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Intervention des forces armées en Libye

M. le président. Pour le groupe GDR, la parole est à M. Jean-Jacques Candelier.
M. Jean-Jacques Candelier. Pour un autre son de cloche !…
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, messieurs les présidents de commission – mon cher président Teissier –, chers collègues, par une lettre adressée le 25 mai dernier au Premier ministre, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche ont demandé la tenue de ce débat, en vertu de l’article 35 de la Constitution, avant la fin de la session. Nous avons été entendus. Et nous saisissons cette occasion pour exiger un cessez-le-feu immédiat en Libye.
Le 22 mars dernier, alors que la France était déjà entrée en guerre, et dans le cadre d’une parodie de consultation démocratique, nous avions fait connaître l’opposition des députés communistes, républicains et citoyens à l’intervention des forces françaises. Nous étions alors bien seuls dans cet hémicycle. Nous sommes aujourd’hui rejoints par la majorité des Français – plus de 51 %.
Monsieur le Premier ministre, je vous ai écouté avec attention. L’intervention en Libye ne devait pas durer plus d’une quinzaine de jours, si je ne me trompe, selon les membres du Conseil national de transition libyen réunis à Paris en mars. Après quatre mois de bombardements, vous voulez encore nous faire croire à un succès imminent – on a même parlé du 14 juillet. Comment ne pas voir dans cet optimisme une marque d’entêtement, alors que, selon tous les indicateurs, la coalition s’enlise ?
La démocratie exige rigueur et honnêteté intellectuelle ; elle s’accommode mal des mensonges et de l’hypocrisie. Nous gardons en mémoire les propos tenus par le ministre Alain Juppé dans cet hémicycle le 22 mars : l’opération en Libye, disait-il, « n’est pas une opération de l’OTAN ». Cinq jours plus tard, l’OTAN assumait officiellement 1’intégralité du commandement militaire ! La représentation nationale mérite davantage de considération !
Pour leur part, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche continueront de dire la vérité sur les tenants et aboutissants de cette guerre que nous avions critiquée d’emblée.
M. Roland Muzeau. Très bien !
M. Jean-Jacques Candelier. Malheureusement, les faits nous ont donné raison. Croyez bien que nous aurions préféré nous tromper !
L’opération de propagande de la quasi-totalité des responsables politiques français a échoué. Il est de plus en plus difficile de croire au mythe fondateur du sauvetage de Benghazi par la coalition emmenée par les sauveurs suprêmes, Bernard-Henri Lévy et Nicolas Sarkozy. De fait, les Français n’y croient plus. Pouvait-il en être autrement ?
M. Jean Auclair. Et quand Brejnev est allé en Afghanistan ?
M. Jean-Jacques Candelier. En effet, après vous être compromis avec le régime de Kadhafi en recevant le colonel en décembre 2007 – il avait même planté sa tente à l’Élysée –, en l’armant et en le soutenant, vous partez en guerre pour, dites-vous, sauver les populations civiles. Pourtant, l’homme et son régime sanguinaire sont les mêmes. Pourquoi ce revirement dans votre appréciation et votre attitude ? Les Français ne s’y trompent pas, et s’interrogent sur la véritable raison de cette intervention.
D’autres populations civiles sont aujourd’hui menacées et massacrées au Moyen-Orient ; cela ne semble pas vous affecter. Pourquoi sommes-nous donc aujourd’hui en Libye ? Les Occidentaux ne voient-ils plus dans le dictateur le « bon cheval » permettant de piller les extraordinaires ressources en matières premières du pays ?
De fait, Kadhafi ne tenait plus l’activité économique ; l’extraction des hydrocarbures était mise à mal ; la manne pétrolière était bloquée. C’est alors seulement que la situation humanitaire est devenue problématique à vos yeux ; de notre côté, nous n’avions cessé de nous en inquiéter. Les résultats parlent d’eux-mêmes : désormais, une partie de la production pétrolière est vendue aux compagnies occidentales à des conditions défiant toute concurrence. Voilà le succès espéré ! Entre Nicolas Sarkozy et le tyran Kadhafi, tout est question d’intérêts mercantiles !
