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Levée des sanctions imposées à la Russie

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le mois de mars 2014 et le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie à l’issue d’un référendum d’autodétermination à la légalité douteuse, l’Union européenne et les États-Unis ont décidé de mener une politique de sanctions contre cet pays. Depuis le référendum, les sanctions sont allées crescendo : interdiction de séjour pour plusieurs personnalités, embargo sur l’exportation d’armes, gel des avoirs russes et autres mesures ciblant la coopération et les échanges commerciaux avec la Russie.
Deux ans après, il est grand temps de s’interroger sur le bilan de ces sanctions. Quel était leur but ? Quelle est leur efficacité ?
Les mesures prises ont renforcé le régime de Vladimir Poutine, en lui offrant l’opportunité de se présenter comme le défenseur de la Russie contre toute agression extérieure.
Le propos de mon intervention n’est pas de défendre la politique russe ; il s’agit plutôt de dire ce qui est dans l’intérêt de nos deux peuples et de valider une relation d’État à État conforme au droit international.
M. François Rochebloine. Très bien !
M. Gérard Menuel. Voilà qui est sage !
M. François Asensi. Les sanctions ont d’abord frappé le peuple russe, auquel le destin du peuple français a toujours été lié : hier pour sauver l’humanité de la barbarie nazie, aujourd’hui pour défendre les valeurs de liberté et de démocratie face à la menace terroriste de Daech.
M. Philippe Cochet. Très bien !
M. François Asensi. Ces sanctions ont mis à mal la « belle et bonne alliance », pour reprendre les mots du général de Gaulle. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Eh oui, c’est peut-être de la nostalgie, mais cela compte pour moi !
Elles s’inscrivent dans la continuité d’une logique de bloc que l’on croyait disparue depuis la fin de la guerre froide. Depuis la chute du Mur, les pays occidentaux ne cessent de mener une politique inamicale envers la Russie. Les sanctions dont nous discutons aujourd’hui ne sont qu’un des nombreux avatars d’une politique fondée sur de multiples provocations et humiliations à l’encontre du peuple russe.
Provocation, quand l’OTAN multiplie les initiatives d’encerclement et les tentatives d’implantation aux marges de la Russie. Dès 1991, les pays occidentaux ont considéré que la dislocation de l’URSS annonçait la fin de l’histoire et la suprématie de l’atlantisme sur l’ensemble de la planète. Aucune chance, je dis bien aucune, n’a été laissée au président Gorbatchev. Pourtant, celui-ci avait mis en place d’ambitieuses réformes basées sur une restructuration du régime, la perestroïka, ainsi que sur la liberté d’expression, la glasnost. Loin de soutenir ces réformes, les Occidentaux ont adoubé Boris Eltsine et combattu toute tentative d’instaurer un socialisme démocratique. Les choix ultralibéraux du premier président de l’ère post-soviétique ont permis le dépeçage des richesses de l’ex-URSS par les oligarques russes et l’arrivée des capitaux occidentaux. La France a ainsi noué des liens économiques de plus en plus étroits avec la Russie, au fur et à mesure que le pays s’engageait à marche forcée dans l’économie ultralibérale, véritable jungle où les milliardaires ont fait florès.
Aujourd’hui, l’Union européenne, et en particulier la France, souffre des contre-sanctions russes prises en 2014. Des pans entiers de notre économie ont été mis en difficulté. En 2014, la Russie était le troisième marché de la France hors Union européenne, c’est-à-dire un partenaire économique majeur. Les produits alimentaires ont été directement visés par l’embargo décrété le 7 août 2014 par le Kremlin. La Russie, cinquième pays importateur de produits alimentaires dans le monde, était un débouché important pour nos agriculteurs. Ceux-ci ont payé au prix fort les sanctions européennes. La France exportait jusqu’en 2014 près de 70 000 tonnes de viande de porc vers la Russie ; l’embargo a fait dévisser les prix, rendant leur situation encore plus précaire. Les producteurs de fruit et légumes, qui exportaient près de 50 000 tonnes vers la Russie, connaissent de lourdes pertes. Cette situation touche tous les producteurs européens et sature le marché, tirant les prix vers le bas.
