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Fonction publique : La Poste et les activités postales

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, il n’y a aucune raison autre qu’idéologique et politique de changer le statut de La Poste.
D’après le Gouvernement, il s’agirait de fournir à La Poste un financement de 2,7 milliards d’euros, mais cela est possible sans changer de statut.
À vous entendre, le Gouvernement pourrait utiliser de l’argent public – cadeaux fiscaux en tous genres, exonérations de cotisations sociales – pour favoriser le financement du privé sans que cela constitue un avantage concurrentiel, mais il ne le pourrait pas pour financer le service public, car il y aurait là un avantage concurrentiel.
Dire que la Commission européenne nous en empêcherait signifie simplement qu’il faut modifier les règles ultralibérales qui prévalent à Bruxelles. Cela dépend de vous. Ce n’est pas que vous ne pouvez pas ; c’est que vous ne voulez pas. Ce n’est pas une question de droit ; c’est une question politique.
Déjà, il suffirait que l’État paie ses dettes envers La Poste – environ 1 milliard d’euros par an –, et rembourse les dividendes que ce service public lui procure – environ 250 millions d’euros sur deux ans –, pour couvrir pratiquement la moitié des besoins annoncés. Parmi les milliards d’euros accordés en prêts et en fonds propres aux banques, serait-il possible d’en prévoir 1,5 pour La Poste, somme dont la moitié serait couverte par la simple suppression du bouclier fiscal ?
Ce que vous présentez comme une garantie de non-privatisation de La Poste n’en est évidemment pas une, car il faudrait que cette prétendue garantie soit inscrite dans le marbre de la Constitution : le simple fait que vous le refusiez démontre clairement le peu de valeur de votre engagement.
La seule garantie véritable pour éviter la privatisation de ce service public est tout simplement de ne pas en changer le statut. Votre proposition est donc un subterfuge, un faux engagement destiné à faire avaler la pilule : de la même façon, le Président de la République, alors ministre de l’économie, s’était personnellement engagé à ce que l’ouverture du capital de GDF ne dépasse pas un certain seuil ; on sait ce qu’il est advenu de cette promesse dont le seul but était de faire accepter plus facilement le principe de l’ouverture du capital et de la privatisation.
Nous sommes bien dans le subterfuge le plus complet, et pour une raison simple : vous êtes les tenants de la dérégulation, de la libéralisation totale de l’économie, d’une loi du marché pure et dure, dont vous vantez quotidiennement les mérites, même si, en ces temps de crise du système capitaliste, vous êtes parfois plus discrets.
Avec des années de retard, vous courez derrière l’ultralibéralisme et le business model anglo-saxon, malgré l’ampleur de ses dégâts. Non seulement vous n’en tirez aucune leçon, mais vous ne tenez aucun compte de l’analyse qu’en a faite un célèbre économiste américain, pourtant récemment mis à contribution par le Président de la République, je veux parler de Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie. La lecture de l’un de ses derniers ouvrages, Quand le capitalisme perd la tête, serait pourtant très instructive pour vous et le Gouvernement. Joseph Stiglitz écrit ainsi : « Pendant des années la politique économique nationale a été orientée par des idéologues du libre marché qui idéalisaient le secteur privé et diabolisaient les services publics, les programmes et les réglementations de l’État. On sait depuis longtemps que les marchés ne sont pas capables de s’autoréguler, qu’ils peuvent produire trop de pollution, par exemple, ou trop peu d’investissement dans l’éducation, la santé, la recherche. »
Joseph Stiglitz s’en prend également à ces « conservateurs qui préconisent sans cesse de “rétrécir” l’État pour mieux laisser faire les marchés ». On voit où cela vous a menés. Le même auteur ajoute : « La déréglementation tourne au délire », et explique comment elle « réduit les profits » ; dès lors, « il devient impératif pour les marchés financiers de tout déréglementer pour augmenter les profits ».
Autre argument balayé par Joseph Stiglitz : la déréglementation rend les marchés plus concurrentiels, donc bénéficie aux consommateurs et à la société en général. On sait ce qu’il en est de cet attrape-nigaud utilisé pour faire accepter, par exemple, la déréglementation des prix d’EDF, alors même que cette entreprise se prépare à aligner ses prix réglementés sur ceux du privé, nettement plus élevés.
Voilà donc où nous entraîne votre obsession du « tout déréglementé » : tout soumettre à la concurrence, bref, tout subordonner à la loi du fric ; en l’occurrence, supprimer 50 % des bureaux de poste, supprimer la moitié des emplois pour détruire le plus vieux service public français. On sait ce qu’il en est de la privatisation de la poste dans de nombreux pays, notamment au regard de la qualité du service rendu et de la hausse des tarifs. Bref, quand l’intérêt financier supplante l’intérêt général, ce ne sont pas seulement les personnels de la poste qui en supportent les conséquences, mais l’ensemble des usagers.