M. Jean-Marc Roubaud. Oh !
M. Jean-Jacques Candelier. Malheureusement, ce n’est pas un cas isolé : il résume les relations de la France avec les dictatures de par le monde. Peut-il en être autrement dès lors que le Président de la République a réduit les relations diplomatiques de la France à des relations commerciales…
M. Jean-Paul Lecoq. Ou touristiques.
M. Jean-Jacques Candelier. …et préfère faire du business avec les dictateurs plutôt que de tisser des liens avec les peuples ?
Nous ne nous livrerons pas à une comptabilité macabre du nombre de victimes de part et d’autre – les populations qui s’insurgent contre le régime de Kadhafi d’un côté, celles qui tombent sous les bombes de l’OTAN de l’autre. Car, en réalité, toute victime est une victime de trop.
M. Jean-Paul Lecoq et M. Roland Muzeau. Très bien !
M. Jean-Jacques Candelier. Cela étant, notre critique de la diplomatie française ne peut en aucun cas être interprétée comme une forme de complaisance à l’égard du régime libyen. Car, contrairement au chef de l’État, nous n’avons jamais changé d’avis sur le dictateur Kadhafi !
Notre ligne politique est claire et cohérente. Comment ne pas être révolté par les attaques perpétrées contre des zones résidentielles de Misrata, par les tirs répétés de roquettes, de mortiers et de bombes à sous-munitions sur les civils ? Mais la protection des populations civiles ne peut servir à cautionner une campagne de bombardements !
Aujourd’hui comme hier, nous exigeons donc l’arrêt instantané des opérations de bombardement et un cessez-le-feu immédiat.
Dès le mois de mars, notre collègue Roland Muzeau avait parfaitement expliqué notre refus de cette guerre, soulignant que la communauté internationale n’était pas unanime, mettant en garde contre la précipitation et les risques d’enlisement et de partition du pays, rappelant surtout, avec Rony Brauman, cette évidence : on n’impose jamais la démocratie et la paix par des bombes.
La suite des événements nous a tragiquement donné raison. La résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, destinée à protéger la population civile et à imposer un cessez-le-feu, est un échec politique et militaire. On savait déjà que l’Inde, la Chine, le Brésil, l’Allemagne, la Russie et plusieurs pays d’Amérique latine avaient refusé de soutenir l’offensive militaire.
M. Roland Muzeau. C’est vrai.
M. Jean-Jacques Candelier. Et ce n’est pas le soutien de quelques pétromonarchies du Golfe satellisées par les États-Unis qui change la donne !
Depuis le début des opérations, la coalition s’effrite. D’emblée, l’opération a perdu le soutien de l’Union africaine et de la Ligue arabe. De son côté, la Norvège a annoncé qu’elle mettrait fin à son engagement dès le 1er août. Après la reconnaissance officielle de deux bavures, l’Italie a demandé quant à elle le 22 juin, par la voix du chef de sa diplomatie, la suspension immédiate des hostilités et l’ouverture de couloirs humanitaires.
Cette dernière proposition a été immédiatement repoussée par l’OTAN, qui a refusé toute pause dans les opérations. Une fois de plus, l’OTAN est incapable de sortir de son attitude va-t-en-guerre, dont le fiasco afghan a déjà montré les limites. Elle prône la guerre totale, la fuite en avant. En écartant toutes les offres de médiation, la coalition manifeste qu’elle n’a jamais eu pour objectif d’instaurer la paix dans la région, ni de permettre aux populations de choisir librement leur destin.
Nous allons jusqu’à larguer des armes et à envoyer des conseillers militaires. Quel manque de discernement ! Quelle absence de recul ! Nous soutenons les populations insurgées qui se battent pour la liberté et pour une véritable démocratie,…
M. Pascal Brindeau. Donnez-leur donc une chance !
M. Jean-Jacques Candelier. …mais nous ne fermons pas pour autant les yeux sur certaines exactions, notamment envers des travailleurs immigrés venus d’Afrique et assimilés un peu vite à des mercenaires du régime Khadafi.
