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Pt mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi

Le projet de loi dont nous débattons vise, une fois encore, à répondre à une situation d’urgence, en l’espèce celle de remédier aux difficultés de recrutement des secteurs dits en tension par des mesures dont vous indiquez sobrement qu’elles sont relatives au « fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi ».
Pour parvenir à cet objectif, vous demandez au Parlement de vous confier, pour une durée de quatorze mois, les pleins pouvoirs sur le régime de l’assurance chômage. En d’autres termes, vous passez outre les négociations paritaires prévues par le code du travail pour définir autoritairement, par décret, ce que seront demain les conditions d’accès à l’assurance chômage, la durée d’indemnisation et le montant de l’allocation perçue.
Pour camoufler la brutalité de votre passage en force, vous nous assurez que ce sont les organisations syndicales et patronales qui vous ont demandé de prendre la main. La vérité est différente : les organisations en question ont en fait refusé de négocier sur les bases que vous entendiez leur imposer avant même qu’elles ne se mettent autour de la table. Elles n’ont pas renoncé à leur droit de négocier, mais simplement refusé votre méthode de cadrage et un nouveau durcissement des règles de l’assurance chômage – la fameuse contracyclicité.
Votre raisonnement est le suivant : il y a beaucoup d’emplois non pourvus ; les chômeurs sont de mauvaise volonté car les indemnités sont généreuses. Donc si l’assurance chômage était moins généreuse, ces emplois seraient pourvus depuis longtemps et notre pays se rapprocherait du plein emploi.
Ce raisonnement est non seulement erroné, mais il est aussi dangereux. En réalité, moins d’une personne privée d’emploi sur deux est actuellement indemnisée et le montant médian des indemnisations n’excède pas 960 euros par mois. La dernière réforme de l’assurance chômage, que vous avez imposée par décret en 2019 et qui est toujours en vigueur, a réduit de 17 % en moyenne le montant de l’allocation perçue par 1,15 million de personnes. Près de 450 000 personnes privées d’emploi ont vu l’accès à leurs droits retardé, voire supprimé. Comment oser dire que ces personnes vivent bien au chômage ?
Quelle est la réalité des emplois non pourvus ? Les chiffres de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) sont clairs : il y a 362 800 emplois vacants au deuxième trimestre 2022, mais la moitié correspond à des projections d’emplois qui pourraient se libérer ou d’emplois nouvellement créés. On peut donc estimer qu’il y a environ une offre d’emploi pour treize personnes privées d’emploi.
Selon les données de Pôle emploi, 86 % des offres diffusées ont été pourvues en 2021, ce qui représente 2,7 millions d’embauches. Ainsi, seulement 14 % des offres ont été abandonnées faute de candidats. Selon Pôle emploi, c’est un phénomène marginal, qui ne pèse pas sur l’économie.
Finalement, les durcissements successifs des règles de l’assurance chômage n’ont eu aucun effet sur l’emploi. En effet, le chômage demeure élevé et la légère amélioration du nombre de chômeurs en catégorie A occulte la constante progression des catégories B et C ainsi que celle du halo autour du chômage, constitué par les personnes – en majorité des femmes – souvent intérimaires, qui ne s’inscrivent pas comme demandeurs d’emploi par découragement et par difficulté à faire valoir leurs droits. (Mme Sophia Chikirou applaudit.)
Le plein emploi ainsi conçu est une fable : il vise à baisser les chiffres du chômage et non pas à éradiquer le chômage. Autrement dit, votre logique de durcissement ne profite ni aux personnes privées d’emploi qui deviennent plus pauvres, ni au marché du travail sur lequel l’emploi devient plus précaire.
En effet, en réduisant le montant ou la durée des allocations chômage, en évinçant davantage de travailleurs de l’accès à ce droit, vous exercez une pression à la baisse sur les salaires d’embauche puisque les personnes privées d’emploi sont acculées à accepter des offres en deçà de leurs qualifications, à temps partiel ou dans des conditions de travail dégradées.
C’est bien le travail, le droit au travail pour tous, que vous attaquez dans ce texte. J’en veux pour preuve le soin que vous mettez à abaisser les qualifications. Ainsi, l’article 4 concernant l’accès à la VAE substitue à la notion de « qualification » celle de « blocs de compétences ». En même temps que vous forcez les chômeurs à devenir les variables d’ajustement du marché du travail, vous déqualifiez les métiers pour en bloquer la valorisation salariale.
Monsieur le ministre, en opposant sans cesse de manière malsaine les personnes privées d’emploi aux salariés, en réalité, vous vous attaquez à ce qui les unit : le travail, le droit au travail, le droit à un salaire et à des conditions de vie décentes.
Pour nous, l’urgence est de rendre la maîtrise du travail aux personnes privées d’emploi et aux salariés ; de restaurer la force du dialogue social après ces deux années de pandémie qui ont instauré de nouveaux modes d’organisation du travail et pendant lesquelles se sont manifestées d’autres aspirations tant personnelles que professionnelles.
L’urgence n’est donc pas de réduire les droits des personnes privées d’emploi pour mieux attaquer les salariés ; au contraire, il faut penser de nouveaux droits. Avec cette réforme, vous prolongez la France des indemnités précaires alors qu’il faudrait soutenir la France du travail qui est au cœur de chaque projet de vie. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

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Yannick
Monnet

Député de l' Allier (1ère circonscription)

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