Interventions

Discussions générales

Enfance délaissée et adoption

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. « Tout le monde ne peut pas être orphelin ! » a si bien fait dire Jules Renard au héros éponyme de son roman Poil de carotte.
En effet, n’en déplaise aux quelque soixante députés UMP signataires de cette proposition de loi sur l’enfance délaissée et l’adoption, les limites et lacunes du cadre juridique actuel ne pourront être résolues en décidant purement et simplement d’augmenter le nombre de déclarations judiciaires d’abandon au sujet des enfants nés en France de parents quelque peu imparfaits.
Les professionnels des secteurs judiciaire et associatif vous l’ont fort heureusement rappelé et nous pouvons, pour une fois, nous féliciter des conditions dans lesquelles notre Assemblée a pu étudier ce texte, c’est-à-dire avec le temps nécessaire pour mener les auditions qui convenaient.
C’est la démonstration que dans le groupe UMP tout le monde n’est pas imparfait.
M. Jean-Marc Roubaud, président de la commission spéciale. Merci !
M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas seulement à vous que je pensais, mais d’abord à Mme Tabarot.
Mme Michèle Tabarot, rapporteure. Merci !
M. Jean-Pierre Brard. Mais vous pouvez vous associer spontanément à l’hommage que je lui rendais.
Après les trois mois de travail de la commission qui s’est spécialement constituée pour l’examiner, les députés du Front de gauche ont ainsi le plaisir de vous annoncer qu’ils souscrivent globalement à la proposition de loi qui est présentée aujourd’hui dans notre hémicycle.
Depuis la loi sur l’adoption de 2005 et les rapports Colombani en 2008, de l’IGAS en 2009 et du Conseil supérieur de l’adoption l’année dernière, le constat était partagé sur les dysfonctionnements qui entourent encore les procédures d’adoption et sur la nécessité de les améliorer.
Cette proposition de loi permettra probablement de lever certaines des lourdeurs procédurales – peut-être faut-il dire parfois arbitraires – qui rendent si difficile l’adoption en France, ainsi qu’elles ont été décrites dans le rapport remis par l’Inspection générale des affaires sociales en novembre 2009. Notre rapporteure a rappelé qu’elles tiennent notamment à l’intervention d’un grand nombre d’acteurs administratifs et judiciaires, à la complexité de certains circuits de décision, au cloisonnement des filières et des services et à la lenteur générale du processus.
Je veux tout de même revenir quelques instants sur l’article 1er. Nous en avions proposé la suppression par voie d’amendement avant qu’il ne soit modifié en commission. Avec cet article, la majorité proposait que la déclaration d’abandon d’un enfant puisse être prononcée au bout d’un an, non plus si les parents n’entretiennent plus avec lui « les relations nécessaires au maintien de liens affectifs », ainsi que le prévoit actuellement l’article 350 du code civil, mais en cas de « délaissement de l’enfant », le délaissement étant caractérisé par « les carences des parents dans l’exercice de leurs responsabilités parentales compromettant le développement psychologique, social ou éducatif de leur enfant » ! Même le projet de loi sur l’adoption déposé en avril 2009 par le Gouvernement au Sénat, sans avoir été inscrit à l’ordre du jour, n’allait pas aussi loin.
Cette façon de pointer du doigt les familles qui rencontrent des difficultés, dont vous savez qu’elles peuvent être d’origine très diverse, n’est pas nouvelle. Vous l’avez fait avec la très populiste, répressive et démagogique loi sur la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire,…
M. Éric Berdoati. Mais non !
M. Jean-Pierre Brard. …qui avait montré toute la considération de la majorité pour ce qui constitue bien souvent le symptôme de souffrances dont les origines peuvent être diverses, scolaires, personnelles, familiales…
Si la nouvelle rédaction adoptée par la commission pour définir le délaissement parental – « l’absence d’acte des parents contribuant à l’éducation ou au développement de l’enfant » – est moins contestable, elle devra à notre sens être encore améliorée pour ne pas courir le risque d’interprétations aléatoires par les juges, et, vous l’avez tous souligné, ce sont toujours les enfants qui doivent être notre préoccupation première.
