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Fonction publique : La Poste et les activités postales

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, je vous propose de vous parler sans détour : le débat que propose le Gouvernement est pipé.
Vous avez certifié à nos collègues sénateurs, monsieur le ministre, que La Poste serait « imprivatisable », vous fondant sur le préambule de la Constitution de 1946. Il me semble nécessaire de repasser le film du démantèlement de la grande entreprise qui regroupait La Poste et les télécommunications. Au terme d’un long processus, cette entité a fait l’objet d’un dépeçage qui a conduit à la scission d’abord, à la privatisation de France Telecom ensuite, jusqu’aux changements de La Poste, déjà en œuvre depuis plusieurs années.
Est-il besoin d’évoquer l’enquête réalisée auprès des salariés de France Telecom, qui montre les effets dramatiques d’un management braqué sur la rentabilité à tout crin ? Voilà des années que les gouvernements successifs foulent au pied le préambule de 1946 dont vous vous réclamez aujourd’hui.
En 1879 fut créé le ministère des postes et télégraphes. Le dernier à l’occuper en tant que ministre sous cette dénomination spécifique fut François Fillon en 1995, ministre délégué chargé de la poste, des télécommunications et de l’espace. Joli clin d’œil de l’histoire qui veut que ce même François Fillon soit, en tant que Premier ministre, l’un des responsables de la privatisation de ce service public.
Réexaminons le scénario qui passe par la promotion, à travers l’Europe, du capitalisme mondialisé.
En 1986, l’Acte unique européen crée un grand marché intérieur. La concurrence libre et non faussée devient la norme : les monopoles d’État et les services publics sont en première ligne. S’il est un secteur où les firmes capitalistes ont compris qu’il y avait du fric à faire, c’est bien sûr le secteur des télécommunications.
L’année 1992 est celle de la signature du traité de Maastricht et de la publication du Livre vert de la Commission européenne sur les services d’intérêt général. Comme le secteur des télécommunications est à l’évidence le plus juteux, le dépeçage commence par là.
Le 1er janvier 1988 voit la séparation des PTT en deux entités distinctes et la naissance de France Telecom.
En 1990, la loi Quilès transforme La Poste et France Telecom en exploitants de droit public, dotés de l’autonomie financière, d’une personnalité morale distincte de l’État. Dès lors, leur budget n’a plus jamais été voté par l’Assemblée nationale.
En juin 1996, France Telecom se transforme en société anonyme.
En septembre 1997, nous passons à l’ouverture du capital avec 21 % au privé.
En 1998, nous assistons à une deuxième ouverture : le capital est privé à 38 %. En 2004, à la faveur d’une troisième ouverture, 58 % est dévolu au privé. France Telecom devient de fait une entreprise privée. Enfin, en 2007, la participation publique est ramenée à 26 %.
Faut-il que je vous raconte la suite, monsieur le ministre ? France Telecom est devenue aujourd’hui une société capitaliste avec ses pires excès. Les personnels sont pressés comme des citrons, la précarité est généralisée, les usagers sont devenus de simples clients. Surtout, les uns et les autres sont victimes de la rapacité incontrôlable d’une multinationale sans foi ni loi.
Mais venons-en à La Poste, deuxième cible du ravage libéral dont vous êtes le porteur, monsieur le ministre.
La Poste fonctionne déjà sur le mode du privé. En 1985, Chronopost a été créé pour répondre, en principe, à la présence des distributeurs américains sur le marché français. La notion de service public est loin : Chronopost offre aujourd’hui des services à coût élevé, objet de multiples contestations quant à la qualité du service rendu. Dans cette filiale qu’est Geopost, devenue société anonyme, c’est la logique capitalistique qui prime.
En vingt ans, La Poste a créé 291 filiales, dont certaines ont déjà le statut de sociétés anonymes, a fait des acquisitions et s’est implantée à l’étranger.
Le groupe est divisé en quatre métiers : courrier, colis et express, services financiers, réseaux des bureaux de poste. La Banque postale est sans doute la plus avancée dans la voie du capitalisme avec ses filiales spécialisées dans les assurances et la gestion des actifs.
