Interventions

Discussions générales

Energie : nouvelle organisation du marché de l’électricité

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous l’avons déjà dit lors de la première lecture : votre projet de loi est inacceptable. Comment accepter, en effet, qu’au nom de la concurrence, on oblige un pays à augmenter les tarifs de l’électricité ? Comment justifier que les intérêts du marché soient plus importants que ceux d’un pays, d’une économie, d’une population ?
C’est pourtant ce que signifie votre texte de loi : vous voulez qu’au terme de cette deuxième lecture la représentation nationale décide qu’EDF cédera à ses concurrents 25 % de sa production nucléaire, et tout cela pour que ceux-ci puissent enfin espérer conquérir des parts de marché.
Car la réalité est là : depuis que les libéraux ont décidé l’ouverture du marché de l’électricité en Europe et en France, seuls 4 à 5 % de nos compatriotes ont franchi le pas en quittant l’opérateur public, et le secteur industriel lui-même reste prudent.
M. Beigbeder est donc monté au créneau. Il faut dire qu’en fondant Poweo, en 2002, il pensait que le marché de l’électricité se révélerait rapidement juteux. Mais les résultats sont décevants, et il a dû passer sous la coupe du groupe autrichien Verbund et de fonds britanniques et luxembourgeois – qui ne se préoccupent naturellement que de la qualité de l’électricité en France…
Il y a quelques jours – par hasard sans doute –, M. Beigbeder a donc annoncé que, faute de pouvoir se développer sur le marché français, Poweo envisageait de mettre fin à son activité de détail. Il dénonce le « maintien de conditions réglementaires » qui empêchent le marché de jouer pleinement ; en clair, il met en cause les choix stratégiques de notre pays depuis la Libération, la décision de développer un secteur nucléaire sous maîtrise publique pour mieux garantir la sécurité et la maîtrise des coûts, et le maintien par l’État de tarifs réglementés.
À nos yeux, c’était et cela reste bien ainsi : l’électricité n’étant ni un produit banal, ni une marchandise ordinaire, il est juste et responsable que des gouvernements, année après année, aient décidé qu’elle ne ferait pas l’objet de spéculations à des fins de profit, mais qu’elle serait accessible à la population et à nos industries. Pour le dire clairement, l’électricité était et demeure un atout de la politique sociale et économique.
Or c’est cela que vous bradez aujourd’hui sur l’autel du libéralisme. Certes, vous prétendez sauvegarder le système instauré par nos aînés dans le cadre du programme du CNR. Certains espèrent sans doute dissimuler qu’ils sont favorables à la loi du marché : ils n’osent pas trop le dire ; d’autres se sont résignés à lui céder, sans le reconnaître. Mais cela n’empêche ni le Président de la République ni vous-mêmes de rappeler votre fidélité au général de Gaulle, alors que ce sont les principes mêmes du CNR, puis de la politique qui en a découlé, que vous enterrez !
Comment ne pas établir un parallèle avec le dossier des retraites et de la protection sociale ? Là aussi, vous prétendez sauver le système par répartition, alors qu’étape par étape, adaptation après adaptation, vous le videz de son sens en cédant aux pressions des marchés et des assurances privées.
Nombreuses sont les raisons qui justifient un rejet préalable de votre texte. Ne pouvant les présenter toutes dans le délai qui m’est imparti, j’en retiendrai trois, qui me semblent particulièrement révélatrices de vos objectifs et des enjeux auxquels nous sommes confrontés.
Je l’ai dit, certains défendent l’idée que, dans tous les domaines, la loi du marché est la seule qui vaille. D’autres ont cédé devant l’offensive libérale. Tous, pourtant, aujourd’hui comme hier, vous poussez à la déréglementation, à la casse des outils publics, à la marchandisation généralisée, même de ce qui est nécessaire à la vie de nos concitoyens et à l’activité de notre pays.
Comment pouvez-vous oublier ou négliger que le prix de l’électricité en France, l’un des moins chers d’Europe, est un atout essentiel d’un point de vue social et économique ? Au nom des intérêts de quelques financiers, vous voulez qu’EDF vende 25 % de sa production nucléaire à ses concurrents. Cela entraînera évidemment des conséquences sur le tarif final aux usagers.
Dans tous les cas, mes chers collègues, ce sont les consommateurs qui paieront. Si le prix de cession atteint 42 euros par mégawattheure, la Commission européenne n’acceptera pas qu’il en soit autrement. Du reste, selon les projections de la CRE, si EDF obtient gain de cause, il faudra relever les tarifs bleus – applicables aux particuliers et aux petits professionnels – d’un peu plus de 11 % une fois la réforme votée, puis de 3,5 % par an entre 2011 et 2025. C’est la CRE qui le dit ; et vous connaissez l’amour immodéré que je porte à cette institution !
