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Economie : réforme du service public de l’emploi

Monsieur le Président, Madame la ministre, Chers collègues,
Nous achevons aujourd’hui l’examen du projet de loi de réforme de l’organisation du service public de l’emploi. Un projet examiné dans l’urgence, étant entendu que la précipitation est aux yeux du Gouvernement une garantie du débat démocratique. C’est ainsi que le rapport de la CMP a été publié dans la nuit et que nous en examinons les conclusions ce matin même. Bel exemple du respect des droits du Parlement !
Sur le fond, nous l’avons dit, votre texte s’inscrit dans la continuité des réformes entreprises depuis près d’une décennie, sous l’impulsion des organisations patronales.
Il reflète une conception pour le moins rétrograde du rôles et des missions de l’Etat comme des droits et devoirs des personnes privées d’emploi.
Car par delà l’affichage d’objectifs de bon sens, réduire sensiblement le taux de chômage et simplifier les démarches des demandeurs d’emploi, votre texte ne poursuit en réalité d’autre but que de détourner le service public de ses missions initiales, de désengager l’Etat de la politique de l’emploi, de faire peser unilatéralement de nouvelles procédures de contrôle sur les personnes privées d’emploi, au mépris de leur projet de vie, de leurs attentes et de la légitime reconnaissance de leurs qualifications ou de leur expérience professionnelle.
Votre texte ne se contente pas d’instaurer un guichet unique dans le but de faciliter les démarches des demandeurs d’emploi, ni même de rapprocher l’ANPE du réseau opérationnel des ASSEDIC dans le but d’améliorer la qualité de service, il prétend avant tout devenir un outil au service de ces « chercheurs d’emploi » que sont, nous dites vous, les entreprises, vous entendez pallier à leurs « difficultés de recrutement » et transformer le service public de l’emploi en fournisseur d’une main d’œuvre mise sous pression.
Vous nous dites, Madame la ministre, vouloir favoriser par le moyen de la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC la rencontre de l’offre et de la demande. Une offre que vous jugez pléthorique, en soulignant que des centaines de milliers d’offres d’emploi sont aujourd’hui disponibles mais ne trouvent preneur.
Votre premier objectif est de faire en sorte que ces offres d’emploi soient satisfaites, tout en vous gardant bien sûr de préciser de quels emplois il s’agit ni de qui émanent ces fameuses offres, c’est à dire d’entreprises peu regardantes sur les conditions de travail et qui n’ont le plus souvent à offrir que des emplois précaires et mal rémunérés.
Nous aurions pu nourrir l’espoir que vous demandiez aux entreprises concernées de reconsidérer et améliorer leurs offres. Vous préférez demander aux agents du service public de l’emploi de serrer la vis, de contraindre demain les demandeurs d’emploi à accepter ce type d’offres, à accepter de se plier aux exigences du marché de l’emploi.
La notion fumeuse d’« offre acceptable d’emploi » est la clef de voûte de la nouvelle donne que vous entendez mettre en place.
Une mise en œuvre qui suppose le démantèlement préalable du service public de l’emploi. C’est à ce chantier que s’attaque votre projet de loi.
La nouvelle institution que vous créez s’organise sur la confusion de deux activités : le placement et l’indemnisation.
Cette confusion des genres va tout d’abord permettre de réaliser des économies d’échelle. Il existe actuellement 1600 sites ANPE et ASSEDIC confondus. Vous souhaitez ramener ce chiffre à 1000 sites. Autant dire que vous annoncez la fermeture de 600 d’entre eux, soit plus du tiers. Ces fermetures auront des incidences évidemment néfastes sur la qualité du service public et sur l’aménagement du territoire.
Cette confusion des rôles va autoriser ensuite un meilleur contrôle des demandeurs d’emploi, va permettre surtout d’exercer sur eux des pressions et chantages à l’indemnisation, en employant l’étalon de l’employabilité. Le salarié jugé employable se devra de retrouver rapidement un emploi, sauf à perdre ses indemnités, celui jugé inemployable se devra lui d’accepter ce qu’on lui propose.
De telles évolutions sont bien évidemment dangereuses. Elles s’inspirent du « modèle » anglo-saxon du workfare et vont contribuer à déréguler un peu plus le marché du travail, à la plus grande satisfaction des organisations patronales, mais au détriment des droits des salariés privés d’emploi, de la possibilité pour tout un chacun d’accéder à un emploi stable comme de voir reconnu les acquis de son expérience professionnelle.
