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Energie : abrogation des permis exclusifs de recherches d’hydrocarbures non conventionnels et interdiction de leur exploration et leur exploitation sur le territoire national

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devions légiférer pour abroger les permis d’exploration et d’exploitation des gaz de schiste. L’unanimité tant vantée de tout l’hémicycle pour s’opposer fermement à ces huiles et gaz de schiste aura finalement été de très courte durée. Ce ne sera finalement pas le cas. Je le dis clairement, le texte sorti de la commission est un véritable tour de passe-passe.
Christian Jacob, président du groupe UMP, appelait au prolongement ad vitam du moratoire. Le 16 avril, comme par hasard, parce que c’était une journée de mobilisation contre les gaz de schiste, Jean-François Copé a mis une banderole sur la mairie de Meaux où était écrit : « non au gaz de schiste ». Les habitants de Seine-et-Marne ont eu droit à un tract de l’UMP : « non au gaz de schiste ». Ce n’était pas « non à la fracturation hydraulique » !
Or ce que vous allez nous proposer avec l’article 2, ce n’est pas de dire « non au gaz de schiste », c’est de contourner la question pour permettre, une fois les échéances électorales de 2012 passées, de relancer l’exploration et l’exploitation des huiles et gaz de schiste. C’est ça la réalité de votre proposition de loi et je crois que, sur ces bancs, peu de personnes ont des doutes sur l’importance qu’ont jouée les lobbies pétroliers et gaziers dans ce retournement de situation.
Si les travaux des rapporteurs ont été très importants, la liste des personnes auditionnées par la commission est tout de même un peu surprenante. Sur vingt-cinq personnes auditionnées, vingt d’entre elles participent à des entreprises directement concernées par l’exploitation des gaz et des huiles de schiste, quatre de chez Total, cinq de chez Halliburton, trois du conglomérat Hess Oil-Toreador, dont Julien Balkany lui-même. L’amicale des foreurs avait envoyé le 11 avril une lettre ouverte aux députés, en particulier à ceux qui avaient signé la proposition de loi. C’est avec une vive stupéfaction mêlée d’amertume, expliquaient-ils, qu’ils avaient lu cette proposition de loi de Christian Jacob, Jean-François Copé et autres députés UMP. Ils voulaient absolument être auditionnés pour démontrer qu’interdire l’exploration et la production de gaz et huiles de schiste sur le territoire national ramènerait tôt ou tard la France à l’âge de pierre. C’est à cela que vous avez cédé !
La rupture, avec la réécriture de l’article 2, est très nette puisque l’on passe de l’interdiction de l’exploration et de l’exploitation des gaz et des huiles de schiste à l’interdiction de la fracturation hydraulique. Ce que vous espérez, c’est trouver une méthode qui, en cimentant mieux les puits d’exploration verticaux et en changeant la formule chimique, soit plus acceptable par nos concitoyens, et c’est bien là que nous avons un désaccord de fond.
La fracturation hydraulique est-elle le seul risque avéré de l’exploitation des gaz et des huiles de schiste ? Différents rapports, y compris ceux utilisés par nos rapporteurs, montrent qu’il y a un grand nombre d’autres problèmes : réchauffement climatique, noria de camions, emprise au sol, destruction des paysages, etc.
Si le principe de précaution a pour but de prévenir un risque potentiel, celui de prévention, comme le dispose l’article L. 110-1 du code de l’environnement, implique l’interdiction lorsque les risques sont avérés.
Le fond du problème, c’est que cette exploitation est indéfendable. Il n’est pas possible, d’un côté, de défendre la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique et, de l’autre, de poursuivre la multiplication des projets qui vont à l’encontre de ces engagements.
Le Grenelle de l’environnement est une fois de plus enterré corps et biens, avec cette relance à terme de l’exploitation des gaz de schiste. Or, comme l’a rappelé mon collègue Yves Cochet, nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 20 % en 2020 – c’est demain ! – et de 80 % en 2050.
La simple déclaration des exploitants, qui doivent s’engager à ne pas utiliser la technique de fracturation hydraulique, n’est pas suffisante : une fois qu’ils auront fait cette déclaration, il faudra qu’une personne ayant un intérêt à agir puisse démontrer que ce qui est dit est faux. Cette personne pourra présenter un référé au tribunal administratif, mais encore faut-il que le président du tribunal l’accepte. Sinon, il y aura un jugement au fond, et nous savons ce qu’est la durée d’un jugement au fond dans le contentieux administratif.
