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Encadrement des prix des produits alimentaires

La parole est à M. André Chassaigne, rapporteur de la commission des affaires économiques.
M. André Chassaigne, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, cette proposition de loi cherche à apporter des réponses concrètes à la question des prix et des revenus des agriculteurs sans oublier les difficultés des consommateurs.
Elle s’appuie sur un double constat : d’une part, la dégradation durable des prix d’achat des productions agricoles issues de l’agriculture française ; de l’autre, l’augmentation constante des prix de vente des produits alimentaires aux consommateurs.
La crise des fruits et légumes de cet été constitue une des preuves les plus flagrantes du besoin d’intervenir rapidement pour encadrer les prix des productions agricoles. Nous aurions tort de penser que, pour la filière des fruits et légumes, cette mauvaise année 2011 tient aux seules fluctuations conjoncturelles des marchés comme je l’entends parfois : il s’agit bien d’un problème structurel qui affecte l’agriculture française dans son ensemble.
En effet, les prix d’achat de la production agricole subissent une pression constante à la baisse, alors que les coûts des consommations intermédiaires, eux, ne cessent d’augmenter, qu’il s’agisse des prix de l’énergie, des engrais ou des produits phytosanitaires. Cette double évolution a des conséquences très claires : si l’on en juge par les moyennes triennales, le revenu agricole, tous secteurs confondus, n’a pas évolué depuis 1995 ! Les revenus des exploitations familiales et de taille modeste ont même baissé, plongeant des milliers de paysans et leurs familles dans la pauvreté, poussant malheureusement certains à des gestes désespérés.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : de 2000 à 2010, le nombre d’exploitations a diminué de 26 % et l’emploi agricole de 22 %. Ce sont évidemment les petites et moyennes exploitations, les exploitations familiales, qui ont payé le plus lourd tribut, alors que le nombre de très grandes exploitations s’est accru.
L’extrême concentration du nombre d’exploitations sur le territoire national doit nous faire réfléchir à ce que devient le tissu rural français en ce début de XXIe siècle, et sur la capacité que nous aurons à maintenir, dans les prochaines décennies, une agriculture diversifiée, de qualité, à dimension humaine. Nous ne pouvons nous résoudre à voir des campagnes de France déshumanisées, privées de leur vocation première : nourrir les hommes !
Le constat est sans appel : sur certains produits, les marges de la grande distribution ont presque doublé en dix ans, au détriment des agriculteurs et des consommateurs.
S’agissant de la formation des prix, nous ne disposons pas de données aussi précises qu’il le faudrait : le premier rapport annuel de l’observatoire des prix et des marges des produits alimentaires, publié le 27 juin 2011, souligne le manque d’informations fournies par les distributeurs s’agissant des marges nettes. Il a néanmoins le mérite de mettre en lumière certaines évolutions.
La longe de porc est un exemple typique de l’augmentation des marges des distributeurs au détriment des autres acteurs. En 2000, 45 % du prix final de ce produit revenait à l’éleveur, contre seulement 36 % aujourd’hui. La part de l’industriel chargé de l’abattage a également chuté de 11 à 8,8 %. En revanche, le distributeur a considérablement augmenté sa marge, puisqu’il touche aujourd’hui 55 % du prix final, contre 39 % en 2000.
Pour les consommateurs, les prix alimentaires ont crû de 2 % par an, avec des hausses allant jusqu’à 13,5 % pour les produits frais. Certes, la part du budget des ménages consacrée à l’alimentation est passée de 20 % dans les années 1960 à 13 % aujourd’hui ; mais la consommation de fruits et légumes frais n’a pas progressé depuis cinquante ans. On le sait, la consommation de produits frais est directement liée au pouvoir d’achat des ménages et à leur catégorie socioprofessionnelle. Le nombre de Français dans la précarité augmente sans cesse, ce qui se traduit par une explosion du nombre de bénéficiaires de l’ensemble des associations d’aide alimentaire. Une politique de l’alimentation ambitieuse suppose donc, en priorité, de soutenir la demande de produits frais pour les foyers les plus modestes. Mes chers collègues, nous avons la responsabilité de ne plus laisser les prix alimentaires de ces denrées de base faire l’objet de telles dérives de la part de la distribution !