D’autre part, nous avons quelques doutes sur la nécessité de ramener à six mois – c’est l’objet de l’article 2 – le délai à l’issue duquel peut être rendue une déclaration judiciaire d’abandon pour les enfants âgés de moins de deux ans au motif, allégué par notre rapporteure, que la période de la petite enfance est particulièrement structurante pour l’enfant et qu’il est donc nécessaire de prendre plus rapidement une décision assurant une plus grande stabilité des soins et une plus grande stabilité affective. C’est vrai, mais ce sont six mois qui engagent une vie entière, et l’on ne peut agir de manière trop précipitée. Cette disposition ne serait-elle pas plutôt motivée par le fait que ce sont souvent de très jeunes enfants qui sont souhaités par les candidats à l’adoption ? Le traitement plus particulier réservé à ces nourrissons, fragments d’espèce humaine, ainsi que Charles Dickens qualifia Oliver Twist en introduction de son roman, ne saurait devenir le moyen d’alimenter une sorte de vivier de bébés susceptibles d’être adoptés sur le dos des familles en détresse.
Nous approuvons l’article 3. Comment, en effet, ne pas souscrire à la nécessité de réformer le régime de l’agrément en le recentrant sur l’intérêt de l’enfant et d’améliorer l’information des candidats à l’adoption en amont de la procédure ? Mais il nous interroge plus généralement sur les moyens qui seront alloués pour permettre ces améliorations, sachant que l’essentiel du processus repose sur les départements.
À cet égard, l’article 4, qui introduit l’expérimentation d’un dispositif de formation des candidats à l’adoption en préalable à la délivrance de l’agrément, risque de créer des inégalités entre les départements. En effet, seuls les conseils généraux disposant d’un petit matelas financier pourront se permettre de se porter volontaires. Autant dire que les candidats à l’adoption de Paris ou des Hauts-de-Seine auront sans doute plus de chances de se voir délivrer l’agrément que ceux du Finistère, du Pas-de-Calais ou de la Seine-Saint-Denis !
M. Éric Berdoati. Pas du tout !
M. Jean-Pierre Brard. L’introduction en commission, par nos collègues du groupe SRC, d’un article 4 bis destiné à inscrire dans la loi le principe de référentiels nationaux permettant de guider l’évaluation des candidats à l’agrément nous semble, en revanche, porteur d’égalité, dans la lignée de l’initiative prise par la direction générale de la cohésion sociale de diffuser, depuis 2010, des supports méthodologiques identiques, quel que soit leur département, aux travailleurs sociaux, psychiatres ou psychologues.
Nous saluons les dispositions de l’article 6 qui ont pour objet d’améliorer le pilotage de l’adoption internationale et d’implanter l’Agence française de l’adoption dans tous les pays d’origine, qu’ils soient ou non signataires de la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Nous savons en effet à quelles dérives a pu aboutir son absence d’implantation en Haïti, en Éthiopie ou en Russie, les trois premiers pays d’origine des enfants adoptés par les familles françaises.
M. Serge Blisko. Absolument !
M. Jean-Pierre Brard. Quelle tristesse en revanche, à la lecture des amendements déposés pour la séance, de constater la tendance, qu’il faut bien qualifier de réactionnaire,…
M. Jean-Marc Roubaud, président de la commission spéciale. Mais non !
M. Jean-Pierre Brard. …de certains députés de la majorité chaque fois qu’ils ont l’occasion de toucher au droit de la famille !
Certains amendements proposent ainsi de revenir sur l’accouchement sous X.
M. Serge Blisko. C’est dingue, ça !
M. Jean-Pierre Brard. Avec tous les progressistes, nous continuerons de défendre ce droit octroyé aux femmes depuis qu’en 1793, la Convention nationale décida qu’« il sera pourvu par la Nation aux frais de gésine de la mère et à tous ses besoins pendant le temps de son séjour qui durera jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement rétablie de ses couches. Le secret le plus inviolable sera conservé sur tout ce qui la concerne. » Je vois, madame Greff, combien vous admirez le législateur de la Convention nationale, qui, il est vrai, était au moins aussi talentueux que le législateur actuel.
