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Economie : promouvoir une autre répartition des richesses

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les politiques économiques conduites par les gouvernements successifs depuis 2002 se sont fixé pour unique objectif d’adapter notre économie aux exigences et aux contraintes du business model des entreprises et des grands groupes, dont l’essentiel de l’activité, rappelons-le, est orienté vers la création de valeur pour l’actionnaire.
Afin de faire de notre pays un paradis pour les actionnaires et d’ouvrir la voie au règne d’une concurrence pure et parfaite, vous avez recouru à tous les instruments politiques à votre disposition.
Votre politique s’est traduite par la baisse de la fiscalité des entreprises, la déréglementation des secteurs de l’énergie et des transports, le démantèlement des services publics, l’assouplissement du droit du travail et la casse des acquis sociaux.
Vous vous êtes, pour les mêmes raisons, attachés à conduire une politique de rigueur salariale et de baisse continue du coût du travail, qui nous a valu une véritable explosion du nombre des emplois précaires et du nombre de travailleurs pauvres.
Vous vous êtes dans le même temps fait les avocats d’une libéralisation des hauts revenus, en tentant d’expliquer aux Français que la hausse des revenus des plus riches était un facteur de relance de l’activité qui permettrait d’élever par là même le pouvoir d’achat de tous. C’était une reprise de la trop fumeuse formule de droite : « les licenciements d’aujourd’hui seront les emplois de demain ».
Les Français n’ont cependant jamais vu aucun signe de cette dynamique, pour l’excellente et unique raison qu’elle n’est fondée sur aucune réalité économique.
Ce que nos concitoyens peuvent en revanche constater, c’est l’aggravation sans précédent des inégalités, le recul de leur pouvoir d’achat, la hausse du chômage et la disparition progressive des services publics.
Ces inégalités se traduisent d’abord dans les écarts de revenus et de patrimoines, qui se sont creusés dans des proportions vertigineuses puisque désormais le centième des plus riches détient à lui seul la moitié du patrimoine financier total et qu’a contrario des millions de nos concitoyens sont condamnés à vivre sous le seuil de pauvreté.
Comme le dénoncent d’ailleurs, année après année, les rapports de la fondation Abbé-Pierre, de la fondation ATD Quart-Monde, le Secours populaire, mais aussi les outils statistiques de l’État – l’INSEE notamment –, la France est le pays d’Europe où la proportion de salariés payés au salaire minimum est la plus forte : 15 % des salariés à plein temps. Des millions d’autres doivent se contenter d’emplois précaires à temps partiel.
Le gel des salaires et la précarisation de l’emploi ne sont pas des effets de la conjoncture économique. Ils sont le fruit de choix politiques qui se sont traduits notamment, dès le milieu des années quatre-vingt, par l’abandon de l’indexation des salaires, laquelle a ouvert la voie à la reconquête du capital. Or vous continuez de défendre le caractère prétendument vertueux de cette politique, au nom de la compétitivité, alors qu’elle ne s’appuie sur aucun argument économique sérieux, en particulier dans la période de crise que nous traversons.
Nombreux sont d’ailleurs les économistes, pas seulement à gauche, qui vous invitent aujourd’hui à reconsidérer vos positions, à vous engager dans une politique de revalorisation des salaires et de rattrapage du pouvoir d’achat. Si ce rééquilibrage est une nécessité économique et une condition du retour à une croissance saine et durable, il porte également une exigence de justice.
C’est le sens de la proposition de loi que nous défendons aujourd’hui. Nous jugeons tout d’abord indispensable que le législateur agisse pour garantir une juste répartition des revenus au sein des entreprises. Alors que des centaines de milliers de nos concitoyens perdent leur emploi, que des millions d’autres sont contraints de se serrer la ceinture, nul ne peut décemment accepter que des dirigeants d’entreprise, eux-mêmes actionnaires, s’approprient l’essentiel de la richesse créée au détriment des salaires comme au détriment de l’investissement productif et de la création d’emplois.
L’annonce en mars dernier de l’octroi par la Société générale de 320 000 stock-options à quatre de ses dirigeants, l’attribution de 3,2 millions d’euros à l’ex-PDG de Valeo, le versement de 51 millions d’euros de bonus aux dirigeants d’une filiale du Crédit agricole, l’attribution de 1,1 million d’euros de stock-options aux dirigeants de GDF, tous ces scandales récents – et on en compte bien d’autres ! – ont suscité dans l’opinion une prise de conscience brutale du caractère insupportable de ce capitalisme de casino, qui entend continuer dans la logique désastreuse qui lui est propre et qui a conduit à la crise actuelle.
