J’imagine la scène : « Les collègues sont au bout de leur vie. Ils se font secouer de toutes parts. Il faut qu’on trouve un truc ! Soyons disruptifs : disruptons la disruption ! »
« J’ai une idée ! On pourrait proposer une loi sur le well olding ! On appellerait ça le "bien vieillir" !
— Pas bête ! Il faut envoyer un feel good signal, un signal positif, aux retraités. (Sourires.)
— Et puis ça pourrait remplacer la loi sur le grand âge et l’autonomie, que nous avons promise mais qui ne viendra jamais.
— Mais voilà une idée géniale ! (Mêmes mouvements.)
— Vous allez vite en besogne. L’idée est peut-être géniale, mais nous n’avons rien à mettre dans ce texte…
— Ce n’est pas grave. Nous tenons un beau titre, qui clignote bien.
— Nous n’aurons qu’à dire qu’il s’agit d’une première pierre !
— On n’est pas près de construire les murs… »
Et nous y voilà. En effet, je ne m’explique pas autrement cette proposition de loi étrange. Certes, pour cette fois, il n’y a pas vraiment de mauvaises intentions, si ce n’est de faire de la communication. Alors disons d’emblée les choses comme elles sont. Article 1er de la loi « pour bien vieillir » : « Le projet de loi relative à la casse du droit à retraite, qui prévoit le recul de l’âge légal de départ et l’augmentation accélérée de la durée de cotisation, est abandonné. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Voilà qui aurait de la consistance ! Voilà une vraie mesure de prévention qu’elle serait bonne !
Ambroise Croizat disait à cette tribune : « Nul ne saurait ignorer que l’un des facteurs essentiels du problème social en France, comme dans presque tous les pays du monde, se trouve dans ce complexe d’infériorité que crée chez le travailleur le sentiment de son insécurité, l’incertitude du lendemain qui pèse sur tous ceux qui vivent de leur travail. Le problème qui se pose aujourd’hui aux hommes qui veulent apporter une solution durable au problème social est de faire disparaître cette insécurité. Il est de garantir à tous les éléments de la population qu’en toute circonstance ils jouiront de revenus suffisants pour assurer leur subsistance familiale. »
Viser l’objectif d’assurer le bien vieillir, l’accompagnement tout au long de la vie et le droit à l’autonomie impose de relever des défis considérables. En les ignorant, on fait grandir la mal-vie, l’angoisse et parfois le désir d’abréger l’existence.
De nombreux rapports ont été rendus, de nombreuses propositions ont été faites. Un haut niveau de protection sociale est nécessaire, qui englobe l’accompagnement à domicile et l’hébergement. À défaut, parler d’autonomie revient à jeter de la poudre aux yeux. À défaut, la solidarité repose sur les familles, quand elles en ont les moyens. À défaut, la charge est transférée sur les personnes aidantes, qui s’y épuisent quand elles peuvent être présentes.
Pour rendre effectifs les actions d’accompagnement et le soutien à l’autonomie, il faut déployer un grand service public et élaborer un vaste plan de formation, d’embauche et de reconnaissance des métiers.
Le problème, c’est que votre proposition de loi est pleine de vide. Vous faites semblant de légiférer. Quand vous légiférez en effet, c’est en défendant des amendements fleuves tombés du ciel, par exemple ceux relatifs aux personnes vulnérables. À cela près, le texte ne prévoit aucun dispositif opérant. Vous organisez une conférence dont on ne sait à peu près rien ; vous demandez des rapports sur à peu près tout ; vous inventez un dispositif contre l’isolement social, qui existe déjà à peu près.
Il est vrai que vous pointez du doigt la maltraitance, que vous créez une carte professionnelle, que vous demandez à la CNSA de financer explicitement la mobilité des professionnels. Dont acte. On relève quelques intentions louables : je les loue, mais je ne les achète pas. Car la loi n’est pas la loi si elle en reste aux intentions, sans accorder de moyens juridiques et financiers.
Nous avons le sentiment d’être invités à jouer le deuxième acte de votre pièce, avant d’en ressortir pour affronter la désillusion du monde réel, auquel cette proposition de loi ne changera rien.
Si l’on veut être un peu plus charitable avec vous, on peut se dire que cela ressemble à une proposition de loi d’appel, pour gansailler le Gouvernement et lui demander de faire quelque chose. Gansaillons donc, pendant les prochaines heures, pour voir ce qu’il en sortira.
Il serait temps cependant de déployer une grande ambition nationale en matière politique et sociale, en faveur du troisième et du quatrième âge, et du droit à l’autonomie. La création de la cinquième branche, au-delà même des questions de gestion qu’elle soulève, n’y a encore rien fait.
Sortons des lois d’affichage. Je le répète pour conclure : si vous voulez vraiment une société du bien vieillir, renoncez enfin à abîmer le droit à la retraite. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)