Pour toutes ces raisons, il paraît indispensable de réguler – pour employer un concept redevenu à la mode – les marges et les pratiques de la grande distribution, avec pour double ambition de fournir une alimentation de qualité accessible à tous et une rémunération digne du travail paysan.
J’avais déjà déposé, il y a deux ans, une proposition de loi visant à instaurer un véritable droit au revenu des agriculteurs, dont beaucoup d’articles avaient retenu l’intérêt des parlementaires de toutes sensibilités. Le ministre de l’agriculture, présent au débat cette fois-là, m’avait simplement opposé le caractère « prématuré » de mes propositions. Quelques mois plus tard, lors des débats sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture, la majorité avait encore rejeté mes amendements, se limitant à soutenir les propositions du Gouvernement : contractualisation, renforcement des interprofessions, regroupement des organisations de producteurs, et extension des mécanismes dits « d’assurance-récolte ».
Je ne mets pas en doute la volonté du ministre d’apporter des réponses avec la loi de modernisation agricole. Mais elles sont manifestement peu efficaces. Je pense notamment à la contractualisation qui devait garantir des prix aux producteurs. Cela ne marche pas, au point que ces derniers ne signent pas les contrats.
M. Louis Cosyns. Soyez patients.
M. André Chassaigne. Pire encore, la domination sans partage sur la valeur ajoutée au sein des filières a été facilitée par les évolutions législatives récentes, en particulier la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs et la loi du 4 août 2008, dite de modernisation de l’économie. La déréglementation des relations commerciales entre producteurs et distributeurs, notamment par la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente, a affaibli les producteurs dans la négociation : tous les responsables du monde agricole en conviennent ! La grande distribution, par ses pratiques contractuelles, sa politique active d’importation en fonction de l’arrivée des productions françaises sur les marchés, maintient une pression à la baisse des prix d’achat, obligeant les producteurs à vendre bien en deçà de leurs coûts de production.
Aujourd’hui, force est de constater que les problèmes demeurent et s’aggravent, et que la question des prix et des revenus agricoles est la grande oubliée de notre politique agricole et alimentaire. C’est pour apporter des réponses dès maintenant, sans attendre le grand soir de 2012, que j’ai déposé le texte que nous examinons aujourd’hui.
Je souhaite donc que ces mesures recueillent un large assentiment de notre assemblée ; elles redonneraient un véritable espoir à des agriculteurs à bout de souffle sans pénaliser les consommateurs.
L’article 1er prévoit l’application d’un coefficient multiplicateur entre le prix d’achat et le prix de vente des produits agricoles. L’objectif est d’étendre l’application d’un dispositif qui s’est appliqué de 1945 à 1986, avant d’être réintroduit en droit français en 2005 pour le seul secteur des fruits et légumes, sans toutefois être mis en œuvre.
Le coefficient multiplicateur tend, en fait, à limiter les taux de marge des distributeurs. Son principe est simple : l’État fixe un coefficient, sous la forme d’un taux plafond, entre le prix d’achat au producteur et le prix de vente au consommateur. Pour une efficacité optimale, cette mesure s’appliquerait évidemment à toute la chaîne des intermédiaires.
S’agissant des importations, je tiens à souligner que le coefficient multiplicateur peut s’appliquer aux produits importés. Aujourd’hui, on importe pour casser les prix de nos productions, notamment les productions saisonnières. Or, avec un coefficient multiplicateur appliqué aux importations, la grande distribution n’aura plus intérêt à acheter à des prix très bas à l’étranger puisque sa marge bénéficiaire sera beaucoup plus étroite.