Sa naissance s’est faite en deux temps : d’abord en 2000 avec la création de la filiale Efiposte, qui a permis une gestion financière échappant au contrôle du Trésor : ensuite, le 1er janvier 2006, Efiposte est devenue la Banque postale, société anonyme dont le capital est, pour l’instant, détenu à 100 % par La Poste.
Elle est en partenariat avec de nombreux organismes privés, ses filiales sont regroupées dans un holding, mais les usagers en font chaque fois l’expérience : la Banque postale tend à devenir une banque comme une autre, démarchant prioritairement des produits financiers dont la logique est branchée sur le profit, la rentabilité et non plus sur l’intérêt général et la notion de service public.
S’agissant du courrier, c’est là que les filiales sont les plus nombreuses, regroupant quatre pôles composant la holding Sofipost. Je vous fais l’économie du détail de ce dispositif complexe.
L’expérience des particuliers et des entreprises est que le courrier est de moins en moins distribué à J + 1 et que la levée des boîtes aux lettres s’effectue de plus en plus tôt dans l’après-midi. À tout cela, il existe une raison : les coupes claires dans les personnels : de 2004 à 2008, nous sommes passés de 190 000 à 151 000 fonctionnaires, c’est-à-dire que l’on en a supprimé 38 600 environ en quatre ans. En revanche, le nombre des emplois contractuels à statut précaire est passé de 90 000 à 105 000. Les fonctionnaires représentaient à l’époque deux tiers des effectifs, contre près de la moitié aujourd’hui. Expliquez-nous, dans ce contexte, comment vous comptez pouvoir préserver la poste publique à 100 %, alors que le principe en est déjà foulé au pied.
Permettez-moi de vous citer un extrait du rapport présenté par François Ailleret qui a inspiré votre projet : « La Poste pourra solliciter ultérieurement d’autres investisseurs que l’État pour mener à bien ses projets et leur donner une activité comparable à d’autres postes. » Aujourd’hui, il faut savoir comment se réorganisent les services de La Poste, en particulier la distribution du courrier. Nous sommes déjà dans le syndrome de France Télécom. Faute de personnels suffisants, les facteurs se voient imposer des tournées à rallonge, des horaires insupportables, des pressions sur l’obligation de résultats à tout prix. À l’arrivée, c’est un service en baisse pour les usagers, des conditions de travail qui n’ont plus rien à voir avec le service public ni, bien évidemment, avec le statut de la fonction publique.
L’implantation de La Poste elle-même sur le territoire national est à la mesure du découpage humain qui est engagé. Un bureau de poste sur trois a déjà disparu. Sur 17 082 implantations, soit 35 %, 5 000 bureaux environ de plein exercice sont liquidés. Ils ont été transformés en poste-mairie qui seront à terme à la charge des collectivités, ou en poste-commerce, comme dans les bureaux de tabac, la maison de la presse ou l’épicerie du village. Vous organisez la désertification du monde rural. Que valent donc les envolées lyriques sur le développement durable ? Vous nous expliquez que le changement de statut s’explique par le besoin de fonds propres de La Poste pour intervenir dans une nouvelle logistique et vous évoquez l’exigence d’acquisition d’avions, de nouveaux centres de tri, d’acquisition de TGV. On dirait presque une publicité télévisée !
Je vis dans la région lyonnaise une expérience qui démontre l’exact contraire de vos déclarations d’intention. L’escale postale de l’aéroport Saint-Exupéry sera privatisée le 6 avril 2010, après celles de Marseille et de Montpellier. Cela s’effectue par le biais de la filiale nébuleuse Néolog qui œuvre au démantèlement de la mission de La Poste dans les aéroports. Ce ne sera donc plus La Poste qui acheminera le courrier. Il y a deux ans déjà que la flotte d’avions propriété de La Poste Air-France a été vendue à prix sacrifié à un groupe irlandais avec, comme actionnaire principal, un groupe belge.
Alors, résumons, monsieur le ministre.
J’évoquais, au début de mon propos, l’Acte unique de 1986 et le développement du grand marché capitaliste intérieur. Tel a été l’acte – le terme est bien celui qui convient – qui a scellé la volonté de disparition des services publics. En définitive, il s’agissait de céder toutes les activités humaines à la prédation de la rentabilité.
