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Instituer une carte vitale biométrique

La fraude est un poison. Elle l’est d’autant plus qu’elle sert de prétexte à attaquer les droits établis. C’est ainsi que la fraude aux prestations sociales est surestimée pour justifier des visées politiques antisociales. Elle sert à stigmatiser les assurés sociaux et les bénéficiaires – certains ne se privant pas, au passage, de cibler parfois les personnes étrangères. Elle est utilisée pour leur dénier des droits à la protection sociale et pour faire prévaloir l’esprit de contrôle plutôt que celui d’accompagnement.

Ainsi, la proposition d’une carte Vitale biométrique constitue la très mauvaise suite à une infox, une fake news propagée sur différents plateaux de télévision et sur les réseaux sociaux : extrapolant un contrôle mené en 2011, elle conclut de façon extravagante que 1,8 million de numéros de sécurité sociale seraient attribués en France sur la base de faux documents, ce qui causerait une fraude de 14 milliards d’euros.

Cela constituerait en effet une défaillance considérable, mais les travaux menés par la suite ont largement invalidé ces chiffres. En juin 2019, un rapport d’information sénatorial, chers collègues du groupe Les Républicains, a estimé que le coût de la fraude documentaire s’établissait entre 117 et 139 millions d’euros pour l’année 2019, soit cent fois moins que les chiffres qui justifient votre initiative et, peut-être, votre obsession.

Dans son bilan 2018, l’assurance maladie a recensé 261 millions d’euros de remboursements abusifs détectés, soit 0,058 % du montant total annuel des prestations qu’elle verse. La hausse qu’elle a constatée n’est pas liée à l’augmentation des abus mais à des contrôles plus efficaces. En outre, cette fraude est davantage le fait des professionnels de santé et des établissements que des assurés eux-mêmes, impliqués dans moins d’un quart du montant total des fraudes. Quant à la fraude à la carte Vitale en tant que telle, elle ne représente, selon le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat, « qu’un montant faiblement significatif ».

Vous y allez donc à la tractopelle pour cueillir un radis. Les moyens utilisés sont, en tout état de cause, foncièrement disproportionnés au regard de leurs conséquences pour l’ensemble des assurés sociaux et de leur coût de mise en œuvre. Mieux vaudrait renforcer les effectifs dédiés au contrôle.

La mise en place d’une carte Vitale biométrique suppose la collecte de données personnelles sensibles, ce qui pose de sérieux problèmes en matière de sécurité et de confidentialité, dans le seul but du contrôle.

Un rapport du Défenseur des droits de septembre 2017 dénonce les dérives de cette politique, mettant en lumière les carences dans la définition de la fraude et les abus liés à cette forme de lutte, au mépris des droits des usagers. Vous ne ciblez pas les fraudeurs mais vous faites de chaque assuré un suspect. En particulier, vous ne ciblez pas ce qui devrait sans doute l’être : la fraude organisée. Votre proposition la décuplerait sans avoir d’effet favorable sur les finances sociales. Voulons-nous d’une société de la suspicion et du fichage généralisés ? Est-ce sur ces bases que doivent se construire les rapports entre les citoyennes et citoyens et la puissance publique ?

Je vous invite à vous intéresser également à d’autres types de fraudes, bien plus conséquentes mais qui semblent moins vous passionner : la fraude à l’impôt sur les sociétés, par exemple, qui représenterait 27 milliards d’euros, la fraude fiscale, qui s’élèverait à 80 milliards d’euros, ou encore la fraude à la TVA.
(Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
On pourrait également évoquer, monsieur le secrétaire d’État, la fraude à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, dont le contrôle menace d’être retiré aux douaniers pour être remplacé par de simples formules déclaratives.

Quant à la fraude patronale aux cotisations sociales, elle entraînerait 20 à 25 milliards d’euros de pertes de recettes pour les caisses de sécurité sociale, selon un rapport de la Cour des comptes. Cette fraude dont personne ne parle prend plusieurs formes : travail dissimulé, non-paiement d’heures supplémentaires, prestations réalisées sous le statut de travailleurs indépendant au lieu du salariat, en lien avec l’uberisation de l’économie. La lutte contre ce type de fraude revêt pourtant une importance majeure pour le respect du travail et pour le financement pérenne de la sécurité sociale, à l’heure où nul ne peut nier les besoins sanitaires et sociaux.

Enfin, j’appelle votre attention sur les sommes qui ne sont pas dépensées en raison du non-recours aux droits, elles aussi beaucoup plus élevées ; un rapport parlementaire de 2016, dont Gisèle Biémouret était l’un des rapporteurs, évoquait ainsi un montant supérieur à 5 milliards d’euros concernant le RSA – revenu de solidarité active. Il y a bien plus de personnes qui ne font pas valoir leurs droits que de fraudeurs, et c’est un constat que nous ne devons pas accepter non plus. Une personne éligible au RSA sur trois n’en fait pas la demande, et 40 % des personnes éligibles à la complémentaire santé solidaire ne la demandent pas. Cet enjeu devrait constituer une priorité de l’action publique. Des propositions existent pour progresser vers l’automaticité des aides sociales.

Pour toutes ces raisons, les députés du groupe GDR s’opposeront à cette proposition de loi. J’ajoute que l’ensemble des propositions que vous nous avez présentées aujourd’hui, chers collèges, composent un programme politique vertigineux qui remet en lumière, selon moi, la nécessité d’une alternative à gauche. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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