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Environnement : engagement national pour l’environnement (Grenelle II)

Madame la présidente, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, le Grenelle de l’environnement devait marquer un tournant de l’histoire et nous faire « entrer dans le monde d’après », comme l’explique la campagne de publicité gouvernementale. Le slogan est bon ; maintenant, place aux actes.
On ne peut avoir la fibre écolo durant les périodes de campagnes électorales et ensuite abandonner ces questions lorsque l’on réalise qu’au-delà de l’affichage, l’action concrète pèserait électoralement ou financièrement. C’est pourtant ce qui se passe aujourd’hui.
Les tables rondes du Grenelle de l’environnement ont démontré combien les préoccupations environnementales étaient présentes chez les Français, toutes sensibilités confondues. Elles ont permis de prendre des décisions importantes, certaines d’entre elles ayant été inscrites dans le Grenelle 1. Toutefois ce texte, qui devait être le symbole d’une rupture écologique, a mal vécu la confrontation avec la réalité libérale qui domine aujourd’hui notre société.
Les choix budgétaires opérés dans la loi de finances pour 2010 ne traduisent pas en actes, loin de là, les orientations du Grenelle. La contradiction est abyssale entre les décisions annoncées qui participent à l’affichage des ambitions française lors du sommet de Copenhague et les orientations mises en œuvre.
Tel est notamment le cas pour le transport routier. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, censé être la boîte à outils de cette rupture, illustre bien cette situation : pas de volonté politique, donc pas de financement ; des mesures phares, comme la taxe poids lourds, sont abandonnées. Cette disposition, qui était pourtant un engagement clair de la négociation du Grenelle de l’environnement 2007 et dont la portée avait déjà été affaiblie par l’introduction de moult dérogations, est annoncée maintenant pour 2012, l’année de l’élection présidentielle ! Inutile de dire qu’il est peu probable qu’elle soit un jour mise en place : sept ans d’affichage pour un piètre résultat.
C’est dommage, particulièrement pour l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, dont la situation budgétaire, déjà très préoccupante, ne risque de ce fait pas de s’arranger avant 2013. Son peu d’activité a d’ailleurs amené la Cour des comptes, dans son rapport annuel de 2009, à recommander sa suppression en la qualifiant d’agence « de financements aux ambitions limitées, privée de ses moyens, désormais inutile. »
Rien d’étonnant donc à ce que nous attendions toujours le schéma national des infrastructures de transport ! L’État n’a pas les moyens de ses ambitions ; plus exactement il ne se les donne pas. Il est vrai qu’entre les exonérations patronales diverses et autre bouclier fiscal, et le financement d’une politique ambitieuse en matière de développement durable, la droite a tranché. Ce sont donc les collectivités locales qui sont sollicitées, notamment les régions, qui consacrent pourtant déjà des moyens importants au développement du ferroviaire en général, à celui des TER en particulier.
Aujourd’hui, la SNCF leur annonce qu’elle va augmenter le forfait de charge facturé aux régions, lié à la masse salariale, à la suite des évolutions apportées par l’État au régime spécial de retraite du personnel cheminot et ce dès 2008. C’est un nouveau coup dur porté aux régions, pour lesquelles le transport est souvent devenu le premier poste budgétaire. Nous demanderons, par nos amendements, la mise en place d’un dispositif visant la compensation intégrale des charges supplémentaires qui seront supportées par les collectivités régionales dans ce cadre. Une politique ambitieuse de transports ne doit pas avoir pour objectif d’obliger les régions à pallier les carences de l’État, mais d’améliorer l’aménagement du territoire et le service aux usagers.
La SNCF insiste sur les déficits du wagon isolé pour justifier l’abandon de cette activité certes peu rentable d’un point de vue strictement économique, mais si nécessaire pour de nombreuses entreprises et essentielle pour la collectivité en termes de développement durable. On constate cependant qu’elle accentue le caractère déficitaire de la messagerie ferroviaire en majorant de 80 % l’utilisation des voies de service et de 98 % celle des triages par gravité.
