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Justice pénale des mineurs

Lorsque l’ordonnance relative à la jeunesse délinquante fut publiée, le 2 février 1945, la France vivait la fin d’une guerre effroyable, dont la population civile avait essuyé l’horreur et qui laissait des séquelles irrémédiables. Les jeunes n’avaient pas été épargnés et beaucoup étaient en souffrance, voire en rupture avec la loi. Le Gouvernement provisoire de la République française savait que l’avenir de notre pays reposait sur sa jeunesse. C’est donc avec la conscience de l’espoir que représentaient ces enfants que l’ordonnance de 1945 a été fondatrice d’une philosophie éducative et protectrice envers l’enfance délinquante. Soixante-quinze ans après sa ratification, les principes de cette ordonnance sont encore d’une grande modernité. Avec ce texte, l’État français souhaitait en finir avec les maisons de correction et la rédemption, en promouvant l’éducatif.

Cette ordonnance représente un tournant majeur dans la politique judiciaire de notre pays. Dans son exposé des motifs, le postulat est clair : « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains.

Le premier objectif énoncé dans ce préambule est la protection de l’enfance, et non la répression de la délinquance des mineurs. Les mots ont un sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Un enfant délinquant est avant tout un enfant en danger, voilà ce que cette ordonnance nous rappelle. L’enfance traduite en justice ne peut donc pas être soumise à la justice des adultes. Le futur code doit s’en tenir à cette démarche.

Aujourd’hui, j’entends que les mots « enfance » ou « enfants » ne seraient plus appropriés pour parler des jeunes mineurs. Pourtant, ces termes sont adaptés à ce moment si particulier de la vie. Selon la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, adoptée par l’ONU et ratifiée par la France, « un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable. » De même, la Déclaration des droits de l’enfant de 1959, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies définit que « l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée ». Ces deux instruments majeurs ratifiés par la France nous rappellent qu’un enfant bénéficie de droits particuliers protecteurs jusqu’à ce qu’il devienne adulte.

Je n’utilise volontairement pas le terme « majeur », car je pense que nous devrions, en réalité, protéger tout enfant en danger, en limitant les effets de seuil. Avoir 18 ans, ce n’est pas toujours être adulte, nous le savons. L’enfance est le temps de la construction de tout adulte en devenir, un temps propre à chacun, qui peut être plus long selon le vécu. L’éducatif doit prendre en compte ce temps, particulièrement long pour certains. C’est un moment de la vie d’apprentissage, aussi bien en termes de connaissances et de savoirs que de savoir-être. Il existe une fragilité inhérente à l’enfance, que nous ne devons pas oublier.

Avec la création d’un code de la justice pénale des mineurs, nous devons permettre à chaque enfant en difficulté de trouver sa voie pour s’intégrer pleinement dans notre société. Au sein du groupe GDR, nous pensons que les mesures éducatives sont les premières réponses à apporter, les mesures répressives ne devant être envisagées que dans des cas précis, comme dans celui des affaires criminelles.

Conformément à ses engagements internationaux et à la Convention internationale des droits de l’enfant, la France doit suivre trois principes fondamentaux dans l’instruction de dossiers concernant des enfants délinquants : la primauté de l’éducatif sur le répressif, une juridiction spécialisée pour les mineurs, et l’atténuation de responsabilité en fonction de l’âge. Les nombreuses réformes apportées à l’ordonnance de 1945 ont modifié progressivement sa philosophie originelle. Si certaines ont conforté la primauté de l’éducatif sur le répressif, la plupart s’en sont éloignées. Nous aurions souhaité que les modifications apportées à ce texte tendent à retrouver cette philosophie originelle, aussi les débats que nous avons eus en commission des lois ne nous ont-ils pas rassurés. Pourtant, les mesures éducatives donnent des résultats encourageants.

Je tiens à saluer le travail effectué par des professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse, qui permet à de nombreux enfants de s’insérer dans notre société. Derrière un acte délictueux, il y a toujours un processus complexe et propre à l’histoire de chaque enfant. De ce fait, il n’apparaît pas efficient de juger seulement l’acte commis : il faut comprendre le parcours qui a poussé l’enfant à commettre cet acte, pour y répondre avec des solutions adaptées. Ce n’est qu’en travaillant sur les raisons de cet engrenage qu’on peut sortir l’enfant de ce cercle vicieux. Aussi estimons-nous que la réponse éducative donnée face à ce processus et au passage à l’acte permet de lutter plus efficacement contre la récidive.

