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CETA : « le Gouvernement ne peut continuer de s’affranchir du débat démocratique »

Le 6 mai 2009 commencent les négociations au sommet de Prague autour de l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne – connu sous l’acronyme de Ceta. Le 30 octobre 2016, après des années de négociations dans la plus totale opacité, sans consultation ni information des parlements nationaux et de la société civile, ce traité de libre-échange est signé à Bruxelles. Le 21 septembre 2017, le volet commercial de cet accord entre en application provisoire, sans consultation ni ratification par les parlements nationaux. Le 23 juillet 2019, l’accord est enfin soumis au vote des députés français. Il est ratifié de justesse, mais le projet de loi de ratification ne poursuit pas son parcours parlementaire et disparaît étrangement des radars pour tenter de se faire oublier – « Bizarre, vous avez dit bizarre, comme c’est bizarre. » (Sourires.)

Comme le dit la chanson, « j’étais tranquille, j’étais peinard ». C’était sans compter sur la colère de nos éleveurs qui, avec constance, ont remis le sujet des traités de libre-échange sur le devant de la scène ; sans compter non plus sur l’adoption par le Parlement européen d’une résolution priant instamment dix pays, dont la France, de ratifier rapidement cet accord.

Les années passent et le projet de loi de ratification n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour du Sénat, tant le Gouvernement redoute son rejet. Son analyse est juste : ni les Français ni les représentants du peuple ne veulent du Ceta. Le 21 mars 2024, le Ceta est enfin soumis au vote des sénateurs, cinq ans après l’interruption du processus démocratique qui a pu reprendre son cours grâce au groupe communiste du Sénat qui a décidé d’y consacrer sa niche parlementaire. Sans surprise, le texte est rejeté : drôle de drame…

Panique à bord du vaisseau amiral. « Ce qui était pierre devient flot », écrivait Victor Hugo : « c’est la rouge aurore de la catastrophe ». Et pour cause : une simple confirmation de notre assemblée et le Ceta tombe à l’eau ! Le Gouvernement comprend très vite que le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES veut inscrire le texte à l’ordre du jour de l’Assemblée. Rapidement, vous avez fait savoir, monsieur le ministre délégué, que le projet de loi sera transmis, le moment venu, mais pas avant les élections européennes, car ce sujet nécessite un temps de débat apaisé.

Le texte n’est donc pas transmis : du jamais vu dans les annales parlementaires ! En cinq ans, à vous croire, il n’aurait pas été possible de trouver un temps de débat apaisé !

Pour reprendre une expression chère au Dieppois Sébastien Jumel, vous endormiriez un chat sur une caisse de poissons. (Rires et applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR-NUPES.) Mais le trouverez-vous un jour, ce temps apaisé ? Pas sûr, car pour vous, « apaisé » signifie « ratifié ».

Près de vingt ans après le référendum rejetant le traité constitutionnel européen, qui a laissé une plaie encore béante entre le peuple trahi et ses représentants, le Gouvernement récidive donc dans une entreprise de déni démocratique. Comme Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne, il considère qu’« il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » – un principe qui a conduit la candidate Renaissance aux élections européennes, Valérie Hayer, à affirmer que « le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada continuerait à fonctionner, même si l’Assemblée le rejetait à la suite du Sénat ». Ce 30 mai 2024, après la dérobade du Gouvernement pour empêcher le rejet du Ceta par notre Assemblée, nous avons nous-mêmes dû utiliser un subterfuge pour qu’une discussion soit possible sur le fond et qu’un espace s’ouvre afin que chacun des groupes de cet hémicycle puisse se prononcer sur ce traité.

Venons-en donc au fond. Vous continuez aujourd’hui, contre toute évidence, à chanter les louanges du Ceta en prenant pour exemple qu’au cours des six premières années de son application provisoire, dans le secteur des services, les exportations de l’Union vers le Canada ont augmenté de 54 % et les importations en provenance du Canada de 74 %. À y regarder de plus près, nous sommes loin toutefois des promesses affichées par la Commission européenne qui promettait de vastes débouchés pour l’Europe et un puissant effet de levier sur l’emploi. Les institutions européennes admettent elles-mêmes que seuls quelques secteurs tirent leur épingle du jeu. L’accord tant vanté s’est transformé en miroir aux alouettes. Bien évidemment, le Gouvernement couvre d’un voile pudique les incidences négatives, pourtant très concrètes, de ce traité. Il y a d’abord l’augmentation préoccupante des importations européennes de combustibles fossiles issus de schistes bitumineux, dont l’exploitation est trois à quatre fois plus polluante que le pétrole conventionnel et représente un véritable désastre environnemental. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.) Il y a ensuite les pressions exercées par le Canada afin de remettre en cause la légitimité des règles européennes visant à garantir que les denrées alimentaires respectent un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement.