Pendant ce temps, l’exploitation se poursuivra. L’entreprise Total dit elle-même que la technique de fracturation hydraulique est utilisée dès la troisième phase de l’exploration car elle est nécessaire pour connaître le futur rendement du gisement ; c’est pour eux le seul moyen de savoir si le gisement sera rentable ou non. Or, en l’état, vous permettez d’aller jusqu’à cette troisième phase, donc jusqu’à la fracturation hydraulique.
Le ministère est incapable de nous fournir des réponses exactes sur le contenu des permis et l’utilisation des procédés. Abroger les permis existants est indispensable pour pouvoir tout remettre à plat, car ni les gaz ni les huiles de schiste ne peuvent être exploités autrement que par la fracturation hydraulique.
Il n’y a pas de réserves majeures connues d’hydrocarbures conventionnels dans la plupart des zones où les permis ont été délivrés. Il est donc parfaitement hypocrite de prétendre que nous ne savons pas et que nous pouvons interdire les permis, au risque d’empêcher l’exploitation d’hydrocarbures conventionnels.
Avec la rédaction actuelle, il n’est de fait même plus question d’un moratoire. Les travaux peuvent reprendre en Île-de-France ou dans le Sud : il suffit que les deux industriels qui ont les permis disent qu’ils n’utilisent pas cette technique. De fait, ils ne l’utilisent pas lors de la première phase d’exploration ; ils pourront donc toujours lancer ou poursuivre cette phase. C’est la remise en cause de ce que disait le Premier ministre, selon lequel il convenait d’annuler les autorisations déjà données. La proposition de loi telle qu’elle a été modifiée revient à le déjuger, avec pour seul objectif de laisser le temps aux industriels de démarrer l’exploitation.
L’article 3 de la proposition de loi a lui aussi disparu, sous prétexte qu’il fallait modifier le code minier au fond et non par morceaux. Vous dites, madame la ministre, que, dans l’ordonnance prise sur le code minier, la possibilité d’informer et de consulter les citoyens a été introduite, mais entre cette information et cette consultation light par internet et une véritable enquête publique au sens du code de l’environnement, il y a une sacrée différence !
Par ailleurs, la loi de ratification d’une ordonnance ne permet pas aux parlementaires de modifier l’ordonnance ; nous votons pour ou contre la ratification. Dans ces conditions, les futures demandes de permis, notamment en Alsace, ne donneront pas plus lieu à débat et à enquête publics que jusqu’alors.
Au fond, la question est de savoir si l’on peut toujours repousser les décisions courageuses nécessaires à la prise en compte les limites de notre planète. L’Agence internationale de l’énergie a confirmé que le peak oil était dépassé depuis 2006 ; cela signifie que la production de barils de pétrole ne fera que décroître dans le temps. Face à cette situation, faut-il faire l’autruche et chercher à exploiter la moindre goutte de pétrole et de gaz sans se préoccuper des générations suivantes ? On peut certes essayer d’exploiter au maximum tout ce qui peut être trouvé aujourd’hui, sans se soucier des conséquences pour l’environnement, en se disant que, tant que nos générations sont en vie, il faut continuer d’exploiter toujours plus les ressources pour vivre le plus tranquillement possible ; mais que faisons-nous des générations suivantes ?
Le problème n’est pas la planète – il existe beaucoup de planètes sans êtres vivants – mais la vie humaine sur terre. Il faut absolument prendre des décisions courageuses très vite parce que, sinon, à reculer constamment les échéances, à ne pas vouloir s’attaquer à la question de la conversion écologique de notre économie, de nos modes de production et de consommation, de nos échanges, nous allons vers des décisions qui seront encore plus douloureuses et dramatiques pour les populations.
Il faut rappeler qu’à niveau d’empreinte écologique équivalente, il faudrait au moins trois fois la terre pour que nous ayons tous un niveau de vie équivalent. Avec 2 % de croissance annuelle en Europe, en 2050, il faudrait que l’économie mondiale soit quinze fois plus importante qu’aujourd’hui pour que tous les êtres humains aient le niveau de vie européen.
Il y a donc bien urgence, une urgence à la fois écologique et sociale,de répartition des richesses sur la planète, de buen vivir, comme on dit en Équateur ou en Bolivie, de « vivre bon », c’est-à-dire ne pas vouloir consommer toujours plus, ne pas poursuivre cette frénésie de consommation qui existe aujourd’hui sur la planète, mais chercher à ce que chacun puisse vivre dignement, correctement, en faisant vivre sa famille sans que cela ait pour conséquence d’épuiser les ressources de la planète, au détriment des générations futures.
Voilà l’enjeu de ce débat, au-delà du fait de savoir s’il faut exploiter maintenant ou plus tard les gaz de schiste. Il ne faut pas les exploiter, il faut tourner la page et nous porter tout de suite, d’urgence, vers des alternatives énergétiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Martine
Billard

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