M. Serge Blisko. Ce sont nos grands anciens !
Mme Claude Greff, secrétaire d’État. C’est vous que j’admire, monsieur Brard ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Brard. Vous avez raison, madame la secrétaire d’État. (Nouveaux sourires.)
Le CNRS a établi que, de nos jours, ce sont toujours, généralement, des femmes très jeunes, célibataires et sans revenus qui accouchent anonymement. L’obstination du Gouvernement à refuser la gratuité de la contraception, notamment pour les mineures, ne nous encourage pas plus à supprimer cette spécificité française, même si nous ne nions pas le traumatisme que peuvent constituer l’abandon d’un enfant ou la méconnaissance de ses origines. Mais les Moïse, les Œdipe, les Auguste ont montré la diversité des parcours !
D’autres amendements proposent de ne plus octroyer d’agrément aux célibataires et de réserver le droit d’adopter aux couples mariés. Sachant que notre engagement est de faire adopter une loi sur l’égalité qui reconnaîtra par exemple le droit d’adopter aux couples de même sexe, vous imaginez bien quelle sera la position des députés du Front de gauche, qui, eux, sont progressistes, et non pas réactionnaires, sur ces amendements.
Pour conclure, disons que des raisons de circonstances auraient pu nous conduire à ne pas voter ce texte, notamment le triste bilan du président de la République et du Gouvernement en matière d’aide sociale à l’enfance ou en matière de coopération et d’aide humanitaire.
M. Michel Herbillon. Mais non !
M. Jean-Pierre Brard. Mais nous savons à quel point certaines de ses dispositions sont attendues par celles et ceux qui voient en l’adoption le projet d’une vie. C’est pourquoi les députés du Front de gauche prendront leurs responsabilités et voteront ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Michel Herbillon. Voilà une belle initiative !
M. Jean-Marc Roubaud, président de la commission spéciale. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Berdoati.
M. Éric Berdoati. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteure, j’ai souvent été amené, dans ma courte expérience parlementaire, à prendre des positions en fonction de mes convictions, de mes valeurs personnelles ou des valeurs collectives que je partage avec d’autres.
M. Jean-Pierre Brard. Souvent ? Pas toujours ? Est-ce une autocritique ?
M. Éric Berdoati. Je ne suis pas un spécialiste du sujet dont nous débattons aujourd’hui, mais je sais qu’il touche à l’intime conviction de chacun d’entre nous.
M. Michel Herbillon. Tout à fait !
M. Éric Berdoati. La problématique de la vie de l’enfant, de la filiation, de la possibilité de partager une vie transcende complètement l’ensemble des clivages et des schémas traditionnels de réflexion, de pensée, l’ensemble des problématiques auxquelles nous sommes confrontés au quotidien dans l’exercice de nos mandats.
J’avais préparé une intervention structurée, argumentée, sur les plans juridique et technique. Après avoir écouté les précédents orateurs, qui ont décrit l’objet, les implications et les objectifs de cette proposition de loi, avec clarté et bien mieux que je ne le ferais,…
M. Jean-Pierre Brard. Ne vous sous-estimez pas !
M. Éric Berdoati. …je préfère vous livrer quelques réflexions que m’inspire ce texte.
S’il est un sujet qu’il faut considérer non en tant qu’adulte mais d’abord, comme l’a indiqué tout à l’heure Mme la rapporteure, en partant de l’intérêt de l’enfant, c’est celui-ci. Nous avons eu, dans cet hémicycle, des débats sur la problématique du mariage homosexuel et de l’adoption par des couples homosexuels qui transcendaient les clivages politiques.
Contrairement à ce que prétend notre collègue Brard avec ce talent pour la provocation qu’on lui connaît, il n’y a pas de querelle des modernes et des anciens à ce sujet, il n’y a pas de querelle entre progressistes et rétrogrades. Il y a probablement ceux qui envisagent la question en considérant l’avenir et l’intérêt de l’enfant et ceux qui voudraient afficher dans notre société des comportements qui devraient rester liés à leur intimité.