Ces pressions se sont illustrées récemment dans la demande adressée par le Canada à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) pour que ses carcasses de viande à destination de l’Union européenne puissent être décontaminées à l’acide péroxyacétique. C’est aussi le dépôt à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) d’une préoccupation commerciale spécifique contre le règlement de l’Union européenne sur les traces de néonicotinoïdes dans les produits importés, adopté postérieurement à l’accord. Ces recours sont d’autant plus dangereux que l’accord ne contient pas de clause miroir pouvant bloquer ces exigences. Négocié au prix d’assouplissements des règles sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) ou sur la décontamination des carcasses, l’accord ne crée pas d’incitation pour que le Canada respecte les règles actuelles en vigueur dans l’Union. (Mêmes mouvements.)

C’est le cas notamment des traitements aux hormones ou aux antibiotiques.

Au point qu’un audit mené par la Commission européenne en 2022 a mis en évidence des lacunes dans la supervision de la filière du bœuf sans hormones, réactivant le doute sur le sérieux des contrôles vétérinaires canadiens.

À l’heure où notre agriculture traverse une crise majeure, nous ne pouvons enfin passer sous silence les effets délétères de l’intensification de la concurrence qu’implique la réduction des droits de douane couplée aux mesures de facilitation des échanges. Depuis la signature de l’accord, le Canada a augmenté ses exportations de colza vers l’Union européenne et la France. Ce colza OGM sert notamment aux usines de production d’agrocarburants. Les producteurs français de colza pâtissent donc directement de cette concurrence déloyale en matière de prix comme de conditions de production. Autre exemple : désormais, en France, une lentille sur cinq provient du Canada, premier producteur au monde, où il est possible d’appliquer du glyphosate juste avant la récolte – pratique proscrite en France.

Plus largement, cette concurrence déloyale empêche l’essor des filières françaises de légumineuses. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR-NUPES.)

S’agissant de l’élevage enfin, le contingent de 67 950 tonnes de viande de bœuf prévu par l’accord est une véritable épée de Damoclès sur nos élevages majoritairement herbagers. À l’image des autres traités de libre-échange, le Ceta est à l’évidence un instrument de démantèlement des outils de protection et de régulation économique qui, seuls, peuvent garantir des revenus décents à nos agriculteurs. Il fragilise la transition agroécologique de notre modèle agricole en accentuant la course folle aux volumes, sans retour concret pour nos productrices et producteurs. (Mêmes mouvements.)

Le Ceta est enfin, comme les autres traités de libre-échange promus par l’Union européenne, un contresens écologique et climatique. Comment peut-on croire que nous lutterons efficacement contre le réchauffement climatique en intensifiant les flux internationaux de marchandises avec des pays situés à l’autre bout de la planète ?

S’agissant d’un texte porteur d’autant de risques et de questions quant à son impact sur nos concitoyens et sur l’environnement, le Gouvernement ne peut continuer de s’affranchir du débat démocratique. C’est le sens de la proposition de résolution que nous soumettons au vote aujourd’hui. Elle vous invite, chers collègues, à reconnaître la nécessité de poursuivre le débat parlementaire. Tout comme l’ont fait lundi dernier plus de quarante organisations dans une lettre ouverte adressée au Président de la République, elle invite instamment le Gouvernement à poursuivre la procédure de ratification. Les 90 % de ce traité qui s’appliquent de manière provisoire depuis maintenant sept ans ne peuvent continuer à s’appliquer sans que les parlementaires ne soient consultés.

Le rejet prévisible de ce traité ouvrirait une nouvelle ère, en faisant droit à l’indispensable remise à plat de la politique commerciale européenne – une nouvelle ère qui remettrait en cause la longue liste des traités de libre-échange qui matérialisent et intensifient une globalisation néolibérale synonyme de dérégulation du commerce des biens et de services, et qui introduisent des distorsions de concurrence au détriment des paysans européens et fragilisent la souveraineté alimentaire et agricole de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur quelques bancs des groupes SOC et Écolo-NUPES.)

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