Il nous faudra certes patienter jusqu’aux réformes annoncées de la formation professionnelle et de l’assurance chômage pour appréhender de façon plus rigoureuse et plus opératoire les aboutissants de votre réforme, mais les conséquences des politiques menées sous la précédente mandature comme les réformes engagées depuis juillet laissent présager du pire.
Que constatons nous en effet en France depuis six ans ?
Que la précarité s’est étendue et institutionnalisée en « précariat », que les situations de travail porteuses de diverses formes d’insécurité se sont multipliées, à la faveur d’un détricotage méthodique de notre droit du travail, que la situation des chômeurs en France compte parmi les moins enviables de l’Union européenne :
Notre pays est un de ceux qui dépense le moins dans l’indemnisation des chômeurs. Dix pays de l’Union font mieux.
C’est aussi le pays où 53% des personnes privées d’emploi ne sont plus indemnisées et cessent le plus souvent également d’apparaître dans les statistiques du chômage, dont il est dès lors un peu facile d’affirmer qu’il baisse.
Plutôt que de remédier à ces anomalies, vos réformes entendent enfoncer le clou et faire passer la pilule par le moyen d’un discours démagogique de culpabilisation des chômeurs. Vous tenez à faire croire que la majorité est responsable de sa situation ou, pour reprendre les termes de Mme Parisot, que le chômage relève trop souvent d’un « choix ».
Lorsqu’on conduit une politique qui favorise les destructions massives d’emploi, qui s’engage avec zèle à faire progresser un capitalisme financier qui confisque chaque jour un peu plus la richesse créée pour la voir distribuer à quelques mercenaires, on doit avoir au moins la décence de ne pas tenir les victimes des délocalisations et restructurations de toute sorte pour des privilégiés ou des fraudeurs ou de fustiger leur prétendu « farniente ».
Vous tenez pour inacceptable qu’un demandeur d’emploi refuse de se plier aux lois du marché. Vous jugez normal qu’il accepte avec résignation son déclassement, qu’il accepte de vivre d’expédients, qu’il renonce à ses droits les plus élémentaires, qu’il renonce à construire sa vie...
Vous avez tort, Madame la ministre, de considérer que le demandeur d’emploi ne demande qu’un emploi, n’importe quel emploi. Il demande en effet un emploi en mesure de lui assurer un minimum de bien être économique.
Rien, dans la situation économique réelle de notre pays et du moment que l’on a le souci de garantir un minimum de justice distributive, ne justifie qu’on tienne cette demande pour illégitime, disproportionnée, voire immorale.
Nous pensons que les demandeurs d’emploi sont légitimes à considérer que l’Etat doit prendre et exercer ses responsabilités dans l’initiative et la mise en œuvre des politiques publiques de l’emploi, et qu’il doit également garantir que la rencontre de l’offre et de la demande respectent des conditions réelles d’équilibre entre droits et devoirs.
Les agents du service public de l’emploi ne s’y sont pas trompés, eux qui contestent avec vigueur votre réforme. Et quoi de plus normal qu’ils refusent de voir leurs missions de service public dévoyées vers des objectifs de police des demandeurs d’emploi, qu’ils refusent également de voir leur statut remis en cause, au risque d’une perte de leur indépendance ou leur neutralité, au risque de la dégradation de leurs conditions de travail et de l’aggravation des pressions hiérarchiques.
En confiant les clefs de la politique de l’emploi au Medef, via le conseil d’administration de la nouvelle institution, et le conseil national de l’emploi, en détournant les acteurs de leurs missions essentielles, y compris les agents du Garp ou les personnels de l’AFPA, vous entendez inaugurer le règne des « marchands de travail », comme il existe des « marchands de sommeil ».
C’est parce que nous refusons d’acter cette étape décisive dans le démantèlement du service public de l’emploi et que nous jugeons largement insuffisantes les rares améliorations apportées à ce texte par notre Assemblée et le Sénat que nous voterons bien évidemment contre votre projet de loi.
 

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Roland
Muzeau

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