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Lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur (CMP)

Nous sommes invités à nous prononcer sur un texte dont les conditions d’examen serviront sans doute de modèle de contournement du travail de notre assemblée. Proposition de loi venue du Sénat, procédure accélérée, motion de rejet préalable, puis vote du texte de la CMP : vous avez trouvé les moyens d’éviter l’indispensable débat de fond que la représentation nationale aurait dû tenir sur les grands enjeux agricoles et alimentaires qu’affronte notre pays. Ce contournement de la procédure parlementaire est un signe supplémentaire de la dérive inquiétante de notre démocratie.
Quel était l’objectif de tout cela ? S’agissait-il de simplifier, ou plutôt de défendre un modèle agricole reposant sur des exploitations toujours plus grandes et compétitives sur des marchés ouverts ? S’agissait-il de lever des contraintes, ou d’organiser la fuite en avant dans la libéralisation du secteur agricole ?
Comme la bien mal nommée loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole, promulguée il y a quelques mois, ce texte est en réalité une simple tentative de diversion. Il vise à gagner du temps pour vous dispenser d’aborder les sujets fondamentaux qui contraindront notre agriculture dans les années à venir. Il ne contient ainsi aucune disposition pour lutter contre l’insuffisance des revenus, due à l’absence de mesures concernant les prix d’achat et d’encadrement des marges de la grande distribution et des industriels. Il n’aborde pas le besoin de revoir en profondeur notre système de protection et d’assurance contre les aléas climatiques et les risques sanitaires et environnementaux, qui ne feront pourtant que croître. Bien entendu, il évite soigneusement d’aborder le besoin de nouvelles régulations et protections face à la concurrence internationale. Derrière l’habile communication autour de la simplification et de la levée des contraintes, le texte repose sur l’idée que, pour venir en aide aux agriculteurs, il faut accentuer la dérégulation et revenir sur des normes qui sont pourtant notre seul moyen de protection contre l’afflux de produits issus de pays moins exigeants sur le plan sanitaire et environnemental. Quand nous nous serons alignés sur ces pays, quel levier politique restera-t-il pour ne pas livrer nos agriculteurs et nos éleveurs à leur concurrence ?
Vous poursuivez l’ajustement structurel de l’agriculture française vers les prix mondiaux et vers la tyrannie de la compétitivité prix. C’est pourtant cette logique qui a détruit des centaines de milliers d’exploitations dans les quarante dernières années et qui fait de notre secteur agricole la monnaie d’échange systématique des accords commerciaux de l’Union européenne. La récente signature par la présidente de la Commission européenne de l’accord de libre-échange avec le Mercosur et sa volonté de le faire ratifier au plus vite en sont une triste illustration. Comme le soulignait une tribune parue dans La Croix la semaine dernière, la France n’a jamais réellement cherché à faire obstacle à cet accord, que ce soit en utilisant son droit de veto –⁠ cela lui est possible, puisqu’il s’agit d’un accord mixte –, ou en saisissant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de la compatibilité de l’accord avec les objectifs de durabilité que l’Union s’est elle-même fixés. Il est d’ailleurs révélateur que nous soyons contraints de voter sur ce texte sans avoir pu en débattre ni l’amender dans cet hémicycle, alors que nous serons sans doute privés de tout débat et de tout vote quant à la mise en œuvre du traité avec le Mercosur, laquelle pourrait intervenir dans les prochains jours.
Plutôt que de chercher un chemin politique pour sortir nos paysans de l’étau de la libéralisation des échanges internationaux et de la pression exercée par les grands industriels et distributeurs, qui les broient, plutôt que de mettre en place de nouveaux outils publics de régulation des marchés, plutôt que d’accompagner techniquement et financièrement les agriculteurs dans le grand chantier de la transformation agroécologique de nos systèmes de production –⁠ seule réponse durable qui pourrait leur ouvrir des perspectives –, vous cherchez à sauver les apparences. Vous faites diversion en réautorisant certaines molécules interdites ou en faisant croire que l’affaiblissement du droit environnemental permettra de faire face au défi climatique et aux menaces de la grande mise en concurrence des producteurs au niveau international. Pour toutes ces raisons, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. –⁠ MM. Dominique Potier et Stéphane Lenormand applaudissent également.)

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