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Justice : modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les deux textes que nous examinons aujourd’hui s’inscrivent dans une seule et même logique, celle de la marchandisation de notre droit.
Je consacrerai l’essentiel de mon propos au projet de loi relatif à la modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées.
Lors de son examen en commission, le 9 juin dernier, Mme la ministre d’État et M. le rapporteur se félicitaient de l’accord obtenu des professions sur ce texte, et plus particulièrement sur l’acte d’avocat. À cet égard, une mise au point s’impose. Il est vrai, madame la ministre d’État, que vous avez obtenu l’accord du Conseil supérieur du notariat, établissement public placé sous votre tutelle et dirigé depuis de nombreuses années par vos amis politiques, mais à aucun moment vous n’avez obtenu l’accord des professionnels. Il ne faudrait pas confondre l’ordinal et le syndical, l’applaudissement de courtoisie et celui d’approbation.
Bien évidemment, vous ne sauriez les confondre, aussi devrais-je plutôt dire qu’il ne faudrait pas entretenir la confusion auprès des néophytes qui s’intéressent au débat. L’accord de l’ordre n’est pas l’accord des notaires. Par exemple, vous n’avez pas obtenu l’accord du Syndicat national des notaires, le plus important de la profession, qui, depuis plusieurs mois, vous fait part de ses désaccords et de ses inquiétudes. Sans compter les nombreux notaires qui nous ont saisis individuellement dans chacune de nos circonscriptions.
Quant aux huissiers de justice, dont vous dites qu’ils ne contestent pas l’acte contresigné, leur chambre nationale a adressé à tous les députés, le 14 juin dernier, un courrier dans lequel ils rappellent sans équivoque leur opposition à l’introduction en droit français d’un acte contresigné par avocat.
En dépit de l’enthousiasme que vous avez tenté de nous faire partager en commission, nous vous confirmons, pour notre part, notre hostilité à ces textes qui ne visent qu’à « relever les défis de la concurrence internationale dans le domaine du droit », comme se plaît à l’énoncer le rapport Darrois, qui trouve son inspiration, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, dans un autre rapport. Le Gouvernement reprend le rapport Darrois dans l’exposé des motifs. Il poursuit son travail minutieux et méthodique d’ouverture d’une ère d’hyper-concurrencialisation sur le « marché du droit » au détriment des justiciables, d’alignement de notre droit sur le système anglo-saxon, dont la crise économique et financière a pourtant démontré les énormes lacunes.
Ce fameux rapport, rédigé par Me Darrois, avocat à la tête du cabinet Darrois-Villey-Maillot-Brochier, premier au classement des cabinets d’avocats d’affaires de la revue Décideurs 100, ambitionnait de créer une grande profession du droit. Ce texte, qui s’en inspire largement, a choisi dans un premier temps d’exacerber la concurrence entre les professionnels du droit, en accentuant sa marchandisation.
Certains se plaisent à croire que, lorsque les professions concernées prennent position sur les différentes réformes en cours, elles n’ont qu’une réaction corporatiste. Certes, elles cherchent à survivre dans ce futur supermarché du droit où, inévitablement, les grandes surfaces feront disparaître les artisans de proximité. Mais peut-on leur en vouloir de se battre pour leur survie ? Bien sûr que non, et il nous faut même les remercier de nous donner à voir ce que sera demain notre système juridique national : un monde où chacune des professions qui le composent, traditionnellement au service de la justice et du citoyen, devra désormais, au service de la finance, se consacrer à la recherche du client.
La dérégulation de notre système juridique national et la dérive administrative et politique vers le droit anglo-saxon se feront au détriment du droit des Français à un service public national de la justice. Les professionnels délégataires d’une mission de service public sont menacés d’une disparition progressive au profit d’une grande profession du droit privatisée. Les « usagers », quant à eux, sont menacés d’une braderie de leur sécurité juridique au profit de sociétés anglo-saxonnes dont le seul moteur est la finance.
