Être souverain, c’est pouvoir prendre son destin en main. En matière d’agriculture, cela signifie pouvoir nourrir la France sans dépendre du reste du monde. Or, depuis plusieurs décennies, notre modèle agricole dévisse. La démographie recule inexorablement, ce qui a de lourdes conséquences non seulement sur l’alimentation, mais aussi sur l’aménagement du territoire, sur la ruralité, sur nos paysages et sur la biodiversité.
Le nombre d’exploitations agricoles est passé de 1,6 million en 1970 à 416 000 aujourd’hui : en l’espace de cinquante ans, notre pays a connu son plus grand plan social. La crise frappe aussi les revenus des agriculteurs, particulièrement fragilisés par deux décennies de dérégulation. En dépit des lois Egalim, la logique de construction des prix est toujours défavorable : les marges des uns sont les pertes des autres, ce qui conduit 18 % des agriculteurs à vivre sous le seuil de pauvreté. Heureusement, des associations comme Solidarité Paysans sont au chevet des plus fragiles.
Plus généralement, un modèle entier ne parvient plus à façonner son destin. Étranglée par la concurrence déloyale et par les injonctions paradoxales de la PAC – entre greenwashing et prime à l’agrandissement –, l’agriculture française ne sait plus être souveraine, malgré toute l’énergie de ceux qui la font vivre. En témoigne la composition de nos assiettes, de plus en plus mondialisées : 70 % des fruits consommés, 40 % des légumes et plus de deux tiers des produits de la mer sont importés. Le constat est rude et le malaise est grand.
Depuis des mois, des années, les agriculteurs donnent l’alerte : un sentiment gagne nos campagnes, celui d’être pris à son propre piège, entre les investissements trop lourds, la technocratie et l’impression d’être abandonnés par l’État, pourtant censé les protéger. Pourquoi en sommes-nous là, à déplorer que nous ne maîtrisions plus notre destin agricole ?
L’affaiblissement de l’État accompagnateur, le libre-échange et la dérégulation décrochent la palme de la responsabilité. Les phénomènes qui laminent notre souveraineté agricole sont connus. Pourtant, ils ne sont pas traités. La colère épaisse qui s’exprime depuis des mois dans nos campagnes et que l’on a entendue au Salon de l’agriculture n’a pas trouvé d’écho au Gouvernement. Il en a été de même pour la colère des pêcheurs, grande oubliée de ce projet de loi, alors que ceux-ci souffrent d’une érosion sans précédent de leurs revenus et de leurs effectifs.
De promesses en paroles, de paroles en échecs, il aura fallu du temps pour que vous présentiez ce qui devait constituer le nouvel arsenal législatif de notre souveraineté alimentaire et agricole. D’effets de manches en tribulations, la loi d’orientation, maintes fois réécrite et tant attendue, peut être un échec si l’on n’y prend pas garde. Ce n’est pas que le projet de loi soit dangereux ; il est simplement vide. En effet, vide de tous les sujets qui manquent, ce texte indigent se borne à des mesures cosmétiques. Il ne propose rien pour garantir une rémunération digne qui limite les marges de l’agroalimentaire et de la grande distribution ; il fait l’impasse sur les traités de libre-échange qui continuent d’amputer notre souveraineté agricole ; il ne propose rien pour la protection du foncier et l’amélioration de son accès ; surtout, il oublie de proposer un modèle qui réaffirme notre souveraineté.
Ce projet de loi s’inscrit dans le double discours permanent qu’a développé depuis sept ans le Président de la République au sujet de l’agriculture. La main molle et le verbe haut, il a toujours refusé de réguler les prix et de mettre un frein au dumping social et environnemental qui tue notre agriculture. Plutôt que de reprendre en main notre destin agricole, il a préféré les effets de style, multipliant les annonces furibondes sur les prix planchers et refusant tout moratoire sur l’Accord économique et commercial global (Ceta) – peut-être en sera-t-il de même pour l’accord avec le Marché commun du Sud (Mercosur). Les élans amoureux du Premier ministre pour l’agriculture devant une botte de foin ne trompent personne non plus.
Ce n’est pas en dénonçant les normes environnementales et sociales comme les vraies responsables de la crise agricole que le Gouvernement parviendra à faire oublier son allégeance aux traités de libre-échange, qu’il continue de négocier dans le secret des couloirs européens. Les agriculteurs ne veulent pas moins d’État, ils veulent mieux d’État, et des normes qui les protègent. L’abandon de toutes les normes ne les protégera pas des tomates espagnoles ou des fraises du Maghreb, car ce ne sont pas les normes qui permettent à la grande distribution de contourner les lois Egalim. Le rapport présenté en commission en atteste.
Face à vos contradictions, les députés communistes proposent un chemin vers la souveraineté agricole. Nous ne voulons pas d’un monde où, pour paraphraser Zola dans La Terre, plus rien n’appartiendrait au paysan, ni la terre, ni l’eau, ni le feu, ni même l’air qu’il respirerait, où il lui faudrait payer, payer toujours, pour sa vie, pour sa mort, pour ses contrats, ses troupeaux, son commerce, ses plaisirs.
C’est dans cet état d’esprit que le groupe GDR-NUPES tentera de combler le vide du texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.)