Le service public est incompatible avec une gestion privée ou à caractère privé. L’argument que les autres pays, notamment en Europe, ouvrent à la concurrence toutes les activités postales et qu’il faut les imiter n’est qu’un alibi pour laisser triompher le dogme du « tout marché » et du « tout dérégulé ». Le fait que d’autres soient dans l’erreur ne peut justifier que nous les imitions : fallait-il, par exemple, imiter les pays anglo-saxons qui développaient les subprimes ? Notre pays a d’ailleurs été à deux doigts de plonger dans ce délire et d’imiter celui qui déréglemente le plus, qui développe la concurrence la plus débridée et accorde le plus de bonus à ses traders.
En fait, votre obsession, avec cette ouverture de capital – lequel sera forcément d’origine privée dans un deuxième temps, comme on le voit déjà avec la Banque postale –, n’est pas de satisfaire les besoins de nos concitoyens, mais de gagner des parts de marché en Europe. Nous voilà à nouveau dans ce cercle vicieux destructeur, où la concurrence sert d’alibi à tous les abandons, au nom d’une guerre économique et financière qui pourtant a déjà fait tant de dégâts, engendré tant de chômage, de précarité et de pauvreté. Dans ce contexte, la sagesse commande de dire : « Arrêtez le massacre ! »
Comme le disent aujourd’hui des économistes, d’ailleurs de plus en plus nombreux, « la culture de Wall Street, l’appauvrissement des populations et un taux de chômage supérieur à 10 %, ça devient choquant ». Vous représentez, notamment en soutenant le changement de statut d’un grand service public national, cette culture dont les Français ne veulent plus : ils ne tarderont pas à vous le dire. D’ailleurs, vous avez si peur de leur jugement que vous refusez la tenue d’un référendum sur la privatisation de La Poste. Si la Constitution révisée prévoit bien le référendum d’initiative populaire, arguez-vous, la loi organique permettant de l’organiser n’est pas votée, de sorte que l’on ne peut organiser ce référendum : grotesque !
La vérité est que vous avez peur du verdict du peuple français, car lui sait ce que veut dire changer le statut d’une entreprise publique ; lui sait ce que vaut l’engagement selon lequel le capital ne sera ouvert qu’à des fonds publics ; lui sait ce que signifie le principe de l’État majoritaire ou détenteur d’une minorité de blocage. L’expérience est là pour prouver que de telles promesses n’engagent que ceux qui les croient, et que l’issue est toujours la privatisation.
Ne venez pas dire, pour fuir ce verdict populaire, que l’Assemblée nationale représente nos concitoyens, comme vous l’aviez déjà avancé pour fuir leur verdict au sujet du traité de Lisbonne : si vous ne reconnaissez pas au référendum un statut supérieur dans l’expression de la volonté de notre peuple, il ne fallait pas inscrire ce droit dans la Constitution.
Tout ce qui a été fait depuis les années Reagan et Thatcher pour dérouler le tapis rouge aux marchés financiers, pour privatiser, déréguler et réduire à sa plus simple expression le rôle de l’État, a débouché sur la crise grave – plus grave encore que vous ne le dites – que nous connaissons aujourd’hui et que la plupart de nos concitoyens, à l’exception des plus riches, vont payer.
La Poste est à moderniser, sans doute ; pour ce faire, elle a besoin, comme tous les services publics, d’un bol d’air démocratique. Salariés, usagers et élus doivent être associés aux choix stratégiques, aux grandes orientations et aux grandes décisions. C’est à ce prix que l’on renforce vraiment un service au public sur tout le territoire. La Poste a besoin d’un soutien public aujourd’hui accordé sans aucune contrepartie au secteur privé.
Au niveau européen, c’est de coopération entre les services postaux qu’il faut parler, et non de guerre économique sur fond de gains de parts de marché. En outre, La Poste doit constituer, avec la Banque postale mais aussi la Caisse des dépôts et consignations, la Caisse de prévoyance, la Banque de France et OSEO, un pôle financier public, lequel a un rôle majeur à jouer pour relancer l’économie, diriger l’argent vers l’emploi, la formation et l’investissement, et non vers les dividendes et la spéculation.
Nous avons une autre ambition pour La Poste que d’en faire le marchepied d’un monde financier prédateur. N’oublions pas que le degré de civilisation d’un pays se juge à l’importance et à la qualité de ses services publics, donc au niveau d’égalité et de solidarité qu’il établit entre chacun de ses citoyens.
Pour toutes ces raisons, votre projet de loi constitue une contre-réforme dommageable à notre pays et à nos concitoyens. Les députés communistes et républicains et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine dans son ensemble s’y opposeront donc de toutes leurs forces. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Jean-Claude
Sandrier

Député de Cher (2ème circonscription)
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