Interventions

Discussions générales

Gouvernement : déclaration sur les langues régionales

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Ministres, Chers Collègues,
Ce débat trop longtemps repoussé s’impose enfin.
C’est un premier succès pour celles et ceux qui des décennies durant ont résisté à une conception réductrice des questions linguistiques. Une résistance qui renvoit fondamentalement à deux conceptions opposées de l’organisation sociale, l’une marquée par les logiques de domination, de hiérarchisation, l’autre par celles de solidarité, de partage, de respect mutuel, de tolérance.
Cette avancée marque l’évolution d’une opinion qui adhère plus largement à l’idée que l’universalité de la culture n’est nullement contradictoire à la diversité de ses sources et à la spécificité des individus, des groupes, des nations dont elle est l’expression.
Le refus de toute hiérarchie normative a grandi, il exprime l’exigence renforcée d’une création permanente misant sur le respect et la valorisation de la diversité des expériences, des savoirs, de la fertilité créative des individus et des groupes qui font société.
Lorsque, sans susciter la moindre polémique, la Délégation générale à la langue française devient en 2002 la Délégation générale à la langue française et aux langues de France c’est de cette évolution qu’elle témoigne et c’est dans cette perspective nouvelle qu’il convient d’aborder sereinement le débat sur les langues de France, leur reconnaissance par la République, et leur place au sein de celle-ci.
Le plurilinguisme ouvre sur la richesse de la diversité humaine. Cette perspective doit conduire la France à accepter cette diversité linguistique historique et plus encore à en faire un atout. Il s’agit donc, non seulement de la défendre, mais surtout de la promouvoir dans l’espace privé comme dans l’espace public.
Pour être sincère cette volonté appelle, au-delà de la nécessaire modification constitutionnelle, une loi qui donne aux langues de France un statut et définit le cadre de leurs promotions. A défaut, c’est une part de notre patrimoine culturel qui sera définitivement perdu.
Cette exigence, les parlementaires communistes l’ont depuis longtemps exprimée, elle a fait l’objet de deux propositions loi, l’une déposée le 27 Mai 1986, l’autre le 14 Octobre 1988 à l’initiative de Guy Hermier. L’interprétation par le Conseil Constitutionnel de la modification du 25 juin 1992 de la loi fondamentale leur interdit d’être examinées. Comme si l’acceptation par tous du Français comme langue de la République devait être exclusive de toute appropriation culturelle en matière linguistique.
Jusque ici, celles et ceux qui militent pour la reconnaissance et la promotion des langues de France ont été contraints d’apporter réponses à des questions qui pourtant ne devraient plus se poser.
Celles relatives à l’héritage culturel qu’il ne faut pas brader, mais au contraire en permanence revivifier.
Celles des bienfaits cognitifs et pédagogiques du bilinguisme que plus aucun spécialiste ne nie.
Celles qui soulignent que la langue du terroir permet de mieux comprendre le milieu local sa géographie et son histoire.
Celles qui témoignent de son utilité pour le français lui même face aux risques de la banalisation culturelle qu’induit une certaine conception de la mondialisation.
Celles qui montrent que ces langues ouvrent sur les espaces culturels voisins et participent, en conséquence, de la construction d’une culture commune à l’échelle européenne.
Celles qui rappellent que face à la diversité, il n’est pas de meilleur apprentissage de la tolérance que la prise de conscience de la diversité même de la culture française.
Celles de pur bon sens soulignant que la France ne peut sérieusement militer pour le respect de la diversité culturelle à l’échelle internationale en continuant de refuser cette diversité sur son propre territoire.
Mais au nom de risques présumés de replis identitaires, toute discussion sur la reconnaissance des langues de France a été rejetée sans même voir que ce rejet était lui-même un repli, et qu’il risquait, par les déceptions et les frustrations qu’il provoque, de mener droit au péril que l’on dit vouloir éviter.
 
