes, un alinéa précise désormais que cette obligation pourra incomber au propriétaire non occupant dans un nombre limité de cas et dans des conditions définies par décret. L’article indique qu’il en sera ainsi notamment dans les locations saisonnières, les foyers, les logements de fonction et les meublés. C’est bien le moins !
En somme, contre toute logique, vous décidez une fois de plus de faire un petit cadeau aux bailleurs privés, qui bénéficient déjà grâce à vous de quelques juteuses niches fiscales. En la matière, vous n’êtes pas à une contradiction près : vous affirmez que l’installation d’un détecteur de fumée représente un coût dérisoire, mais en quoi cela justifie-t-il de faire peser sur les locataires la responsabilité de leur installation ?
En effet, dans ce cas, pourquoi ne pas demander aux bailleurs d’en assumer la charge ? Ce serait tout simplement logique.
En outre, confier aux bailleurs le soin d’installer ces dispositifs permettrait au pouvoir réglementaire de définir des normes d’équipement plus strictes et d’encourager l’installation de matériels plus fiables que les détecteurs-avertisseurs autonomes de fumée fonctionnant sur piles – qu’il s’agisse des détecteurs interconnectés ou de détecteurs fixes reliés au réseau électrique, dont on sait qu’ils sont plus sûrs et nécessitent moins d’entretien.
A contrario, si l’on fait peser sur les locataires le coût de l’installation, les moins aisés, à commencer par ceux qui vivent dans les logements les moins sécurisés, risquent de recourir aux équipements les moins coûteux, s’exposant ainsi à l’éventualité d’un litige avec leur assurance en cas de sinistre : nul ne pourra leur garantir que leur matériel est conforme aux normes.
À ce propos, votre texte prévoit que les locataires devront également veiller à l’entretien et au bon fonctionnement du dispositif. II s’agira assurément d’une autre source importante de contentieux avec les compagnies d’assurances, toujours aux dépens des plus faibles et de ceux qui ne pourront se défendre.
N’aurait-il pas nettement mieux valu charger les bailleurs, dans les immeubles collectifs à usage d’habitation, de choisir le matériel le plus fiable, de négocier les prix par l’intermédiaire du syndic et de faire réaliser d’éventuels travaux d’installation ? N’aurait-il pas fallu prévoir d’équiper les parties communes de la même façon ?
Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État : nous aurions préféré une loi ambitieuse dont la fiabilité et la conformité aux normes pourrait être vérifiée par les commissions de sécurité.
Vous avez au contraire choisi la facilité, optant pour une solution qui évite aux bailleurs de mettre la main à la poche, au risque de sacrifier la sécurité et de nous doter à l’avenir d’un parc locatif mal équipé et de matériels dont la fiabilité est aléatoire.
 

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