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Évaluation environnementale et information du public

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, venons-en directement au fait, car, s’agissant de ces deux ordonnances, il nous faut répéter une première remarque, qui s’impose : il est certes habituel que les ordonnances entrent en application avant d’être approuvées par le Parlement, mais cela pose et posera toujours la question du rôle des élus. L’entrée en vigueur des dispositions qui nous occupent ne peut que freiner notre assemblée dans sa capacité à bouleverser l’économie générale et la substance des textes qui lui sont soumis.
Pourtant, cette remarque ne nous interdit pas de prendre acte des améliorations apportées au texte en commission sur les questions relatives au débat public et à la concertation préalable. Cela a été rappelé, l’abaissement de 10 à 5 millions d’euros du seuil de dépenses publiques permettant l’exercice du nouveau droit d’initiative citoyenne, l’allongement de deux à quatre mois du délai d’exercice de ce droit, l’allongement à six mois du délai pendant lequel l’illégalité pour vice de forme ou de procédure peut être invoquée, et la systématisation de l’étude des alternatives aux projets, y compris celle de la renonciation au projet, toutes ces mesures vont dans le bon sens.
Néanmoins, ces ordonnances n’en demeurent pas moins profondément ambivalentes. S’agissant de l’ordonnance relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, un premier constat s’impose. La modification de nombreux critères et seuils par le texte et le décret correspondant dispensent de fait d’étude d’impact un grand nombre de projets auparavant soumis à la procédure du cas par cas. La réforme opère parallèlement un basculement de nombreux projets de l’évaluation systématique vers l’examen au cas par cas. Ainsi s’établit un processus de déclassement des projets selon qu’ils sont soumis ou non aux exigences de l’étude d’impact. Cela signifie que le respect du principe de non-régression du droit de l’environnement dépendra demain de la particulière vigilance des services de l’État sur le terrain.
Nous ne remettons bien sûr pas en cause la probité des services de l’État, mais, compte tenu du nombre croissant de dossiers à traiter dans le cadre de cette procédure et des moyens malheureusement en baisse des services, on peut légitimement s’interroger sur leur capacité à toujours procéder à une analyse fine des projets et de leurs impacts potentiels sur l’environnement.
Les associations de protection de l’environnement ont également exprimé la crainte de pressions visant à dispenser d’étude les projets économiquement stratégiques. N’oublions pas, en effet, que l’un des objectifs affichés de la réforme est de « raccourcir les délais et de diminuer les coûts ».
Pour résumer la situation, nous aurons, d’un côté, pour les projets qui resteront soumis aux exigences de l’étude d’impact, des améliorations indéniables et, de l’autre, une situation où la plupart des projets seront affranchis de ces exigences, afin de faciliter et d’accélérer leur réalisation. Nous ne pouvons donc nous satisfaire, monsieur le secrétaire d’État, du prétendu équilibre subtil que vous auriez trouvé, qui consiste à maîtriser, d’un côté, et à laisser faire davantage, de l’autre.
La réforme du dialogue environnemental appelle d’ailleurs des remarques analogues. L’ensemble des dispositions proposées, y compris en matière d’élargissement de la saisine de la CNDP, représente, certes, une avancée démocratique, mais les critères d’éligibilité des installations devant entrer dans le champ de saisine restent très restrictifs, notamment les seuils financiers, dont la mise en œuvre mérite l’un des principaux reproches que l’on peut adresser à ce texte. En effet, ni la convention d’Aarhus ni les directives européennes la déclinant et prévoyant la participation du public n’autorisent de conditionner la participation à de tels critères. Conditionner les évaluations environnementales à des seuils purement financiers a, d’ailleurs, déjà été jugé contraire au droit de l’Union par la Cour de justice de l’Union européenne.
Notons enfin que, si le texte prévoit désormais l’allongement à six mois du délai pendant lequel l’illégalité pour vice de forme ou de procédure peut être invoquée, vous ne cherchez nullement à mettre un frein à la jurisprudence du Conseil d’État, qui est aujourd’hui systématiquement appliquée par les juridictions administratives et qui réduit de fait le nombre des vices de procédure susceptibles de constituer un motif d’annulation des décisions administratives.
Avec ce texte, nous avons le sentiment que l’urgence environnementale n’est toujours pas appréhendée à sa juste mesure. Nous devons avoir l’audace de nous fixer un équilibre de décision beaucoup plus exigeant en matière environnementale. Toutes les vingt minutes, nous bétonnons, en France, l’équivalent de quatre terrains de football de terres agricoles. Nous ne comptons plus le nombre de projets purement et simplement aberrants.
Prenons l’exemple d’EuropaCity, dans le quartier du Triangle de Gonesse. Le groupe Auchan veut y construire un énorme complexe commercial et de loisirs au milieu d’un nouveau quartier d’affaires s’étalant sur 300 hectares de terres agricoles très fertiles. Il devrait voir sortir de terre une piste de ski couverte, une salle d’exposition, et 400 boutiques de luxe. Quel est le sens de ce bétonnage à outrance, qui, de zones commerciales en contournements autoroutiers, de fermes-usines en parcs de loisirs aseptisés, engloutit tous les sept ans l’équivalent de la surface d’un département français ?
Selon l’Observatoire national de la biodiversité, en métropole, près de 67 000 hectares par an en moyenne ont été détruits par artificialisation entre 2006 et 2014. L’urgence est donc bien de mettre fin à ces destructions, qui ont des conséquences irréversibles sur la biodiversité et l’environnement, et un impact tout aussi important sur le bien-être de nos concitoyens, en matière sanitaire notamment.
Force est de reconnaître que, en dépit des moyens croissants affectés à la protection de l’environnement, les pouvoirs publics ne parviennent pas à enrayer cette spirale, faute de volonté politique. En 2004, la France avait pris l’engagement, dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité, de stopper la perte de biodiversité en 2010. Or, aujourd’hui, tous les indicateurs sont au rouge. Le Grenelle de l’environnement avait fixé pour objectif d’atteindre 25 % de part de marché pour les modes alternatifs à la route dans le transport de marchandise d’ici à 2022. Ce taux n’est toujours que de 12 %. Le plan volontariste de développement des transports ferroviaires et fluviaux est à quai – si je puis dire : ces modes de transports continuent de perdre des parts de trafic.
M. le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, annonce désormais des états généraux de l’agriculture et de l’alimentation, assortis d’un plan d’action pour la protection des sols et la souveraineté alimentaire. Le ministre prévoit également des assises de la mobilité, pour plancher sur l’enjeu majeur des transports. Bien sûr, nous approuvons ces orientations, mais le présent projet de loi ne va pas dans ce sens. Nous conditionnerons donc notre vote à l’accueil qui sera réservé à nos amendements, qui visent, d’une part, à reclasser dans le champ des projets soumis à études d’impact tout projet susceptible d’avoir une incidence significative sur l’environnement et, d’autre part, à améliorer la sanction des vices de procédure par les tribunaux, afin qu’elles soient davantage opposables aux décisions administratives. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)

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Hubert
Wulfranc

Député de Seine-Maritime (3ème circonscription)

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