Dans le même temps, elle justifie un énième plan fret en s’appuyant sur un bilan carbone réalisé dans des conditions qui laissent planer le doute quant à l’objectif réel de cette étude. Comment justifier les restructurations et abandons en cours en voyant dans le même temps les matériels inutilisés dans un certain nombre de chantiers ou gares, comme les locomotives garées actuellement dans la gare de Sotteville-lès-Rouen ? Comment accepter les milliers de suppressions d’emplois qui continuent de saigner l’entreprise publique alors qu’un grand nombre de nos territoires et l’économie de ceux-ci auraient besoin d’un nouveau développement ? Comment supporter les réorganisations permanentes de la SNCF et les échecs des plans successifs tous présentés comme devant permettre de sauver l’entreprise et qui n’ont fait, les uns après les autres, que l’enfoncer encore plus dans les difficultés ?
Les syndicats ont donné l’alerte à plusieurs reprises, mais la direction et le Gouvernement ne les ont pas écoutés. Nous l’avons encore vu récemment quand ils ont préféré stigmatiser les cheminots grévistes en les présentant comme des privilégiés dont le seul objectif est la préservation de leur statut.
Les cheminots ont le sens du service public, et ils se battent pour le préserver. Ils dénoncent depuis des années les effets pervers de la libéralisation et ses conséquences en terme de conditions de travail, c’est vrai, mais ils dénoncent aussi la dégradation du service offert aux usagers. Aujourd’hui, pour l’essentiel, les perturbations sur les lignes ferroviaires sont liées à la vétusté des infrastructures et non à une quelconque culture de la grève.
Il est à ce titre surprenant de constater que, dix-huit ans après l’adoption de la directive n° 91/440/CEE qui ouvrit la porte à la libéralisation et à la mise en concurrence en vue de favoriser le développement du secteur des transports à l’échelle européenne, aucun bilan de l’efficacité réelle de cette politique n’a jamais été tiré, surtout lorsque l’on sait que, à l’exception de quelques pays, la part du transport ferroviaire a décru pendant cette période.
Nous proposerons, tout comme nous l’avions fait lors de l’examen de la loi relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires, la réalisation d’un tel bilan. Notre collègue M. Paternotte, qui était le rapporteur de ce texte dit ARAF, avait repoussé notre proposition tout en ne s’y déclarant pas insensible.
Il n’était pas non plus hostile à celle, beaucoup plus contestable, visant à expérimenter l’ouverture à la concurrence des transports régionaux de voyageurs dans certaines régions volontaires. Ces thèmes de travail devaient être abordés dans le comité de suivi des questions ferroviaires créé au sein de la commission du développement durable. Un comité consacré à l’ouverture à la concurrence des TER a bien été créé, le comité Grignon, mais son rapport d’étape, rendu à la mi-avril, est resté secret. Le journal Les Échos d’aujourd’hui précise cependant que ce silence serait lié à la nature de ces propositions, qualifiées de « potentiellement explosives », tant elles affecteraient les cheminots. Sans doute pour préserver le calme, le report de leur publication à l’automne, après la réforme des retraites, serait donc décidé.
Nous présenterons un amendement visant à rejeter cette ouverture à la concurrence, car l’expérience montre que les industries de réseaux ne se prêtent pas à la libéralisation à la sauce européenne. Tel est le cas pour les transports, mais aussi pour l’énergie.
En 1945, la France prenait la décision politique de maîtriser tous les termes de sa politique énergétique. Cette maîtrise publique s’appuyant sur une entreprise publique intégrée allait permettre à notre pays de disposer de l’électricité la moins chère et la moins productrice de CO2 d’Europe, tout en développant des filières industrielles de haut niveau, riches en emplois qualifiés.
La libéralisation du secteur, la privatisation de GDF et l’ouverture du capital d’EDF ont bouleversé le paysage énergétique et offert de nouveaux terrains de profits – j’allais dire des terrains de jeu, mais ce sont des jeux dangereux – à des capitaux avides d’une rentabilité maximale et rapide.
L’objectif que nous nous proposons d’atteindre en 2020, avec 23 % d’énergies renouvelables, a suscité, dans ce contexte, l’afflux de nouveau entrants, candidats nombreux, filiales de grands groupes énergétiques ou entreprises nouvelles, attirés par un secteur en croissance assurée.
Il fallait rapidement occuper le terrain, repérer les territoires les plus intéressants, en particulier pour l’éolien, convaincre les élus et les propriétaires concernés, obtenir de leur part les engagements nécessaires. Les menaces pesant sur les ressources des collectivités locales, mais aussi sur la rentabilité des activités agricoles, ont fait le reste pour faciliter bon nombre de contrats. Pour permettre au marché de se développer, il fallait réduire la tutelle de l’État, faire oublier que la chaîne énergétique – production, aménagement du territoire, sécurité des installations, coût – est un élément essentiel d’une politique nationale de l’énergie, qu’elle touche à la sécurité même du pays et constitue une responsabilité régalienne au plein sens du terme.