Une autre objection courante consiste à souligner la complexité du dispositif et la difficulté de sa mise en œuvre. Je la rejette. Ce mécanisme a été mis en œuvre pour différentes productions pendant près de quarante ans. Il faisait alors l’objet de chapitres spécifiques dans tous les manuels de brevet de technicien agricole. À l’heure où les spéculateurs rivalisent d’ingéniosité technique pour proposer des innovations financières, comme celles concernant les marchés à terme agricoles, la puissance publique serait-elle incapable de fixer un simple taux arithmétique ?
L’article 2 propose de définir, pour chacune des productions, un prix minimum qui restera indicatif afin de ne pas contrevenir à la réglementation européenne. Ce prix serait défini au niveau interprofessionnel, via une concertation au sein de l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, FranceAgriMer.
L’article 3 institue une conférence annuelle par production, regroupant l’ensemble des acteurs des différentes filières – fournisseurs, distributeurs et producteurs –, et élargissant le champ de la représentativité syndicale agricole aux organisations minoritaires. Cette conférence annuelle donnerait lieu à une négociation interprofessionnelle sur les prix qui permettra de définir des indicateurs, tels que les coûts de production et l’inflation, qui serviront ensuite de base aux négociations interprofessionnelles.
Les responsables de l’observatoire des prix et des marges des produits alimentaires et ceux de FranceAgriMer l’ont souligné lorsque je les ai rencontrés : si nous sommes capables de dresser un constat, il n’aboutit pas à une action concrète. Une conférence annuelle sur les prix par type de production permettrait de réunir tous les acteurs, grande distribution et consommateurs compris. De l’avis de tous mes interlocuteurs, il faut se parler. Or, les contacts n’existent pas aujourd’hui. Les échanges noués dans une conférence annuelle pourraient aboutir à la mise en œuvre des conclusions de l’observatoire sur le prix de revient des produits, l’évolution des charges et des coûts, et l’augmentation du prix des intrants. En créant cet outil, nous serions à même d’établir un socle de négociation assorti d’indicateurs.
Les auditions que j’ai menées et le débat en commission m’ont conduit à penser qu’un consensus était possible. Aussi, je vous proposerai un amendement à l’article 3 pour lever les objections sur la non-conformité avec le droit de la concurrence.
M. le président. Monsieur le rapporteur, je vous prie de bien vouloir conclure.
M. André Chassaigne, rapporteur. Les produits agricoles et alimentaires ne sont pas des biens de consommation comme les autres ; on ne doit pas pouvoir les échanger sur des marchés mondialisés où la spéculation règne en maître, mettant en péril tant la survie de nos exploitations que l’autosuffisance alimentaire de l’Europe et, in fine, l’équilibre alimentaire mondial. Les grands groupes de la distribution ne doivent pas se voir confier les pleins pouvoirs dans leurs relations avec les agriculteurs, sous peine de mettre en péril des pans entiers de notre agriculture, tandis que s’opère un véritable racket sur les consommateurs, captifs des hypermarchés, dont le pouvoir d’achat se dégrade.
Les mesures que je vous présente ne visent qu’à rétablir un juste équilibre entre tous les acteurs de la filière, au bénéfice des consommateurs et des paysans. J’insiste bien sur les consommateurs et les paysans.
Mes chers collègues, notre responsabilité de parlementaire ne doit pas se résumer à pointer sans cesse l’origine des problèmes qui se posent aux Français. Nous avons la responsabilité d’apporter des réponses à la hauteur des enjeux et des besoins. Les agriculteurs méritent que la représentation nationale ne s’abaisse pas devant les artifices juridiques ou les égoïsmes de quelques intérêts particuliers.
M. le président. Monsieur Chassaigne, il faut conclure !
M. André Chassaigne, rapporteur. Je souhaite que nous puissions travailler ensemble dans cette direction grâce aux trois articles de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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