Face au légitime mouvement de protestation de l’opinion publique, votre Gouvernement a tenté de faire diversion en rédigeant à la va-vite un décret pour encadrer de façon minimaliste, et jusqu’en 2010 seulement, les bonus des seules entreprises aidées par l’État. Cette mesure ne vise qu’une petite poignée des entreprises – six banques et quatre entreprises – qui licencient à tour de bras ou recourent au chômage partiel et au sein desquelles les rémunérations des dirigeants échappent à toute limitation.
Il existe pourtant des moyens efficaces de lutter contre ces pratiques socialement injustes et économiquement ruineuses, ainsi que l’ont rappelé, du reste, les récents rapports de la Cour des comptes.
Nous proposons ainsi de prendre quelques mesures simples, des mesures de bon sens, que vous dénoncerez probablement comme dirigistes, mais que nous défendrons comme des mesures de justice : suppression des stock-options, taxation des parachutes dorés, et surtout plafonnement des rémunérations annuelles des dirigeants des grandes entreprises au niveau qui correspond à peu près à celui perçu par les patrons des PME, soit de trois à vingt fois le montant du salaire minimal applicable dans l’entreprise considérée.
En d’autres termes, nous proposons d’indexer le salaire des patrons sur celui des salariés, de sorte que les dirigeants ne puissent augmenter leurs rémunérations qu’en augmentant parallèlement celui de l’ensemble des salariés de l’entreprise.
Votre Gouvernement, conformément à la proposition de Nicolas Sarkozy, préfère agir sur le levier de l’intéressement. Vous tentez de proposer aux salariés d’échanger le gel de leur salaire contre une redistribution de dividendes individualisée et donc sélective.
Vous nous avez déjà proposé une multitude de lois relatives à la participation et à l’épargne salariale. Or aucune de ces politiques n’a porté de fruits en termes de revalorisation des revenus ; elles n’ont eu pour effet que de creuser les inégalités entre les cadres dirigeants des entreprises et l’ensemble des salariés. Elles ont aussi pour conséquence de tarir les comptes sociaux. N’étant pas soumis à cotisations, ces compléments de revenus amputeront le montant des retraites des salariés concernés. Ce n’est pas ainsi que l’on conduit une politique d’ajustement salarial responsable.
Nous estimons qu’il est par ailleurs indispensable d’œuvrer dans le sens d’une réorientation de la politique fiscale. Depuis 2002, votre politique a consisté presque intégralement à alléger la fiscalité du patrimoine. Les baisses d’impôts accordées ces dernières années au bénéfice des ménages les plus aisés et des entreprises florissantes ont littéralement asséché les comptes publics, privant chaque année l’État de dizaines de milliards d’euros utiles à l’investissement public et à la satisfaction des besoins sociaux.
Ainsi, pour le seul exercice 2008, la Cour des comptes vient de dénoncer à nouveau le dérapage des comptes publics, relevant une perte de 7,6 milliards d’euros de recettes pour l’État. C’est aussi le résultat de l’irresponsabilité de la majorité UMP qui a voté la loi TEPA en 2007.
Quand je parle des besoins sociaux, je n’évoque pas les seuls transferts monétaires directs opérés au nom de la solidarité nationale afin de réduire les inégalités sociales. Je parle aussi des logements sociaux, des infrastructures, des services publics, des politiques d’accès aux soins, à l’éducation, à la justice, aux crèches, aux services publics pour les personnes âgées.
Toutes ces politiques ont un coût assumé par chacun par le biais du paiement de l’impôt. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose en son article 13 que cette contribution commune est « indispensable », ajoutant qu’« elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
Ce principe essentiel est aujourd’hui bafoué. Vous avez en effet multiplié les mesures visant à exonérer les plus riches de leur devoir de citoyens, par le jeu des niches fiscales et par le jeu du bouclier fiscal. Rappelons, même si ce n’en est que la partie émergée mais ô combien symbolique, que ce bouclier fiscal a permis aux 3 000 contribuables les plus riches de bénéficier d’une baisse d’impôt de 116 193 euros par le moyen d’un chèque de restitution acquitté par l’ensemble des autres contribuables.
Rappelons également que la réduction du nombre de tranches de l’impôt sur le revenu, décidée sous la précédente législature à l’initiative de l’actuel président du groupe UMP, a même contribué à rendre l’impôt plus injuste par le seul jeu des effets de seuil.
Nous proposons bien évidemment de revenir sur ces dispositions iniques afin notamment de permettre à nouveau à l’État de jouer son rôle de levier économique. C’est le sens de notre proposition de création d’un pôle financier public, d’un pôle national du crédit dont l’une des fonctions urgentes et essentielles pourrait être de proposer des crédits à taux bonifié aux entreprises qui investissent dans la formation, la recherche et la création d’emplois de qualité.
Cette proposition est la démonstration qu’une autre répartition des richesses est vraiment possible. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Roland
Muzeau

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