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Economie : pouvoir d’achat

 
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Chers Collègues,
La semaine dernière, vous avez prononcé cette phrase, Monsieur le Ministre, lors des questions d’actualité : « Depuis 6 mois, le Président de la République et le gouvernement se mobilisent pour le pouvoir d’achat des Français ».
Merci tout d’abord de confirmer que pendant 5 ans, de 2002 à 2007, les gouvernements auxquels vous avez vous même participé ainsi que Monsieur Sarkozy, ne se sont pas mobilisés pour le pouvoir d’achat des Français. Cela, les Français s’en étaient rendus compte ! Et merci également de nous dire que depuis 6 mois vous vous mobilisez car ça ils ne s’en sont pas aperçus !
Pendant 5 ans, vous avez été dans la négation de la baisse du pouvoir d’achat pour une majorité de nos concitoyens. Reprenez tous nos débats et vous verrez qu’imperturbablement Messieurs Mer, Sarkozy, Breton et Copé venaient avec une belle assurance dire que le pouvoir d’achat augmentait.
Mais la vérité est plus forte que tout et, aujourd’hui, vous venez présenter en catastrophe un texte devant paraît-il améliorer le pouvoir d’achat des Français.
Et ne dites pas que cela fait 6 mois que vous vous mobilisez car sinon comment expliquer cette précipitation qui fait que l’on réunit la commission compétente sur ce texte de loi sans que les députés aient pu préalablement disposer de ce texte.
Lorsqu’on réfléchit depuis 6 mois, on a au moins le respect de communiquer à l’Assemblée Nationale un texte dans des délais qui permettent un examen sérieux. Ce sont des pratiques que veut changer la commission des sages présidée par Monsieur Balladur, ce que semble partager le Président de la République. Il se trouve qu’il y a encore loin entre la théorie et les travaux pratiques.
La réalité, c’est que vous vous préoccupez dans l’urgence et de très mauvaise façon du pouvoir d’achat de nos concitoyens quand ceux là vous pressent de toute part d’agir, tellement il devient de plus en plus insupportable qu’au recul social que vous organisez dans tous les domaines s’ajoute un recul en terme de pouvoir d’achat. Surtout lorsque ce recul touche des éléments aussi essentiels de la vie que le logement, l’alimentation, la santé ou encore l’énergie.
Conséquences de cette précipitation, mais conséquences aussi de votre idéologie conservatrice, vous nous présentez des mesures partielles, partiales, ponctuelles, non pérennes avec des estimations et des effets quasiment impossibles à chiffrer sérieusement. Autrement dit, vous faites un coup et un petit coup dont les maigres effets vont retomber comme un soufflet.
Alors, rappelons le. Les retraités, ce sont des millions de Français, sont exclus des mesures proposées, les chômeurs également et l’essentiel des travailleurs précaires. Bref, ceux qui souffrent souvent le plus ne comptent pas ! Pour les autres, il y a au moins trois poids, trois mesures.
Concernant les RTT, il s’agit de savoir si les patrons voudront ou pourront répondre à la demande de leurs salariés, premier point.
Pour le déblocage de la participation, chacun sait que cela ne concerne qu’à peine la moitié des salariés et en plus il s’agit selon la belle formule de l’exposé des motifs « de permettre aux salariés de demander ». Bref le salarié va avoir la permission de demander. Effectivement c’est déjà mieux que s’il n’avait pas la permission. Cela dit, comme en 2004, les deux tiers retourneront immédiatement à l’épargne.
Quant à la prime exceptionnelle pour les autres, inutile de préciser que cela va être, pour les salariés concernés, une bataille de Titan pour l’obtenir car, là aussi, il est indiqué qu’il est « proposé de permettre de verser une prime exceptionnelle aux salariés … qui pourra être modulée selon les salariés ». (Art 3)
Donc le gouvernement demande de pouvoir permettre. Quelle belle langue que la langue française ! Quant aux deux premiers points, je rappelle que le gouvernement réussit ce tour de force assez exceptionnel de distribuer de l’argent qui appartient de fait aux salariés.
Enfin, concernant les loyers, les mesures sont d’une faiblesse patente. D’une part parce que la modification de l’indice de référence des loyers ne fait qu’entériner les hausses faramineuses de loyer des ces dernières années. Je rappelle que le poids du loyer dans le budget d’un ménage a atteint des records ces dernières années avec près de 25%.
Le minimum est au moins d’établir un moratoire de deux à trois ans sur les loyers assorti d’un contrôle réel sur le prix du foncier et des mesures strictes pour empêcher une spéculation nuisible à nos concitoyens. Quant au dépôt de garantie d’un mois, si cette mesure paraît juste, il semblerait, qu’avec la précédente, elle fasse l’objet de contreparties qui seraient accordées aux propriétaires. Le problème, c’est qu’on ne sait pas lesquelles et qui paiera ?