L’enjeu qui sous-tend ce débat entre mesures éducatives et répressives est celui des moyens donnés à la justice et à la protection de l’enfance dans notre pays. De nombreux professionnels le disent, les moyens ne sont pas à la hauteur, mais ce n’est pas parce que ces moyens font défaut que nous devons, au nom de la rapidité de la justice, grignoter sur la démarche et le temps éducatif. Au contraire, des ressources supplémentaires doivent être allouées à la protection judiciaire de la jeunesse et à l’aide sociale à l’enfance – ASE. Pour cette dernière, c’est aux départements qu’il apparaît urgent de donner plus de moyens, afin qu’ils puissent œuvrer à la hauteur des besoins.

Tous les départements, en effet, ne disposent pas des mêmes ressources pour assurer leurs missions. La Cour des comptes souligne, dans un rapport publié le 30 novembre dernier, que la protection de l’enfance est une politique inadaptée au temps de l’enfant. Ce rapport met en relief le manque de référentiels communs entre les départements, qui se traduit par une inégalité territoriale, et l’insuffisance de réflexion sur le long terme. Les magistrats mettent en cause une multiplicité d’instances aux missions enchevêtrées, aux moyens limités et dont la coordination est chronophage. Le rapport remet également en cause l’organisation complexe ce système, qui se trouve à la croisée de plusieurs ministères et fait intervenir à la fois une autorité administrative et une autorité judiciaire. La Cour des comptes recommande également de favoriser les parcours de formation et d’insertion au-delà de l’âge de 18 ans et même, au besoin, de 21 ans. Ces préconisations mériteraient d’être rapidement mises en œuvre.

Les travaux de la commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse ont montré que la crise sanitaire doit être l’occasion de redessiner les missions, le rôle et les liens de coopération de l’ASE. De nombreux travaux parlementaires antérieurs ont aussi proposé des pistes d’amélioration. La protection de l’enfance a toute sa place dans notre débat d’aujourd’hui. C’est pour cela que nous demandions la création d’un code de l’enfance englobant les deux volets.

Face à ce code de la justice pénale des mineurs, nous défendons et défendrons cette autre vision au moyen de nos amendements. Les mots ont un sens, et ce choix n’est pas anodin. Nous regrettons la présentation d’un code dédié uniquement au droit pénal, au détriment d’un nouveau code dédié à la justice en direction des enfants, qui aurait pu rassembler l’ensemble des dispositions civiles et pénales concernant les enfants en danger. Il aurait alors été la réaffirmation, dans le droit, de l’intérêt supérieur des enfants. Je ne pense pas que celui qui nous est présenté aujourd’hui atteigne cet objectif.

Monsieur le garde des sceaux, mardi dernier, des centaines d’avocats, de magistrats, de greffiers et d’éducateurs ont manifesté leur inquiétude devant le premier tribunal de France pour les enfants, celui de Bobigny. Tous regrettent la logique répressive induite par ce texte et le manque de moyens. Vous avez précisé que la réforme allait s’accompagner de moyens humains, grâce au recrutement de soixante-douze magistrats, de greffiers et de juristes assistants. Ces annonces sont bien évidemment nécessaires et attendues. Toutefois, nous devons aussi flécher des crédits supplémentaires vers les institutions qui assurent le suivi judiciaire et éducatif des enfants délinquants.

Enfin, sur la forme, nous ne pouvons que regretter la méthode utilisée – celle de l’ordonnance – car, si la mise en place d’un groupe de travail en amont est à saluer, la loi doit se fabriquer au Parlement.
En conséquence, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine défendra, tout au long de nos débats, un projet s’inscrivant dans la philosophie de l’ordonnance de 1945, en prenant appui sur l’expertise des femmes et des hommes qui font vivre au quotidien la justice et la protection de l’enfance. Si le texte devait rester en l’état, le groupe GDR voterait contre la ratification de cette ordonnance. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)

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