Mais ne soyons pas dupes : à travers les négociations sur la loi NOME, EDF cherche également à obtenir une augmentation de ses tarifs. En juillet 2009, Pierre Gadonneix avait réclamé une hausse des tarifs de 20 % sur trois ans, ce qui lui avait coûté son poste. Le journal Les Échos, en janvier dernier, a fait état de projections internes à EDF envisageant une hausse des tarifs aux particuliers de l’ordre de 24 % entre 2010 et 2015.
Il y aura sans doute marchandage entre EDF, dont la proposition entraînerait une lourde augmentation des prix, et ses concurrents, dont la demande serait synonyme d’un bradage complet. Cela dit, quel que soit le montant retenu – entre 42 euros et 35 à 36 euros –, une augmentation des prix de l’électricité interviendra de manière automatique. Prétendre que la concurrence pourra ensuite jouer au profit des consommateurs est une supercherie et je n’ose prononcer dans cette enceinte le mot qui me vient plus spontanément à la bouche. Vous le savez bien du reste, l’électricité n’étant pas stockable, la concurrence ne peut qu’entraîner l’augmentation des prix. Ce scénario s’est vérifié partout.
Mais votre logique va plus loin. Non seulement l’opération à laquelle vous vous prêtez aboutira à une augmentation mécanique des prix, mais elle va également justifier à plus ou moins long terme la fin des tarifs régulés, ceux-là mêmes qui sont depuis longtemps dans le collimateur de la Commission européenne au nom de la concurrence libre et non faussée.
Vous pouvez toujours nous faire toutes les promesses du monde, comme celui qui est aujourd’hui Président de la République en faisait lorsqu’il était ministre, jurant qu’il n’y aurait aucun changement ; mais il est inutile de vous rappeler son discours, vous le connaissez.
Vous pouvez même proposer un tarif social accessible aux plus démunis. L’important, c’est que la libéralisation du système aura eu lieu : les prix de l’électricité auront augmenté, les tarifs régulés auront disparu pour la plus grande satisfaction des marchés, les freins dont parle M. Beigbeder auront disparu, non pour que la situation des consommateurs, qu’il s’agisse des ménages, des collectivités locales, des PME ou des PMI, s’améliore, mais pour que celle des marchands d’électricité soit plus profitable.
C’est à cela que vous vous prêtez aujourd’hui en bradant les intérêts de notre pays pour obéir aux lois du marché et vous conformer à une injonction de la Commission européenne. Cet abandon est inacceptable et justifie à lui seul notre demande de rejet.
N’oublions pas qu’à cela s’ajouteront l’augmentation de la contribution aux charges du service public de l’électricité destinée à soutenir l’obligation d’achat des énergies renouvelables – il est question de la faire passer de 4,50 à 7,50 euros –, les hausses motivées par la situation difficile du réseau de distribution et la prolongation de la vie des réacteurs nucléaires ou encore le coût des compteurs dits intelligents.
En parlant d’une augmentation de 20 %, M. Gadonneix avait donc sans doute dit tout haut et trop tôt ce que certains exigeaient et que vous aviez décidé d’accepter.
La deuxième raison qui justifie le rejet de votre texte, c’est qu’en autorisant la création d’un marché de capacités, vous aggravez la spéculation autour des questions énergétiques. Je dis bien « aggravez », car la spéculation existe depuis la libéralisation du secteur électrique, seulement vous allez lui ouvrir de nouveaux horizons.
Ainsi, pour accéder à l’électricité nucléaire d’EDF, les nouveaux opérateurs devront disposer de capacités de production et de capacités d’effacement. Mais comme faire argent de tout est dans l’air du temps, vous annoncez que ces capacités pourront faire l’objet d’échanges sur le marché, donc de spéculation. Nous vous avions déjà demandé en première lecture d’abandonner cette disposition : vous l’avez maintenue. Ainsi, un marchand d’électricité pourra acheter à un autre opérateur une partie de ses capacités d’effacement ou de production pour obtenir une part de la production nucléaire d’EDF. Nous continuons de demander la suppression de cette disposition dont tout fait craindre qu’au lieu de servir les intérêts des consommateurs elle aggrave encore plus la situation du secteur de l’électricité.
Comment d’ailleurs ne pas établir un lien avec les quotas de CO2 qui font eux aussi l’objet d’un marché à l’échelle internationale ? Une fraude de 5 milliards à la TVA a été découverte : des groupes peu scrupuleux faisant tourner les crédits de carbone entre plusieurs pays européens ont encaissé les sommes correspondant à la TVA sans jamais les reverser à l’État.
