Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’un droit fondamental, fruit d’un long combat mené par les femmes : le droit à l’interruption volontaire de grossesse, un droit qui doit être préservé et garanti. C’est tout l’objet de ce texte, que nous soutenons.
Comme cela a été rappelé, c’est en 1974, voilà quarante-deux ans, que l’Assemblée nationale inscrivait à son ordre du jour cette liberté pour les femmes. La loi Veil ne fut pas votée sans heurts. Le débat fut vif, la droite conservatrice de l’époque, déchaînée, usant des pires arguments pour s’opposer à cette avancée majeure – je note du reste qu’elle reste aujourd’hui égale à elle-même, sur cette question comme à propos de la campagne de prévention du VIH : ils continuent.
Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Absolument !
Mme Jacqueline Fraysse. La loi fut cependant votée, avec l’appui de ceux qui étaient alors dans l’opposition : les députés de gauche, dont les députés communistes de l’époque.
Plusieurs députés du groupe socialiste, écologiste et républicain. Tout à fait !
Mme Maud Olivier. Majoritairement !
Mme Jacqueline Fraysse. Ces derniers avaient, quelques mois plus tôt, déposé une proposition de loi-cadre pour la promotion de la femme et de la famille, dans laquelle figurait cette exigence. Dès 1974, ils demandaient le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale et posaient la question des moyens mis à la disposition des hôpitaux pour rendre ce droit effectif.
Le remboursement s’est fait attendre et les moyens hospitaliers ont, eux aussi, tardé à se déployer. Après le vote de la loi, l’accès à ce droit n’a pas été simple pour les femmes. Des barrières demeuraient : l’application de la clause de conscience, les discours moralisateurs et réactionnaires, sans parler des commandos anti-IVG qui en étaient l’expression.
M. Jean-Luc Laurent. Eh oui !
Mme Jacqueline Fraysse. Fort heureusement, ces obstacles se sont estompés avec le temps. Depuis la reconnaissance du droit à l’avortement par la loi Veil votée le 17 janvier 1975, d’indéniables progrès ont été réalisés et plusieurs textes sont intervenus pour renforcer ce droit et assurer son plein exercice.
Le délit spécifique d’entrave à l’IVG, qui nous occupe aujourd’hui, a été institué dès la loi du 27 janvier 1993, qui sanctionne le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher une IVG en perturbant l’accès aux établissements de soins concernés ou en exerçant des menaces sur le personnel ou sur les femmes elles-mêmes. Ce délit est désormais puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
La loi du 4 juillet 2001 a renforcé ce délit d’entrave à l’IVG en ajoutant la notion de pressions morales et psychologiques pour sanctionner les menaces et les actes d’intimidation et en alourdissant les peines prévues.
Le quinquennat actuel a également été marqué par plusieurs avancées concernant le droit à l’avortement. En novembre 2014, notre groupe a ainsi cosigné une résolution proposée par le groupe socialiste visant à reconnaître le droit à l’avortement comme un droit fondamental. Cette résolution a été adoptée à la quasi-unanimité. De même, nous avons voté la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui élargit le champ du délit d’entrave en permettant de sanctionner les actions qui viseraient à empêcher l’accès à l’information au sein des structures pratiquant des IVG.
Le texte qui nous est proposé aujourd’hui poursuit dans la même démarche en s’adaptant aux problématiques nouvelles liées au développement du numérique. En effet, la présente proposition de loi vise à étendre aux pressions psychologiques et morales qui s’exercent sur internet le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.
Nous ne pouvons que souscrire à cet objectif. Personne ne peut en effet nier qu’il existe aujourd’hui sur internet et sur les réseaux sociaux des pressions à l’encontre des femmes, avec la diffusion d’informations manifestement erronées, destinées à les dissuader de recourir à l’IVG. Plusieurs sites n’hésitent pas à revêtir une apparence officielle pour diffuser de fausses informations et induire en erreur les personnes qui cherchent à s’informer.
Outre le fait qu’ils font entrave au droit à l’avortement, ces sites sont dangereux, car ils brouillent les messages des pouvoirs publics sur internet en matière de santé. Or, nous savons qu’internet constitue le premier lieu d’information, notamment pour les jeunes. Le combat des commandos anti-IVG ayant changé de terrain, il est indispensable d’apporter une réponse adaptée aux évolutions de notre société. Cette proposition de loi, si elle est adoptée, permettra de combler un vide juridique qui empêche aujourd’hui le juge de sanctionner les pressions psychologiques organisées sur ces sites.
Nous sommes conscients du fait que légiférer sur les échanges sur internet n’est pas chose facile, car un juste équilibre est requis pour préserver à la fois la liberté d’information et la liberté d’expression. Le débat contradictoire est évidemment nécessaire et rien ne doit interdire qu’il se poursuive.
De ce point de vue, si la version initiale du texte contenait certaines ambiguïtés, la nouvelle rédaction proposée offre, après le travail réalisé en commission, un équilibre satisfaisant entre ces différentes exigences. Elle permettra de rendre pleinement effectif le délit de pression psychologique et morale exercée sur les femmes cherchant des informations sur l’IVG au moyen d’internet ou sur les personnels médicaux, tout en laissant, bien sûr, la place au débat. Il appartiendra ensuite au juge, garant des libertés individuelles, de bien placer le curseur entre la légitime répression du délit d’entrave et le respect de la liberté d’expression.
Au-delà du renforcement de notre législation, tout doit être mis en œuvre pour garantir aux femmes un accès effectif au droit à l’avortement. De ce point de vue, je crois nécessaire d’alerter sur le fait que ce droit est également menacé par les coupes budgétaires opérées ces dernières années dans les politiques de santé, auxquelles s’ajoute la fermeture de nombreux hôpitaux de proximité et de plannings familiaux. Garantir le droit à l’avortement implique certes des textes législatifs, mais aussi les moyens financiers nécessaires aux établissements de santé qui pratiquent les IVG.
En tant que législateur, nous avons la responsabilité de rester vigilants, car même les droits les plus fondamentaux ne sont jamais définitivement acquis, comme le montrent les exemples récents de plusieurs pays européens dont les gouvernements ont tenté de remettre en cause ce droit.
La proposition de loi que nous examinons participe de ce combat de tous les jours pour que le droit à l’interruption volontaire de grossesse s’exerce pleinement. C’est pourquoi les députés du Front de gauche le voteront sans hésitation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
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