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Encadrement des rémunérations dans les entreprises

Monsieur le ministre, chers collègues, notre collègue et ami Gaby Charroux a rappelé les objectifs du texte déposé par les députés communistes et du Front de gauche en faveur de l’encadrement des rémunérations du patronat des grandes entreprises.
La commission des affaires sociales a retenu notre proposition de ramener de cinq à deux le nombre des mandats d’administrateur ouverts à un même dirigeant. C’est positif. On bouscule ainsi les situations de cumul des mandats, de jackpot des jetons de présence, et cet entre-soi qui préside à la composition des conseils d’administration des grands groupes.
Cette juste avancée gagnerait à s’accompagner de la création et de l’inscription dans la loi de droits nouveaux ouverts aux salariés d’intervention dans l’organisation du travail et dans les choix de gestion et de production.
La possibilité de rendre obligatoire le respect par les conseils d’administration du vote des assemblées générales d’actionnaires sur la rémunération des hauts dirigeants est une autre avancée à souligner.
La modification introduite en 2013 par le code de bonne conduite de l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, et du MEDEF avait consisté à opter pour un vote consultatif, hardiment présenté à l’époque comme une évolution majeure. Il n’aura pas fallu trois ans au patronat du CAC 40 pour le faire voler en éclats. En atteste le coup de force du conseil d’administration de Renault et de son PDG, Carlos Ghosn, dont les rémunérations cumulées dépassent, toute honte bue, la barre annuelle des quinze millions d’euros. Soit dit en passant, ce même PDG était déjà dans l’œil du cyclone en février 2012, quand le cabinet Proxinvest dénonçait le cas Renault où « l’État n’est pas responsable dans son rôle d’administrateur, puisque Carlos Ghosn a encore pu toucher près de dix millions d’euros en 2010. »
Que de temps perdu depuis pour un législateur tenu à l’écart de ces enjeux ! Dans le discours qu’il avait prononcé en 2008 à Toulon, le Président de la République d’alors avait annoncé la refondation du capitalisme « sur une éthique. » « L’autorégulation pour régler tous les problèmes, ajoutait-il, c’est fini. Le laisser-aller, c’est fini ». Pourtant, ça continue !
Les députés du Front de gauche déposent aujourd’hui cette proposition de loi parce que ces situations indécentes imposent – et c’est l’exigence des Français – d’éradiquer le mal. Nos concitoyens veulent des actes, car la France a plus que tardé à contrôler les salaires des hauts dirigeants. De 2004 à 2011, les Pays-Bas, la Norvège, les États-Unis, l’Allemagne, la Suisse, d’autres encore ont fait évoluer leurs réglementations, tandis qu’en France, les salaires du haut patronat continuent de faire l’objet d’une contestation fondée.
La rémunération globale de 77 % des patrons du CAC 40 a bondi de plus de 40 % entre 2006 et 2007. En 2008, une étude du cabinet Hay Group faisait des patrons français des champions d’Europe en matière de rémunérations. En 2014, alors que le patron du MEDEF, Pierre Gattaz, déclare vouloir limiter les revalorisations de salaires à 1 %, la presse révèle que sa propre rémunération en tant que PDG de Radiall a augmenté de 29 % entre 2012 et 2013. En 2015, une enquête appelle à « visualiser l’indécence » : trois cents millions d’euros par an de salaires pour quelques PDG, soit l’équivalent de 206 000 emplois payés au SMIC et plus que le budget d’une ville comme Grenoble ! En 2016 enfin, Carlos Tavares, président du directoire de PSA Peugeot Citroën, ose revendiquer, avec un incroyable cynisme, le statut d’un joueur de football professionnel ou d’un pilote de Formule 1 ! Sa rémunération, passée de 2,75 millions en 2014 à 5,24 millions en 2015, couronne une gestion illustrée par des gains féroces de productivité, des gels de salaires, des pertes de RTT et 17 000 suppressions d’emplois.
