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Environnement : Organismes Génétiquement Modifiés (OGM)

 
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues,
C’est à un véritable coup de force auquel nous assistons aujourd’hui. Pour la première fois dans les annales de cette assemblée, un texte rejeté par le Parlement est maintenu par le gouvernement à l’ordre du jour, passant outre la décision souveraine des parlementaires.
Pour faire passer en force ce projet de loi, le gouvernement détourne le sens même de notre constitution, en l’interprétant de façon tendancieuse.
L’article 91 du règlement de l’Assemblée Nationale prévoit très précisément qu’à la suite de l’adoption de la question préalable, il n’y a plus lieu de délibérer et que le texte à l’encontre duquel elle a été soulevée est rejeté. Je dis bien : « rejeté » et non « ajourné » ! Comme en 1998 avec le PACS, le projet de loi aurait donc dû être retiré et un nouveau texte préparé qui soit davantage équilibré et abouti.
Le gouvernement s’appuie pour cela de manière fallacieuse sur l’article 45 de la constitution qui dispose qu’après une seule lecture par chacune des assemblées, le Premier ministre a la faculté de provoquer la réunion d’une Commission mixte paritaire. Mais à quoi s’appliquait la Commission mixte paritaire puisqu’il n’y avait plus de texte en discussion ? D’autant plus que vous avez refusé toute discussion de fond durant cette CMP. Le déni de démocratie ne vous a pas suffit : il vous a fallu baisser le rideau de fer. Et vous avez fait avaliser par 0,9% des parlementaires un texte sans modification. Une fois de plus 0,9% vous ont suffit !
En définitive, mes chers collègues, à quoi sert une motion de procédure telle que la question préalable si le gouvernement peut ne pas en tenir compte et mépriser ainsi le vote des députés ? Allez-vous alors supprimer l’ensemble des motions de procédure lors de la révision constitutionnelle qui est en cours puisqu’elles s’avèrent dès lors inutiles ?
Plus que jamais, les députés sont considérés comme de vulgaires godillots, alors que le gouvernement prétend vouloir rehausser les pouvoirs du Parlement. Au fond, par ce passage en force, le gouvernement méprise les doutes légitimes que les députés ont exprimé par leur vote de la semaine dernière, doutes légitimes sur l’utilité réelle des OGM dont les vannes de la mise en culture seront largement ouvertes par ce projet de loi.
Car ce texte souffre d’un déséquilibre flagrant : plutôt que d’encadrer la culture des OGM comme il le prétend, il la libéralise au contraire, contribuant à laisser l’industrie agroalimentaire faire main basse sur le monde paysan.
L’ensemble de ce texte porte en effet la marque de l’agrobusiness !
Ainsi, pour prendre l’exemple le plus frappant, la totalité de la responsabilité pour une éventuelle contamination de cultures conventionnelles par des OGM reposera sur le seul producteur, tandis que les semenciers et les distributeurs mettant sur le marché des organismes génétiquement modifiés se voient totalement dédouanés.
La configuration même d’un Haut conseil des biotechnologies sensé réguler la mise en culture montre de manière très précise la façon dont l’ensemble du système mis en place est d’emblée placé dans la dépendance de ces firmes.
Nos assemblées ont ainsi refusé que le Haut conseil dispose des moyens humains et financiers propres à garantir son indépendance dans sa mission d’expertise. De même, a été refusé qu’il ait prioritairement recours aux organismes de recherche publique pour opérer les évaluations. Bref, tout ou partie de l’évaluation pourra être déléguée aux firmes privées.
De même, la désignation des membres du Haut conseil témoigne d’une grande opacité. Ainsi, a été repoussé un de nos amendements qui prévoyait que les membres du Haut conseil attestent sur l’honneur n’avoir eu, durant les cinq années précédant leur nomination, aucun lien professionnel ni financier avec un organisme privé producteur, commercialisateur ou utilisateur d’OGM. Ce rejet est déjà un aveu !
La question des essais en plein champ témoigne de la même manière de la mainmise programmée de l’agroindustrie sur la recherche agricole. J’ai proposé que ne puissent être autorisées de manière exceptionnelle que les seules disséminations volontaires émanant d’instituts de recherche publics et visant à évaluer la réalité du risque sur l’environnement. Le rejet de cet amendement montre que le gouvernement entend généraliser les essais en plein champ des firmes internationales dans un objectif unique de rentabilité pour leurs actionnaires.
