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Etat au service d’une sociéte de confiance

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance affiche de grandes ambitions, puisqu’il permettra, selon vos dires, s’il est approuvé, de transformer l’action publique en s’appuyant sur deux piliers : « faire confiance », notamment à travers l’instauration d’un droit à l’erreur pour l’administré ; « faire simple », par la mise en place de dispositions visant à réduire la complexité des parcours administratifs, à alléger les normes et à accélérer la dématérialisation des procédures, au bénéfice des usagers comme des agents de la fonction publique.
Disons-le franchement, mes chers collègues : si la simplification administrative est l’objet de ce projet de loi, la lecture du texte est tout de même loin d’être simple ! Il énumère un ensemble de mesures disparates, parfois très générales, parfois très ponctuelles. C’est une sorte d’inventaire à la Prévert, dont le fil conducteur n’apparaît pas très clairement.
Le présent projet de loi tend à modifier plusieurs codes : le code des relations entre le public et l’administration, le code général des impôts et le livre des procédures fiscales, le code du travail – déjà bien malmené ces derniers temps – et le code de l’environnement. Le texte présente donc, monsieur le rapporteur, un côté assez fourre-tout, rappelant ainsi la loi pour la croissance défendue en 2015 par Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, qui empiétait sur des domaines extrêmement divers.
Dans le cas présent, les dispositions portant strictement sur le droit à l’erreur côtoient des mesures de simplification diverses et variées telles que la suppression du papier pour les démarches administratives à l’horizon de 2022 ou la fin de l’envoi par courrier des professions de foi avant les élections, remplacé par un site internet.
Nous assistons à la naissance de ce que vous appelez le « droit à l’erreur ». Nous avons bien relevé que ce dispositif ne tendait pas à accorder aux administrés un droit de commettre des erreurs, mais leur reconnaissait un droit de régularisation d’une erreur commise de bonne foi. Néanmoins, permettez-nous de nous interroger sur sa mise en œuvre. En effet, la notion n’est volontairement pas définie par le projet de loi, afin que l’administration puisse conserver une certaine souplesse dans l’appréciation du comportement de l’usager. C’est alors la porte ouverte à certaines décisions arbitraires.
D’autre part, le Gouvernement fait de ce droit un principe général, alors qu’il faudrait pouvoir le limiter, car cela risque de laisser un espace à des comportements frauduleux. Nous ne sommes pas franchement opposés à ce dispositif. Cependant, nous jugeons qu’il ne peut pas avoir de portée générale et s’appliquer à de trop nombreuses procédures. Nous aurions préféré qu’il concerne un nombre limité de procédures ou qu’il soit centré sur les publics les plus fragilisés.
Nous ne sommes évidemment pas opposés au développement d’une administration « de conseil et de service », plutôt que d’une administration qui sanctionne à la première incartade, mais cela ne peut se faire au détriment du contrôle, d’une part, ni à effectifs et moyens constants, d’autre part. Or il est primordial de le souligner, le présent projet de loi va plus loin puisqu’il tend à alléger les sanctions encourues par les employeurs. En effet, il est proposé ici de se passer des sanctions administratives à l’égard des employeurs négligents « de bonne foi », en permettant à l’inspection du travail de prononcer un simple rappel à la loi. Autrement dit, l’inspection du travail ne sanctionnera plus automatiquement une entreprise lorsque celle-ci commettra des infractions telles que le non-respect des durées maximales de travail ou des temps de repos : elle pourra rédiger un simple avertissement dès lors qu’il n’y a pas d’intention frauduleuse.
Une telle mesure s’inscrit dans la continuité des ordonnances réformant le code du travail, qui ont allégé les obligations des employeurs en matière de santé au travail. Après la suppression des CHSCT – comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – et la modification des critères de pénibilité du travail, il est proposé ici d’alléger encore les sanctions encourues par les employeurs en cas de manquements graves ayant des incidences sur la santé des salariés. Le Gouvernement donne, là encore, entière satisfaction au patronat. Attention, monsieur le ministre, un cadeau peut souvent en cacher un autre ! Nous ne pouvons l’accepter en ces termes – vous le comprendrez aisément.
Le texte instaure un « droit au contrôle » : il prévoit que l’administration sera tenue de répondre à une demande de contrôle faite par une entreprise dans un délai « raisonnable », indépendamment de ses moyens et de ses effectifs. Les conclusions rendues lors de ces contrôles deviendront par la suite opposables.