Le moment est venu de mesurer ce qu’un effort national de revitalisation et de reconquête peut apporter au lien social et à l’essor culturel de notre pays.
La pluralité linguistique fait partie de la réalité française depuis les origines de l’Etat, depuis que les Rois de France ont décidé d’annexer les territoires voisins.
L’indispensable diffusion d’une langue commune a conduit à considérer que l’espace public devait être le domaine de la seule langue nationale, l’usage des autres langues devant être réservé au seul usage privé.
Cette idée, d’apparente logique cherche par le biais d’arguments fallacieux à justifier le rejet ancien de tout ce qui n’est pas le français. Derrière ce rejet, on trouve au fond le vieux mépris pour le parler des simples gens.
Si par le passé, les langues régionales se sont naturellement transmises grâce à l’espace privé c’est tout simplement parce que l’espace public, en dehors de celui réservé aux élites, n’imposait pas de choix linguistique. Mais aujourd’hui aucune langue ne peut se transmettre en Europe sans le support de l’espace public.
Les pays qui nous entourent l’ont bien compris et la présence des langues à l’école, à la radio, à la télévision, dans la signalétique est devenue indispensable à leur pratique.
Quand sortirons nous enfin du mythe d’une société monolithique où toute différence est vécue comme une déviance et un danger ?
Les effets de ce mépris séculaire, de cette méfiance affichée pour les langues de France ont amené au cours du XXe siècle un déclin de plus en plus rapide de ces langues et conduit des populations entières au reniement d’une part d’elle-même, sans aucun profit pour la cohésion nationale puisque les conflits qui traversent la société ne sont historiquement jamais d’ordre linguistique mais toujours économico-politiques avec ou sans habillage religieux.
En ce domaine comme dans tous les autres quand comprendrons nous enfin que ce qui crée la cohésion du corps social national autour de valeurs communes, ce sont les actes solidaires et l’attention respectueuse portée aux autres, personnes ou groupes, toujours singuliers ? Quand admettrons nous enfin que c’est le respect de la diversité des langues et des cultures dont ils sont porteurs, la promotion et le développement des échanges et des fécondations mutuelles entre ces cultures, qu’il est aujourd’hui devenu urgent de faciliter, d’encourager, de soutenir en mobilisant en leur faveur les moyens adaptés ?
La cohésion nationale repose tout à la fois, sur la cohabitation dynamique entre les diverses expressions de citoyens véritablement égaux et sur l’adhésion de tous à un projet collectif fondateur de citoyenneté. Et puisque le modèle civique français est fondé sur le lien politique et non sur le lien ethnique, cette adhésion suppose en retour l’acceptation par la collectivité nationale de ces héritages linguistiques et culturels divers.
Accepter l’idée de cette association étroite entre français et autres langues de France, implique que sur tous les points du territoire national, l’école et les médias prennent acte de leur existence. Le contraire reviendrait à considérer que l’universel leur est définitivement interdit et qu’il serait réservé au seul français.
A ce propos, en 1951 la loi Deixonne née de l’initiative d’André Tourné et des deux propositions communistes de 1948, l’une sur le breton, l’autre sur le catalan, a représenté, un incontestable progrès puisqu’elle reconnaissait la valeur des langues régionales et organisait leur enseignement. Elle n’en comportait pas moins des limites dans sa conception même et dans son champ d’application puisque n’étaient concernés que le catalan, la langue occitane, le basque et le breton auxquelles ont été fort légitimement intégré depuis, le Corse, l’Alsacien et les Créoles.
La reconnaissance de toutes ces cultures régionales, élément fondamental de la culture française, légitime un effort national de revitalisation et de reconquête. Cela suppose de mobiliser d’importants moyens en faveur du développement culturel régional.
L’état doit être le garant des langues de France et de leur statut. Dans les domaines qui sont de sa compétence directe, il doit aussi être l’acteur de cette reconnaissance. L’état doit assumer ses responsabilités en direction des médias et des institutions culturelles comme dans le domaine de l’enseignement.
A côté de l’État, les autres collectivités territoriales ont leur rôle à jouer dans l’accompagnement de la politique générale concernant les langues de France. Cela implique la mobilisation de ressources financières complémentaires, l’aide à la création, et d’une manière générale tout ce qui concerne l’expression à l’échelle locale, de la spécificité linguistique et culturelle.
Les institutions européennes sont elles aussi concernées. D’abord parce que certaines langues de France sont aussi transfrontalières, ensuite parce que la question des langues régionales se pose maintenant à l’échelle Européenne.
Au niveau mondial, les recommandations de l’ONU en matière de Droits de l’Homme, et celles de l’UNESCO en matière de préservation de la diversité linguistique et culturelle doivent être prises en compte dans l’élaboration de la loi.
Les parlementaires communistes soutiennent des propositions élaborées avec les associations qui militent pour la prise en compte de la diversité linguistique et culturelle dans notre patrimoine national.
S’il est peu pertinent de revendiquer une parité absolue entre le français et les autres langues, ces dernières doivent pouvoir avoir une place dans l’espace public qui leur permette d’être visibles et audibles. C’est la condition première de leur pratique.
Si l’accès aux langues régionales à l’école doit demeurer du domaine du libre choix, facultatif, optionnel mais de droit disions nous dans notre proposition de 1988, car en effet l’institution a, elle, l’obligation, de rendre ce choix effectivement possible, par une offre généralisée, partout où l’une de ces langues est pratiquée, partout où une demande significative se manifeste. Cela implique :