On pourrait en dire autant de Renault, supprimant 8 260 emplois et faisant progresser de 6% le temps de travail depuis 2013, ou de Sanofi, dont la presse rappelle que le nouveau dirigeant a bénéficié « d’un bonus de bienvenue de 4 millions sur deux ans, sa rémunération fixe et variable n’atteignant que 4,4 millions, complétés par un pactole de 12,7 millions sous forme d’option de souscription d’actions et d’actions de performance. » Pendant ce temps, soulignent les syndicats, « on a trois plans de restructuration en cours, qui vont se traduire par un minimum de 650 suppressions d’emplois, et on craint que ça atteigne plutôt le millier ! »
On le sait, on le voit : hauts salaires patronaux et liquidations d’emplois vont du même pas. Tous ces scandales et ces gâchis sociaux suscitent l’écœurement de l’opinion et les glissements vers l’abstention ou le vote extrême. Mais dans une France devenue un pays de bas salaires, où le SMIC ne dépasse plus que d’une centaine d’euros le seuil de pauvreté, ils nourrissent aussi, et c’est salutaire, l’action du mouvement social contre l’insuffisance criante des salaires et contre des écarts de rémunération devenus des gouffres.
Le phénomène des travailleurs pauvres s’amplifie. L’évolution de la législation sociale et du droit du travail s’inscrit systématiquement dans le sens d’une précarisation qui constitue le statut promis à la majorité des jeunes arrivant sur le marché du travail. Le rejet par sept Français sur dix et la contestation massive de votre projet de loi « Travail » devraient d’ailleurs conduire à une décision de bon sens : son retrait !
Un tel contexte ne fait que rendre plus dommageables encore les rendez-vous manqués ces dernières années avec l’histoire sociale de notre pays. Je pense par exemple au renoncement du Gouvernement à concrétiser l’engagement pris en 2013 par Jean-Marc Ayrault. Celui-ci, alors Premier ministre, annonçait, après la mesure positive de plafonnement des rémunérations des dirigeants des entreprises publiques, que vous avez rappelé, monsieur le ministre, « un projet de loi pour que ces mesures s’appliquent aussi aux dirigeants des grandes entreprises privées ».
Mes chers collègues, les dispositions que nous proposons vont dans le sens d’une régulation de situations insupportables de mépris en matière de rémunération des hauts dirigeants et de gestion des grandes entreprises cotées. Elles constituent d’utiles avancées. Elles nécessiteraient d’aller plus loin en retenant le principe d’un rapport de 1 à 20 dans l’encadrement des rémunérations au sein d’une même entreprise. Cela ne mettrait pas ces dirigeants sur la paille ni ne les conduirait à la soupe populaire puisqu’ils gagneraient encore 352 000 euros par an. À titre de comparaison, un chirurgien, un professeur de médecine, un commandant de bord, qui ont la charge de vies humaines, gagnent de 140 000 à 150 000 euros par an, et un ministre, qui n’est pas non plus sans responsabilités, de 130 000 à 140 000 euros. Il est donc temps de regarder les choses comme elles sont et de prendre des décisions fermes.
Nos propositions remettent en cause une organisation entrepreneuriale et un système qui permettent ces dérives et les financent, tout en pressurant les salariés. La société française est confrontée aux questions de la gestion de ses grands groupes, de la responsabilité sociale de l’entreprise et de la redistribution de la richesse créée par le travail.
L’écart de rémunération était de 1 à 20 aux États-Unis dans les années 1960 ; il est désormais de 1 à 370 ; il a été multiplié par vingt en cinquante ans. Le même glissement vertigineux s’est opéré en France. La finance folle rend fous certains de ses dirigeants. Il est d’ailleurs fort probable que plusieurs d’entre eux bénéficient de comptes offshore et je vous demande d’aller y voir de plus près, monsieur le ministre – je donnerai prochainement quelques exemples. Il est grand temps de mettre un terme à ce « pognonisme » ambiant !
Le Pape François a eu des paroles fortes à propos de ces dérives. « L’ambition sans retenue de l’argent qui commande. Voilà le fumier du diable. Le service du bien commun est relégué à l’arrière-plan […]
Quand l’avidité pour l’argent oriente tout le système socio-économique, cela ruine la société, condamne l’homme, le transforme en esclave, détruit la fraternité entre les hommes […] L’avenir de l’humanité n’est pas uniquement entre les mains des grands dirigeants et des élites. Il est fondamentalement dans les mains des peuples. »
La loi donne aux législateurs que nous sommes la capacité et la responsabilité devant l’opinion de créer des avancées favorables aux salariés, en remédiant au gaspillage des richesses et en rappelant la part de l’entreprise dans un progrès de la société française bénéficiant à tous. C’est tout le sens de la proposition de loi que nous allons voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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Alain
Bocquet

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