Cela a été, en 1992, le traité de Maastricht puis le Livre vert de la Commission européenne sur les services d’intérêt général.
Je ne reviens pas sur le sort réservé au secteur des télécommunications.
En ce qui concerne La Poste, s’en est suivi, en décembre 1997, une première directive adoptée en codécision par le Conseil et le Parlement européen, validée par les gouvernements et les élus de l’Union, ouvrant à la concurrence, à partir du 1er janvier 1999, les envois dont le poids égale ou dépasse 350 grammes.
En juin 2002, une seconde directive est intervenue. Elle a étendu la disposition aux envois de 100 grammes et plus, applicable au 1er janvier 2003, puis ceux de 50 grammes et plus, applicable au 1er janvier 2006. La même directive prévoyait que la libéralisation serait totale en 2009. Cette date a été repoussée du fait des réticences et une troisième directive est intervenue fixant la libéralisation au 1er janvier 2011.
Monsieur le ministre, votre projet de loi intervenant dans ce contexte-là, vous êtes dans la logique de liquidation du service public postal. Vous nous emballez ou vous tentez de nous emballer le cadeau pour qu’il soit présentable, mais l’histoire que je viens de rappeler du démantèlement des PTT fait voler en éclats votre opération de dissimulation.
Aujourd’hui, avec votre projet, nous sommes au stade de 1996 pour France Télécom quand elle est devenue société anonyme. C’est le tour de La Poste et vos tentatives de camouflage n’y changeront rien.
N’oubliez pas que, le 29 mai 2005, 55 % des Français ont repoussé la concurrence libre et non faussée du projet de Constitution européenne. Nous savons que les choix du peuple français vous importent peu puisque le Gouvernement n’a pas voulu que les Français soient consultés sur la nouvelle mouture de cette Constitution ni que le traité de Lisbonne fasse l’objet d’un vote des électeurs.
Toutefois il y a des limites à ce déni de démocratie. La votation citoyenne sur votre projet a rassemblé plus de deux millions de nos concitoyens. Mais vous vous en moquez avec mépris. Pourtant, deux millions de personnes sont-elles quantité négligeable, quand on a à y opposer une représentation nationale aux ordres en lieu et place du peuple sur le traité de Lisbonne ?
Regardons donc, monsieur le ministre, où en sont les pays qui sont allés dans la voie de la libéralisation et de la privatisation. Mon collègue, Daniel Paul, en a détaillé les modalités et les conséquences : suppression des bureaux de poste, liquidation de milliers d’emplois de postiers fonctionnaires, hausse des tarifs pour les usagers, sabotage du service public et règles de la rentabilité capitaliste.
Ces bilans ne donnent pas envie de se lancer dans cette aventure où les usagers n’ont rien à gagner et les salariés de La Poste fonctionnaires tout à perdre.
Pour les premiers, on peut prévoir, à court ou à moyen terme, la poursuite de la fermeture de bureaux de poste, la mise en cause de la suppression de la distribution du courrier, notamment dans les zones rurales, la fin du tarif unique, la distribution cinq jours par semaine du courrier au lieu de six.
Quant aux salariés de La Poste, ils sont déjà victimes des suppressions d’emplois – plus de 30 000 dans l’Union européenne, 10 000 par an en France –, du travail à temps partiel et des nouvelles formes d’externalisation et de précarité.
Les faits sont têtus. Alors que la crise financière marque l’échec du capitalisme de la dictature financière, il est suicidaire de continuer dans une voie qui conduit droit dans le mur. Livrer les services publics aux appétits du marché, c’est programmer leur destruction.
La Poste publique a fait ses preuves. Que l’on songe à l’extraordinaire proximité des facteurs et des usagers, de nos bureaux de poste et des populations, des services rendus extraordinaires, de l’apport à l’aménagement du territoire et à la vie locale. Elle peut parfaitement continuer à accomplir cette mission. Elle doit pour cela échapper à tout prix aux critères marchands. Il appartiendrait à l’État de lui en donner les moyens, mais vous avez choisi la voie inverse. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans la suite de la discussion. Pour l’heure, il serait urgent d’arrêter les dégâts. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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André
Gerin

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