Les sanctions occidentales ont entraîné la quasi-paralysie des échanges entre la Russie et l’Union européenne. Elles ont un effet direct sur les projets des entreprises françaises en Russie, notamment de celles appartenant aux secteurs de la finance, de l’énergie et de la défense, directement visés par les sanctions européennes. Rappelons une fois encore que près de 1 200 entreprises françaises sont présentes sur le territoire russe et que 7 000 exportent vers la Russie. Autant dire que des milliers d’emplois en France sont en jeu !
L’accord d’annulation de la vente des deux Mistral à la Russie reste l’exemple le plus regrettable de cette stratégie absurde. Alors que près de 1 000 emplois avaient été créés grâce à cette commande, la France s’est laissée tordre le bras par ses alliés de l’OTAN et de l’Union européenne, hostiles à cette vente.
M. Nicolas Dhuicq. Eh oui !
M. Philippe Cochet. Et quid de la valeur de la signature française ?
M. François Asensi. Le refus de livrer les deux Mistral a conduit la France à rembourser l’État russe et à endosser une perte pour nos concitoyens de 1,2 milliard d’euros. (MM. Nicolas Dhuicq et Pierre Lellouche applaudissent.)
De telles sanctions illustrent toute l’hypocrisie de notre diplomatie, qui sanctionne la Russie tout en signant des contrats avec l’Égypte, l’Arabie Saoudite ou le Qatar, des États où les droits de l’homme sont pourtant quelque peu bafoués. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Lellouche. Très bien !
M. François Asensi. Monsieur le secrétaire d’État, je m’étonne de ce « deux poids, deux mesures », qui donne une image déplorable de la France et de sa diplomatie sur la scène internationale !
D’autres pays profitent de nos errements diplomatiques pour renforcer leurs liens avec la Russie. Depuis 2014, la Chine profite des atermoiements européens pour affirmer sa capacité d’intervention financière auprès d’un grande pays en manque de liquidités. De même, les entreprises américaines, qui appliquent dans une moindre mesure les sanctions, obtiennent la signature de contrats avec la Russie.
Cette politique pénalise et fragilise la position des travailleurs français qui vivent de ces contrats. La Russie doit rester un partenaire privilégié.
La France maintient des liens stratégiques puissants avec le régime russe dans plusieurs domaines, notamment dans le domaine spatial. Dans le combat contre le terrorisme de Daech, des relations existent entre nos deux pays.
M. François Rochebloine. Absolument !
M. François Asensi. Face à de tels enjeux, les vieilles logiques de bloc ne peuvent perdurer. Dans un monde multipolaire, la France doit faire évoluer les lignes diplomatiques. Nous devons promouvoir la conduite de relations d’État à État dans un intérêt mutuellement avantageux pour les deux pays.
C’est pourquoi la prolongation indéfinie des sanctions n’a pas de sens. Je rejoins la critique émise par le Premier ministre italien, Matteo Renzi : « J’ai trouvé incohérent de vouloir confirmer les sanctions sans avoir d’abord une petite discussion [entre partenaires européens]. […]L’approche anti-russe ne conduira nulle part. »
Il revient à la France de se donner les moyens de jouer un rôle majeur. Il ne s’agit pas de donner un blanc-seing à la politique du gouvernement russe ou à son président, mais plutôt de leur proposer une sortie par le haut. Les possibilités de partenariats entre la France et la Russie sont légions et peuvent offrir une solution pour sortir de l’impasse dans laquelle l’économie des deux pays est engagée.
Pour l’ensemble de ces raisons, les députés communistes et du Front de gauche soutiennent la proposition de résolution en faveur de la levée des sanctions européennes imposées à la Russie, étape nécessaire à la promotion d’une coopération bénéfique pour nos deux pays.

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François
Asensi

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