Bref des mesures qui n’auront pratiquement aucun effet sur la croissance et l’emploi et dont des millions de Français, de toute façon, salariés, non salariés, retraités, sans emplois ne pourront bénéficier.
D’autres part, elles auront également peu ou pas d’effets sur l’objectif premier poursuivi à savoir le pouvoir d’achat dans la mesure où la ponction permanente et accrue dans la porte monnaie des Français continue.
La franchise médicale va entrer en vigueur
Les mutuelles, dans la foulée, augmentent leurs tarifs
Des centaines de milliers de personnes âgées qui ne payaient pas de redevance audiovisuelle vont en payer
Il est fortement question, ce qui serait un scandale de plus, de mettre en cause les prises en charge à 100% des affections de longue durée, c’est inadmissible !
Le gaz va augmenter
L’électricité, avec la dérégulation va continuer d’augmenter
Toutes les tentatives de baisse des prix alimentaires sont de peu d’effets quand il y en a
Une grande partie des prix sont en fait prisonniers de grands groupes non seulement de la distribution mais aussi des grands groupes pétroliers et des groupes de l’agro-alimentaire qui jouent en permanence sur la spéculation, sur des stratégies non conformes à l’intérêt général et avec comme vision quasi unique celle du rendement des dividendes de leurs principaux actionnaires. La raréfaction des produits, dans certains cas réelle, sert de paravent à toutes les manipulations financières et à masquer le choix de stratégies qui ne vont pas dans le sens de surmonter les problèmes posés à la planète et cela est vrai aussi bien en matière d’énergie comme en matière alimentaire. D’ailleurs, comme pour l’eau, la question est posée de laisser ou non aux mains d’intérêts particuliers des secteurs pour lesquels sont en jeu la sauvegarde et la survie de la planète.
Il y a là une contradiction fondamentale entre la nécessité d’une prise de responsabilité de plus en plus évidente des pays et des peuples sur des problèmes vitaux touchant indistinctement toute l’humanité et cette appropriation privée soumise en premier lieu à des intérêts particuliers. C’est une contradiction lourde qui devient de » plus en plus anachronique et pesante.
Tout cela indique que les cinq articles de ce projet de loi ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux en terme de pouvoir d’achat, de croissance et d’emplois. Et annoncer aujourd’hui qu’ils n’auront aucun effet sur l’économie, aucun effet sur une majorité de nos concitoyens et à la marge pour les autres n’est pas lire dans le marc de café, c’est simplement souligner que dès l’instant où l’on ne s’attaquera pas à la question fondamentale de la répartition des richesses, le gouvernement n’a aucune chance de mettre en place une politique forte, pérenne d’accroissement du pouvoir d’achat, d’accroissement de la consommation et donc de l’emploi.
En effet, seul le transfert d’une partie de la valeur ajoutée créée prioritairement vers les salaires, serait susceptible d’améliorer le pouvoir d’achat de nos concitoyens sur la durée et en faisant en sorte que la plus grande majorité en bénéficie. Or depuis 30 ans l’écart ne cesse de se creuser entre une rémunération du capital toujours plus forte et celle des salaires de plus en plus faible. Et ce mouvement se poursuit. C’est ce que note La Tribune du 26 juillet 2007 : « Depuis plusieurs années, l’argent coule à flots … et le partage de la valeur ajoutée devrait continuer à se déformer en faveur du capital et au détriment des salaires »
A noter au passage que cela démontre le mensonge qui consiste à dire aujourd’hui, comme le fait le gouvernement, qu’il fait des efforts pour payer et récompenser le travail. Cela est totalement faux ! Si le gouvernement voulait montrer qu’il respecte plus le travail que le capital, il devrait le rémunérer plus que le capital. Ce n’est pas le cas ! Et non seulement ce n’est pas le cas, non seulement il n’y a même pas un début d’inversion mais, ces dernières années, comme le souligne La Tribune, les choses se sont aggravées.
Pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, donné par l’école d’économie de Paris, ces 8 dernières années, les salaires ont augmenté de 5,3%, les revenus fonciers de 13,2%, les revenus du capital de 30,7% et les revenus des capitaux du Cac 40 de 80% ! Cherchez l’erreur !
Alors oui, il y a un enjeu essentiel pour notre société aujourd’hui, c’est de rémunérer plus le travail que le capital. C’est à dire faire exactement l’inverse de ce que vous faites.