Nous sommes tout à fait favorables à un mix énergétique dont la base serait l’énergie nucléaire. Celle-ci doit rester sous maîtrise publique totale, car c’est la condition de la confiance du public dans cette technologie dont les effets pourraient être ravageurs si les considérations financières devaient primer sur les impératifs de sécurité. De plus, il est absolument inconcevable de céder à vil prix des installations qui ont été financées par des fonds publics, donc par les contribuables.
Oui, nous soutenons le développement des énergies renouvelables, mais pas n’importe comment, pas à n’importe quel prix. Nous l’avons dit : nous disposons de l’énergie la moins productrice de gaz à effet de serre ; ce n’est pas dans ce secteur que les efforts seront très payants. Nous pouvons donc prendre le temps de la réflexion pour apporter une réponse pertinente à ces problèmes.
Nous pouvons développer les énergies renouvelables dans le cadre d’une maîtrise publique, de façon concertée, dans une démarche d’aménagement du territoire. Comment, par exemple, ne pas réagir devant le projet de champ d’éoliennes off-shore prévu au large du Tréport ? À quelques kilomètres du rivage seraient installées 141 éoliennes de 150 mètres de haut : ce projet, s’il se faisait, tuerait la pêche, activité économique qui fait vivre l’essentiel de cette région.
Nous ne pouvons pas admettre le laisser-faire libéral, le poids des lobbies, la passivité de l’État, qui nourrissent les inquiétudes devant la primauté des intérêts financiers. Le retard dans la publication de décrets attendus depuis plusieurs années – je pense par exemple à ceux visant la constitution de garanties pour le démantèlement des éoliennes – continue de renforcer cette crainte.
Et que penser du paradoxe qui verrait EDF acheter au prix fort la production électrique d’éoliennes appartenant à des entreprises filiales de groupes privés tout en cédant à ces mêmes groupes jusqu’à un tiers de la production des centrales nucléaires au-dessous du prix coûtant, dans le cadre de la future loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité dont nous discuterons bientôt ? Une réforme du financement s’impose, tout comme l’organisation d’un débat politique sur le tarif de rachat de l’électricité produite à partir des énergies renouvelables, dans l’éolien, mais aussi le photovoltaïque où, malgré une baisse du tarif de rachat à la suite d’une spéculation outrancière que nous avons dénoncée, notre pays demeure celui qui offre les tarifs les plus élevés au monde.
La question énergétique nécessite une réflexion à long terme, déconnectée des logiques immédiates et strictement financières.
J’ai d’ailleurs été interpellé par la lecture d’une note de veille publiée par le Centre d’analyse stratégique, dont vous avez certainement eu connaissance, demandant la mise en place d’une réelle politique européenne qui ne s’appuierait pas uniquement sur la concurrence comme elle l’a fait ces dernières années, mais qui intégrerait la dimension de la sécurité énergétique, notamment gazière. Une telle déclaration amène à réfléchir, surtout émanant d’un organisme placé auprès du Premier ministre et qui met en avant le risque que pourrait faire courir à la sécurité de fourniture d’électricité le recours accru au gaz.
Que voilà un discours qui tranche avec ce que l’on a entendu depuis quelques années. Il ne s’agit pas d’en tirer des conclusions trop rapides. J’ai d’ailleurs cru comprendre que les entreprises de production d’électricité s’élevaient avec véhémence contre cette tentative de « bolchevisation » du secteur de l’énergie. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Le fait est que le discours se modifie, du moins chez ceux qui ont rédigé cette note.
Le Grenelle de l’environnement était une étape nécessaire pour prendre le temps de réfléchir à notre façon de consommer le monde et ses ressources, puisque nous ne pouvons et ne devons pas poursuivre dans cette voie. Il a démontré que seule une volonté politique pourrait faire bouger les choses. Cependant le projet de loi que nous examinons à partir d’aujourd’hui passe à côté de l’enjeu. Faute à la crise peut-être, faute d’une réelle volonté politique certainement. Nous voterons donc contre ce texte tel qu’il est présenté, mais, compte tenu du temps qui sera laissé à l’examen des amendements, nous pensons qu’il a peu de chance d’évoluer suffisamment pour que nous changions d’avis. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
 

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Daniel
Paul

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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