Je suis personnellement très choqué, non par l’évolution de notre société, mais par le fait qu’une pratique individuelle puisse un jour devenir un signe de revendication ou de reconnaissance dans notre société. Ce n’est pas ainsi que notre société peut et doit se construire. Lorsqu’on traite de la problématique de l’avenir d’un enfant, je pense que c’est de lui qu’on doit partir. C’est à lui qu’on doit penser lorsqu’on est amené à légiférer sur un sujet qui, nous le voyons bien, ne se prête pas de façon mécanique, mathématique, aux clivages habituels.
Nous avons débattu ce matin d’un certain nombre de textes qui avaient pour objet des problématiques juridiques, des problématiques comportementales, des problématiques liées à l’évolution de nos sociétés, à propos desquelles diverses options étaient possibles. S’agissant de l’adoption, c’est beaucoup plus subtil, beaucoup plus complexe. La question renvoie chacun à ses convictions intimes.
Je veux partager avec vous trois réflexions.
Tout d’abord, si je souscris tout à fait à l’article 1er du texte de la commission, je m’interroge encore un peu sur la notion de délaissement et la manière dont elle est formulée, et je vous invite à la vigilance : « Un enfant est considéré comme délaissé lorsque ses parents n’ont contribué par aucun acte à son éducation ou à son développement pendant une durée d’un an. » Cela paraît assez clair, mais qu’en est-il juridiquement ? Que veut-on dire par « aucun acte lié à l’éducation ou au développement de l’enfant pendant une durée d’un an » ? La durée d’un an, c’est clair, c’est douze mois, mais soyez attentifs à la subtilité de l’énoncé et aux interprétations qui pourront en être faites. Mon propos n’est pas du tout de dénoncer cette formulation, je veux simplement vous alerter. Nous devons être vigilants quant à la manière dont cette disposition pourra, concrètement, devenir opposable.
L’article 5 sera tout à l’heure l’objet d’une discussion. J’ai écouté attentivement ce qu’en ont dit Mme la rapporteure et notre collègue Patricia Adam. Si j’ai bien compris le débat, nous réserverions au seul ministère public la possibilité de demander la révocation de l’adoption si l’intérêt de l’enfant l’exige. Je ne suis pas sûr qu’il y ait là une réelle avancée dans l’intérêt de l’enfant, à moins que la Chancellerie ne fasse un travail auprès des procureurs de la République pour les conduire à considérer ce domaine comme une de leurs priorités quotidiennes, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui. En disant cela, je ne blâme aucunement l’activité des procureurs de la République, mais nous avons déjà eu plusieurs fois ce débat sur les moyens de la justice et nous savons tous qu’ils ont à traiter chaque jour un grand nombre de dossiers. Sans doute aurons-nous à revenir sur ce sujet lorsque nous aborderons l’article 5.
Enfin, je suis favorable à l’élargissement des compétences de l’Agence française de l’adoption – c’est l’article 6 de la proposition de loi – qui nous permettra de gagner en crédibilité et d’œuvrer dans l’intérêt des enfants.
Je l’ai dit, je n’avais pas du tout prévu d’intervenir en ces termes. Aussi, veuillez m’excuser si j’ai été un peu confus. J’ai souhaité, en tout cas, vous parler avec sincérité.
M. Jean-Pierre Brard. Pourquoi ? Ce n’est pas toujours le cas ? (Rires.)
M. Éric Berdoati. Mon cher collègue, ne croyez-vous pas qu’il soit parfois préférable de donner libre cours à ses convictions plutôt que de lire un papier préparé par un collaborateur, qui peut vous conduire à prendre des positions bien éloignées de la hauteur à laquelle nous devrions situer nos débats ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Pierre Brard. Parlez pour vous ! Ne voyez pas les autres à votre image !
M. Jean-François Lamour. M. Brard s’est fait casser !
M. Jean-Pierre Brard. Oh, j’ai l’habitude de manier le sabre, comme vous, monsieur Lamour, mais avec la langue !

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