Vous avez, comme nous, pris connaissance de la campagne de pub des notaires, audacieuse et humoristique, qui met en avant les avantages du notariat : garantie d’un conseil solide, impartial et désintéressé, sécurité, tarif dégressif fixé par l’État et indexé sur l’objet, incontestabilité et conservation illimitée des actes. Cet humour prend des accents pathétiques à la lecture de la présentation de cette campagne de communication, véritable manuel de survie dans un système juridique concurrentiel : « Aujourd’hui, le notariat est concurrencé par d’autres professions. Pour leur communication, celles-ci investissent fortement dans les médias en consacrant les budgets les plus importants à leurs publicités. Pour faire face à cette situation, deux solutions sont possibles pour le notariat : soit disposer de budgets de communication supérieurs pour occuper un espace publicitaire plus important et donc plus visible que celui de ses concurrents, soit faire preuve d’audace pour jouer de l’effet de surprise, pour faire en sorte que la campagne du notariat soit la campagne dont on parle. »
Les huissiers, eux aussi, se plaçant sur le terrain de l’humour, se sont lancés dans le marketing viral. Voilà à quoi ils en sont réduits ! La France est le seul pays européen où les officiers publics sont contraints de faire de la réclame pour appâter le client. Ils sont soumis à une pression financière et à une surdensité telle qu’ils doivent désormais créer des entreprises qui « tournent ». Leurs impératifs économiques ne pourront les conduire qu’à des comportements de moins en moins éthiques, où l’intérêt du justiciable sera à ranger dans la colonne des pertes. Plus que jamais, le justiciable devra écouter Balzac, qui conseillait de choisir un notaire « bien riche et bien gras, à l’abri des tentations qui font fléchir les gens de loi ».
Alors permettez-nous, madame la ministre d’État, monsieur le rapporteur, de douter quand vous présentez ces réformes comme étant pensées dans l’intérêt du citoyen. La création de l’acte d’avocat en est la simple illustration : il n’a pas été conçu pour le besoin de l’usager mais pour le besoin d’une profession, pour changer la donne dans un marché concurrentiel. Comment prétendre raisonnablement instituer une concurrence, dans l’intérêt du citoyen, entre un officier public, soumis à un statut strict justifié par les besoins de sécurité des citoyens, représentant de l’État dans sa fonction de régulation, et une profession qui « s’inscrit dans une économie de marché régie par la loi de l’offre et de la demande », comme se définit lui-même le Conseil national des barreaux ?
Cette mise en concurrence ne renforcera pas la sécurité des usagers ; c’est faux, ce n’est pas très honnête de le dire. Oui, je persiste à affirmer, avec les notaires et les huissiers, que ce nouvel acte bâtard va affaiblir la sécurité juridique en bouleversant les règles de fond du droit français. Il n’offrira pas de garanties supplémentaires en termes de sécurité juridique pour le justiciable. En définitive, comme le disait en 2009 Jean-Louis Gallet – j’y reviendrai à l’article 1er –, conseiller à la première chambre civile de la Cour de cassation, dans le cadre d’un colloque sur l’acte sous signature juridique : « On peut se demander si la proximité incontestable de l’acte authentique et de l’acte sous signature juridique ne traduit pas plus un conflit de champs d’activité entre deux professions qu’une compétition entre les avantages respectifs des actes en question. »
Ce texte, qui soumet l’officier public à l’influence économique des participations capitalistiques, dont la seule éthique sera celle de la perception des dividendes, présente des risques réels et ne vise qu’à aligner notre droit sur le droit anglo-saxon, pour satisfaire l’appétit de leurs grands cabinets, déjà majoritaires sur la place de Paris. Plus de 80 % du marché du droit des affaires est déjà entre les mains de cabinets anglo-saxons ! La création de l’acte d’avocat ne repose que sur une demande des sollicitors, qui contestent le monopole de l’acte authentique par les notaires. Eux seuls sortiront gagnants de cette nouvelle architecture que le Gouvernement s’applique à dessiner pour notre système juridique national.
Vous-même, madame la garde des sceaux, l’avez dit, à propos de l’acte d’avocat : « Les avocats isolés des zones rurales seront moins enclins à le faire que ceux des grands cabinets. » Ce sont en effet les plus gros cabinets d’avocats parisiens et anglo-saxons, voire les groupes financiers, qui vont bénéficier de cette loi.
« Impartial et désintéressé », disait le conseiller Réal devant le Corps législatif lors des débats de la loi du 25 ventôse an XI, à propos du notaire, qui « empêche les différends de naître entre les hommes de bonne foi et enlève aux hommes cupides, avec l’espoir du succès, l’envie d’élever une injuste contestation ». Oui, parce que sa vocation est d’être impartial et désintéressé, il protège la partie la plus faible de la partie la plus forte. Pourra-t-il l’être encore quand il s’inscrira dans une « interprofessionnalité capitalistique » à la recherche du seul profit ?
Dans la droite ligne du rapport Attali de la commission dite « Pour la libération de la croissance française », ces textes considèrent les notaires et les huissiers, comme hier les avoués, comme des freins à l’économie ! Ne perdez pas de vue, mes chers collègues, qu’il n’est pas dans leur attribution de la dynamiser. Ils ont pour mission, au contraire, de la contrôler pour protéger la société.
Vous l’avez compris : les députés communistes, républicains et du parti de Gauche voteront contre ces textes, pensés pour les sollicitors au détriment des intérêts de la société et donc des justiciables.
 

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Michel
Vaxès

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