Ce marché du carbone se révèle extrêmement profitable pour des groupes que rien n’oblige à faire bénéficier les populations et les territoires des profits qu’ils retirent de leurs opérations. Un opérateur de chauffage urbain peut ainsi moderniser sa centrale de chauffe en faisant payer les investissements par ses clients et réaliser en un an un profit de 460 000 euros à l’échelle d’un quartier de 5 000 logements en négociant sur les marchés les quotas issus de la réduction de production de carbone sans qu’il soit obligé d’inscrire cette somme dans les résultats de l’entreprise chargée de la chaufferie. Au lieu de contribuer à réduire la facture de chauffage des habitants, le gain reste dans le groupe. Cette optimisation financière n’est autre que le résultat de la soumission aux règles du marché. C’est un phénomène que l’on observe dans toutes les communes de notre pays aujourd’hui.
Et ce n’est pas l’éventualité de faire payer par les industriels entre 5 % et 15 % de leurs quotas, actuellement gratuits, et d’utiliser la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité qui modifiera la nocivité du système.
Comment croire que la création d’un marché de capacités de production et d’effacement avec des opérateurs soumis à l’exigence d’une rentabilité rapide et maximale se soldera par autre chose que la recherche d’opportunités financières, bien loin de l’objectif de fournir à notre pays, à ses entreprises et à ses habitants, l’électricité la moins chère possible dans les meilleures conditions de sécurité et de sûreté ?
Qu’il s’agisse du chauffage urbain ou de la fourniture d’électricité, c’est bien l’ensemble du secteur de l’énergie qui se trouve concerné. Légiférer à jet continu pour libéraliser toujours plus, en prétendant hier que la marchandisation favorise la réduction de la production de CO2 et aujourd’hui que le développement de la concurrence dans la fourniture de l’électricité est bénéfique aux usagers, c’est tromper les gens, c’est là encore brader les intérêts collectifs de notre pays au profit des intérêts particuliers de financiers qui, fort logiquement, ont pour mission de faire gagner toujours plus d’argent à leurs employeurs et à leurs actionnaires, et cela au moment où l’on sent bien que cette soumission au marché est de plus en plus contestée en France mais aussi dans le monde.
La troisième raison qui justifie le rejet de ce texte est la conséquence logique des deux premières : vous voulez aller vite, au prétexte que la Commission européenne vous impose un tel texte, mais en fait vous savez sa nocivité et vous craignez la grande sensibilité de nos compatriotes aux questions du prix de l’électricité, comme le montre leur résistance aux sirènes du marché. Alors, plus vite ça ira, mieux vous espérez vous en sortir.
Vous avez ainsi déclaré au début de votre audition devant la commission des affaires économiques que vous n’accepteriez aucun amendement et qu’il fallait que le texte soit voté dans les mêmes termes que celui issu du Sénat – le sort réservé à l’amendement de M. Raison le montre parfaitement. C’est un simulacre de débat que vous voulez imposer. Vous direz sans doute comme vous le faites avec tous les textes que le débat a eu lieu mais que, étant majoritaires, vous avez refusé toute modification du texte que vous vouliez imposer, sauf que personne n’est dupe et la comparaison avec la réforme des retraites est là encore édifiante.
Parce que votre texte est une étape supplémentaire dans la casse d’EDF, entreprise publique dont vous avez modifié le statut et que vous voulez à présent contraindre à céder 25 % de sa production nucléaire à ses concurrents ; parce que vous avez décidé d’augmenter les prix de l’électricité pour satisfaire les appétits des marchés et des spéculateurs ; parce qu’en agissant ainsi vous mettez fin à une politique constante, née d’un accord entre toutes les forces politiques et sociales de notre pays en vue de préserver l’électricité des règles du marché et que vous allez même aggraver, avec le marché de capacités, la soumission à ces règles ; parce que votre texte est contraire aux intérêts de notre pays, de son économie et de nos compatriotes ; parce que nous ne confondons pas les intérêts de notre pays avec ceux des marchés et que nous estimons qu’une autre politique est possible et nécessaire au plan national, pour la préservation des intérêts de notre pays avec la création d’un pôle public de l’énergie dans le cadre d’une maîtrise publique associant tous les opérateurs, mais aussi au plan européen, en travaillant à une Europe de l’énergie assurant la fourniture à tous les pays et à leurs habitants d’une électricité accessible dans le cadre d’un mix énergétique maîtrisé, pour toutes ces raisons, nous appelons au rejet de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

Imprimer cet article

Daniel
Paul

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

Sur le même sujet

Affaires économiques

A la Une

Thématiques :

Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Culture et éducation Voir toutes les thématiques