Le parachutage d’armes aux insurgés restera le symbole de 1’impréparation et de l’inconséquence de l’OTAN, ainsi que des dissensions en son sein. Totalement isolée, la France a été obligée de faire machine arrière. Pense-t-on réellement que l’on puisse larguer des fusils-mitrailleurs et des lance-roquettes sur un territoire en conflit en même temps que des médicaments ?
Le ministre russe des affaires étrangères a qualifié la livraison d’armes de « violation grossière de la résolution 1970 du Conseil de sécurité de l’ONU ». Pour le dire clairement, la France a violé l’embargo qu’elle avait elle-même contribué à instaurer ! Sans parler du non-respect de notre législation nationale sur l’importation et l’exportation de matériels de guerre, qui découle de la position commune européenne adoptée – cruelle ironie – lors de la présidence française de l’Union !
On l’aura compris, la légalité internationale a été mise à mal de manière répétée.
De plus, le président de la Commission de l’Union africaine a déclaré le jeudi 30 juin que ces livraisons favorisaient « le risque d’une guerre civile, le risque d’une partition de l’État, le risque d’une somalisation du pays, le risque de prolifération des armes en lien avec le terrorisme ». On ne saurait être plus lucide.
La France se devait d’ouvrir la voie au « printemps arabe ». Elle n’en a rien fait ; pire, et édifiant, elle l’a déstabilisé en pratiquant deux poids, deux mesures, s’agitant ici et restant muette sur la situation à Bahreïn, en Syrie ou encore au Yémen !
Aujourd’hui, plus de 4 000 militaires sont engagés. Nous réalisons plus de 30 % des frappes de la coalition. Nous fournissons un tiers des bâtiments, avec huit navires, mais aussi 80 % des hélicoptères d’attaque, 30 % de l’aviation de combat, soit quarante chasseurs, dont vingt-trois de l’armée de l’air et dix-sept de l’aéronavale, et 20 % des avions ravitailleurs, de transport, ainsi que de patrouille maritime.
Environ 2 millions d’euros de surcoût budgétaire sont engloutis chaque jour pour des frappes dites « chirurgicales ». On connaît cette chirurgie-là : chaque jour, de multiples bâtiments publics, industriels ou culturels, des infrastructures sans intérêt militaire, sont détruits.
Il n’est pas trop tard pour arrêter cette folie guerrière ! Nous ne pouvons laisser perdurer plus longtemps des opérations qui constituent une action contraire à la Charte des Nations unies, outrepassant largement la résolution 1973.
La France se devait, de par son rôle au sein du Conseil de sécurité, de garantir le pilier fondamental de la Charte des Nations unies, à savoir l’article 2, alinéa 4, qui interdit à tout État membre l’usage de la force ou la menace de l’usage de la force. En favorisant l’adoption de la résolution 1973, la France a failli à ses obligations internationales et participe à l’instauration d’une nouvelle gouvernance mondiale basée sur la loi du plus fort. Ainsi se trouvent remises en cause la paix et la sécurité internationales.
Il ne peut y avoir de légalité internationale à détruire un État membre de l’ONU. Une telle ambition est parfaitement contre-productive : comment ne pas voir que Kadhafi utilise l’intervention occidentale et tire profit du réflexe patriotique ?
Nous le disons gravement : le choix de la voie diplomatique, que vous avez écarté d’emblée, aurait déjà permis la mise en œuvre de négociations. Nous vous l’avions demandé à maintes reprises. Nous réitérons cette demande. C’est urgent ; il n’y a plus de temps à perdre.
Retrouvons vite notre tradition diplomatique passée, fondée sur la reconnaissance des États et sur la primauté du droit international. Ne cédons pas à la doctrine de la guerre du bien contre le mal : voyez où elle a mené en Irak et en Afghanistan !