Mais cette domination organisée des grands groupes s’accompagne aussi de l’absence de véritables contrepouvoirs démocratiques issus de la population et des producteurs.
Le projet de loi adopté en première lecture par notre Assemblée puis le Sénat donne en premier lieu au sein du Haut Conseil la primauté aux conclusions d’un comité scientifique dont l’indépendance, nous venons de le voir, est loin d’être garantie.
Le comité économique, éthique et social est en effet réduit à formuler de simples recommandations.
Bref, la question de l’utilité même d’un OGM, portée par ce comité, ne sera prise en compte que de manière secondaire. Mais pourquoi s’embarrasser d’un tel avis quand l’agrobusiness fixe les objectifs ?
Cet amoindrissement du rôle de la société civile est renforcé par les lacunes dans la composition même du comité économique, éthique et social. Ainsi, la participation des syndicats agricoles représentatifs, mais aussi de l’ensemble des secteurs ayant des modes de production spécifiques sous signe officiel de qualité, ainsi que les apiculteurs, n’est pas garantie.
Enfin, la question de la saisine du Haut conseil souffre du même déséquilibre démocratique. Il aurait dû être rendu possible pour toute personne, quel que soit son statut juridique, de saisir directement le Haut conseil de toute question intéressant son domaine de compétence. Cette proposition avait été émise à l’unanimité par l’intergroupe OGM du « Grenelle de l’environnement ». Or, ce refus d’élargissement est en réalité… une régression par rapport à la Commission du génie biomoléculaire.
Mais je voudrais maintenant revenir brièvement sur l’ajout des deux phrases du Sénat à l’amendement que j’avais fait adopté en première lecture et qui permettait de protéger du développement des OGM les filières de production et de commercialisation qualifiées sans OGM.
La première phrase ajoutée par le Sénat dispose que « la définition du “sans organismes génétiquement modifiés” se comprend nécessairement par référence à la définition communautaire ». Or, cette définition communautaire n’existe pas.
Quelle utilité dans ce cas de se référer à la réglementation européenne ? Ce rejet est une coquille vide.
Rien n’empêche en effet les Etats de définir le « sans OGM » sans pour autant annoncer que l’Europe aurait compétence à l’établir ! Cette nouvelle phrase est donc tout bonnement un leurre.
Comment interpréter ensuite la seconde phrase introduite par le Sénat et qui dispose que « dans l’attente d’une définition au niveau européen, le seuil correspondant sera fixé par voie réglementaire, sur avis du Haut conseil des biotechnologies, espèce par espèce » ? Ainsi, pour la première fois, la France prévoirait par cette disposition de fixer un seuil du « sans OGM » ? Cela permettra-t-il de circonscrire le champ d’application de la procédure d’autorisation visée à l’article 2 ?
En effet, le projet de loi fait l’impasse complète sur le seuil à retenir. Si cette disposition était adoptée s’ouvrirait alors un débat sur le seuil à retenir. Soit le seuil de détectabilité est alors adopté, ce qui serait scientifiquement cohérent et ne ferait que décrire la réalité, confirmant la définition donnée par la DGCCRF. Soit un autre seuil serait retenu, comme les fameux 0,9%, mais sous peine de connaître une situation absurde où des produits dits « sans OGM » comprendraient dans les faits des OGM !
 
Mais la précipitation avec laquelle le Président de la République a imposé cette formule sous la pression de l’opinion et contre l’avis du Premier Ministre impose la prudence. Quelles sont les intentions réelles de la majorité ? La volonté est-elle de répéter dans d’autres termes les attributions déjà énoncées ailleurs dans le projet de loi ou est-ce réellement novateur ?
 
N’est-ce pas une simple disposition de façade qui ne sera jamais appliquée comme tant d’autres dispositions ou appliquée avec un laxisme permettant tous les abus ?
 
Vous l’avez sans doute compris : l’ensemble de mon propos me mène à la conclusion que ce texte est nuisible pour sa plus grande part, très inabouti pour le reste. Il doit donc, comme le voulait la semaine dernière l’adoption de ma question préalable, être retravaillé et rééxaminé sous une autre forme. C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, que vous soyez députés de la majorité ou députés de l’opposition, à vous mettre à l’écoute de nos concitoyens qui rejettent massivement ce projet de loi et à les suivre dans le rejet de ce texte. Je pense même qu’en le rejetant vous voterez tout simplement en accord avec votre conscience.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
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