D’une part, la plupart des mesures envisagées accroîtront la charge de travail des administrations aux dépens notamment de l’exercice de leurs missions de contrôle. Le Conseil d’État comme le Conseil économique, social et environnemental ont déjà alerté sur les risques d’atteinte au bon fonctionnement des administrations, déjà bien mises à mal dans le contexte budgétaire extrêmement contraint qui leur est imposé. Plus qu’un allégement des sanctions à l’encontre des employeurs, c’est un renforcement des moyens de l’inspection du travail dont nous aurions besoin.
D’autre part, le fait que les conclusions de ces contrôles deviendront opposables, à la manière d’un rescrit, quand bien même l’administration aurait commis une erreur lors de ceux-ci, fait également difficulté. En effet, vous n’êtes pas sans savoir que le rescrit ne fait pas l’objet d’une définition juridique claire. Nous nous opposons donc au principe de l’opposabilité des positions de l’administration dans le cas où celle-ci commet une erreur d’interprétation : il est important de pouvoir reconnaître à l’administration un droit à l’erreur et de limiter le poids de ces rescrits, qui permettront aux entreprises de transiger avec la norme en négociant avec l’administration. Celle-ci se retrouvera en position de dire le droit, ce qui représentera un risque réel de dévaluation des normes. De telles transactions négociées permettront aux entreprises d’éviter tout risque contentieux.
Enfin, la possibilité d’exercer un droit de recours est ici clairement malmenée : l’article 31 du projet de loi a pour objet de créer, à titre expérimental, un mécanisme de « rescrit juridictionnel », c’est-à-dire d’appréciation en régularité d’une décision administrative par un juge, qui limitera ensuite les possibilités de recours contre cette décision. Cette procédure de rescrit juridictionnel risque de se traduire dans les faits par des atteintes graves au droit de recours. Un porteur de projet aura ainsi la faculté de prendre de vitesse ses contradicteurs.
Un autre point de désaccord porte sur l’expérimentation du « relayage » ou du « baluchonnage », qui permet d’assurer la continuité de l’accompagnement d’une personne âgée en perte d’autonomie à son domicile pendant plusieurs jours successifs en se faisant remplacer par ce qu’on appelle familièrement un « baluchonneur ». S’il est bien évident que les proches aidants doivent pouvoir s’octroyer des temps de repos, cela ne doit en aucun cas les amener à violer le code du travail, qui interdit le travail de façon continue pendant plus de douze heures consécutives.
Si le temps me le permettait, je pourrais être beaucoup plus disert sur ce projet de loi et évoquer aussi le passage à la dématérialisation de la propagande électorale, qui constitue selon nous une véritable atteinte à la vie démocratique. Outre un désintérêt croissant des Français à l’égard des politiques et une aggravation de la fracture numérique, ladite dématérialisation aura sûrement pour conséquence un accroissement sensible du taux d’abstention.
Nous partageons le constat de difficultés dans les relations entre l’administration et les usagers. Toutefois, tous les usagers n’éprouvent pas les mêmes difficultés, et nous aurions aimé que le projet de loi se concentre davantage sur la situation des publics les plus fragiles, titulaires de droits sociaux, entrepreneurs individuels et petites entreprises.
Le terme « confiance » semble être le maître mot du projet de loi. Vous semblez d’ailleurs l’apprécier puisque cette même assemblée a voté l’été dernier, je le rappelle, une loi organique et une loi « pour la confiance dans l’action publique ». Cependant, la confiance ne semble pas être applicable à tous puisque, pour mémoire, le groupe majoritaire a voté alors contre la suppression du verrou de Bercy, qui laisse au ministère chargé du budget le monopole des décisions quant à d’éventuelles poursuites judiciaires en matière de fraude fiscale. Il y a donc plusieurs justices selon que l’on est dirigeant d’une grande entreprise ou simple contribuable.
J’ajoute que ce projet de loi prévoit de nombreuses phases d’expérimentation, plus ou moins longues, pour certains territoires de la République, notamment pour la mise en place d’un référent unique, qui aura la charge de faire traiter les demandes des usagers par l’ensemble des services concernés. Le mot « égalité » n’est-il pas inscrit sur le fronton des mairies ? Ces phases d’expérimentation entrent en contradiction complète avec le principe d’égalité devant le service public, principe à valeur constitutionnel qui signifie que toute personne a un droit égal à l’accès aux services qui en relève.
Nous aurons d’autres occasions de nous exprimer au cours de l’examen de ce projet de loi.
M. Gérald Darmanin, ministre. Oui…
M. Alain Bruneel. En tout état de cause, nous saluons le travail de la commission spéciale et de son rapporteur. C’est dans un esprit constructif et d’ouverture au débat que les députés membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine abordent l’examen de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Alain
Bruneel

Député du Nord (16ème circonscription)

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