Le temps de la négociation et du cessez-le-feu s’impose plus que jamais – non pour des raisons de coût financier, mais pour les plus élémentaires raisons légales et humanitaires. En ne se limitant pas à la protection des civils, le Gouvernement est allé trop loin. Oserez-vous, chers collègues, le cautionner ?
Pour protéger réellement les populations civiles – ce qui doit être notre objectif commun – il faut rechercher une solution politique. Seule la voie diplomatique est susceptible d’apporter une issue durable et juste, de permettre au peuple libyen de vivre en sécurité et de choisir librement son avenir, dans le respect de l’intégrité territoriale du pays.
Nous proposons que la France prenne, avec l’Union européenne, l’initiative de réunir une conférence internationale de haut niveau, sous l’égide des Nations unies, ou sollicite la tenue d’une session spéciale de l’Assemblée générale de l’ONU. Les protagonistes libyens seraient appelés à y participer, sous le parrainage vigilant de la Ligue arabe et de l’Union africaine. De nouveaux rapports de force internationaux sont nécessaires pour que les résolutions du Conseil de sécurité soient sans ambiguïté, clairement circonscrites et conduites sous l’égide de l’ONU, et non de l’OTAN.
La solidarité vis-à-vis des populations libyennes commande d’agir avec la plus grande détermination pour l’arrêt des bombardements, le retrait des forces de 1’OTAN et pour l’établissement immédiat d’un cessez-le-feu multilatéral.
La solidarité appelle aussi une application pleine et entière du droit d’asile. La France, l’Italie et la Grande-Bretagne, notamment, se doivent de donner un avenir aux hommes, aux femmes et aux enfants qui fuient les combats. Il est consternant que le drame des réfugiés ne reçoive aucune réponse digne des valeurs auxquelles les pays occidentaux se réfèrent en permanence. En adoptant une attitude humaine, vous allégeriez la charge qui pèse aujourd’hui sur le peuple de Tunisie, dont je salue la détermination à instaurer une société meilleure.
Sortons du carcan belliqueux de l’OTAN ; en nous appuyant sur une doctrine multilatérale renouvelée, réalisons l’amitié entre les nations dans le cadre d’une ONU démocratisée, qui ne serait plus l’apanage de quelques-uns.
Pour retrouver une voix respectable et respectée dans le monde, la France doit appeler à réformer une gouvernance mondiale qui ne sert aujourd’hui que les intérêts d’un cercle fermé de grandes puissances. L’organe décisionnel de l’ONU, le FMI ou encore la Banque mondiale doivent ainsi être démocratisés d’urgence.
La France s’honorerait en permettant aux peuples de bénéficier des richesses de leur pays, au lieu de soutenir un dictateur parce qu’il satisfait aux besoins commerciaux de notre pays, et de partir en guerre quand celui-ci ne répond plus à ces besoins.
Nous prônons une politique étrangère qui n’est pas la vôtre – une politique étrangère au service de la coopération, de la démocratie et de la paix.
M. Pascal Brindeau. C’est la politique des Bisounours !
M. Jean-Jacques Candelier. Dans notre monde en crise, cette politique est d’autant plus indispensable.
Vous l’aurez compris, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, dans la logique qui nous a conduits à condamner l’entrée en guerre de notre pays, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche, en accord avec la majorité des Français (Protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP)…
Mme Françoise Hostalier. Pas du tout ! Au contraire ! (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)
M. Jean-Jacques Candelier. Eh oui, 51 %, les chiffres sont là !
Les députés du groupe GDR voteront donc contre la prolongation de l’intervention de nos forces armées en Lybie.
Monsieur le Premier ministre, prenez l’initiative d’un cessez-le-feu immédiat, osez la paix et la démocratie pour la Lybie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. — Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Paul Lecoq. C’est ça, le courage !
M. Roland Muzeau. Souvenez-vous donc des petits fours que vous avez préparés pour Kadhafi en 2007 !

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)

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