  • une information, complète et précise de toutes les familles.
  • une véritable politique de recrutement d’enseignants de la maternelle à l’Université,
  • Une politique dynamique de développement des filières bilingues à parité horaire, et de l’enseignement par immersion, dans l’Education Nationale comme dans le secteur associatif pour les élèves et les familles qui le souhaiteraient .
  • une valorisation au niveau des examens et concours par l’ouverture d’épreuves bénéficiant de coefficients incitatifs.
  • une vraie place pour les langues régionales dans l’enseignement supérieur et les grands organismes de recherche.
  • un développement de l’enseignement pour adultes, qui correspond à une demande et peut fournir des compétences professionnellement utiles.
    Enfin, une information minimale sur l’existence des langues et cultures régionales doit être offerte sur l’ensemble du territoire et intégrée dès le socle commun aux programmes de l’Education Nationale.
    Si certains cahiers des charges de radios ou télévisions publiques prévoient la prise en compte des cultures "régionales", dans la réalité, celles-ci sont souvent cantonnées à la seule dimension folklorique. Les grands réseaux nationaux et pas seulement France3 doivent mettre plus de moyens et d’horaires à la disposition des producteurs d’émissions en langues régionales. La création de chaînes de télévision publiques propres aux diverses langues régionales répondrait à la revendication commune des associations les plus représentatives de chacune de ces langues. Au moment ou les radios associatives émettant en langue régionale risque de voir leur financement asséché par la fin annoncée de la publicité dont une partie des recettes leur était destinée, il convient que des financements publics nouveaux et suffisants leur soient alloués.
    La création en langue régionale doit être soutenue par une aide accrue du Ministère de la Culture en partenariat avec les collectivités locales afin de favoriser le contact et l’échange entre les créations et les grands lieux d’affichage culturel que sont par exemple les diverses manifestations nationales et régionales. Cette ouverture constitue le meilleur moyen de lutter contre la ghettoïsation de ces langues et des cultures dont elles sont porteuses.
    La mise en place d’une politique ambitieuse de prise en compte par la Nation de la diversité de ses pratiques linguistiques doit s’accompagner de la mise en place d’instances de contrôle indépendantes chargée de faire respecter la loi, suivre l’évolution de sa mise en œuvre et évaluer les effets des mesures prises. Ses observations devraient faire l’objet d’un rapport annuel devant la représentation nationale.
    La cohésion sociale, garante de l’unité républicaine, suppose que notre République accueille enfin la diversité comme une richesse à partager entre tous. L’année 2008 est l’année des langues nous dit l’Unesco, profitons en pour prolonger ce débat par l’élaboration d’une loi sans laquelle nos échanges ne seraient que bavardages stériles. Une loi qui donne enfin aux langues de France leur vraie place dans la Nation. Voilà ce que nous réclamons !
     
    Extrait d’un discours sur le colonialisme prononcé le 26 février 1986 par Aimé CESAIRE aux états Unis :
     
    « …La négritude a été une révolte contre ce que j’appellerai le réductionnisme européen. Je veux parler de ce système de pensée ou plutôt de l’instinctive tendance d’une civilisation éminente et prestigieuse à abuser de son prestige même, pour faire le vide autour d’elle en ramenant abusivement la notion d’universel, chère à Léopold Sedar Senghor, à ses propres dimensions, autrement dit à penser l’universel à partir de ses seuls postulats et à travers ses catégories propres. On voit les conséquences que cela entraîne. Couper l’homme de lui-même, couper l’homme de ses racines, couper l’homme de l’univers, couper l’homme de l’humain et l’isoler en définitive dans un orgueil suicidaire sinon dans une forme rationnelle et scientifique de la barbarie…. »
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