D’ailleurs lorsque vous dites faussement que vous récompensez plus le travail vous jouez sur les mots. Ainsi vous le reconnaissez vous même lorsque vous permettez le rachat des RTT ou encore que vous permettez une perception anticipée de la participation, vous accordez généreusement aux salariés ce qui leur appartient déjà. Donc ce n’est pas une rémunération et une reconnaissance supplémentaires à l’égard du travail.
Enfin lorsque vous leur dites « travailler plus pour gagner plus », on n’est pas non plus dans une inversion de la rémunération entre le travail et le capital, on est simplement dans ce fait, pour le moins normal, que si le salarié travaille plus de temps, il doit gagner plus. Ce qui est pour le moins le minimum qui puisse être fait. Mais là aussi, cela n’implique aucun changement sur le fait que la question centrale, à savoir payer plus le travail que le capital, n’est toujours pas réglée et donc que l’ensemble des problèmes d’inégalités, de recul social ne sont toujours pas traités et qu’au contraire ils s’aggravent.
Ceci a d’ailleurs des répercussions y compris dans ce que vous évoquez sans cesse pour légitimer vos mauvais coups, à savoir la compétitivité. Mais la compétitivité réside dans les moyens que l’on accorde aux capacités humaines. Le travail est effectivement la seule source de richesses, pas le capital !
La rémunération du travail avec le développement de la formation, de la recherche, de la santé, … est le premier pilier non seulement de la consommation mais aussi de la compétitivité.
Car rémunérer de plus en plus des capitaux dont les trois quarts ne sont pas réinvestis dans la production, et dont une grande partie (1/3 du PIB mondial) va dans les paradis fiscaux protégés par la majeure partie des Etats du monde, cela ne crée pas de richesse, cela même la stérilise.
Voilà pourquoi nos propositions représentent une efficacité infiniment plus fortes que les vôtres car elles soutiennent ce qui crée la richesse au lieu de protéger ceux qui bien souvent ont un comportement parasite.
1. Augmentation générale des salaires au delà du niveau de l’inflation avec un rattrapage du pouvoir d’achat perdu (augmentation du Smic, des salaires de la fonction publique, des pensions de retraite. Conférence nationale sur les salaires pour une augmentation générale et l’augmentation des retraites, …)
2. Baisse de la TVA sur les produits de première nécessité.
3. Blocage des loyers puis encadrement strict des loyers et charges. Prendre des mesures contre la spéculation foncière.
4. Augmentation substantielle de l’APL
5. Baisse immédiate de 10% du prix des carburants et du fuel en conjuguant une taxe sur les profits pétroliers et ramenant la TVA au niveau de la moyenne de l’Union Européenne.
 
Sur les moyens, je ne vais pas redire toutes les possibilités de financement de ces mesures, j’ai eu l’occasion de les énoncer lors des différents débats budgétaires, mais je veux simplement rappeler quelques données. En premier lieu que l’argent existe puisque « l’argent coule à flots » selon d’éminents économistes allant de P. Artus (professeur à la Sorbonne), à J. Stiglitz, prix Nobel d’économie en passant par les éditorialistes de La Tribune et des Echos.
 
Outre le fait que revaloriser les salaires permettrait des rentrées fiscales, pour la sécurité sociale et les retraites, cela permettrait également, en relançant la consommation et donc l’emploi, d’apporter des rentrées complémentaires. Pour mémoire,
· Un million d’emplois, c’est 15 Milliards d’€uros pour la sécurité sociale et les retraites.
· La taxation des revenus financiers au même taux que les salaires rapporterait 13 Milliards d’€uros
· Prélever 0,5% sur les actifs financiers (3 PIB) rapporterait 17 Milliards d’€uros
· Réorienter 70% du « paquet fiscal » qui sont allés aux riches selon les observatoires spécialisés rapporterait 12 Milliards d’€uros
· Multiplier par 2 l’ISF rapporterait 4 Milliards d’€uros
· Supprimer les exonérations de cotisations sociales qui n’ont servi à rien pour l’emploi (rapport de la cour des comptes en 2006) rapporterait 17 Milliards d’€uros
· Je vous rappelle également qu’en 20 ans, l’Etat a fait 450 Milliards d’€uros de cadeaux fiscaux (presque la moitié de la dette) et que pendant ce temps là les dividendes ont été multipliés par 9 et le SMIC par 2.
J’ajoute que l’on mesure également ce que toute la politique d’exonération a coûté au budget et à la sécurité sociale sans rapporter (voir la Cour des Comptes) mais aussi combien en encourageant une politique de bas salaires elle a coûté en consommation, en emplois et en croissance.
Puisque vous ne voulez pas toucher à l’essentiel, c’est à dire la production et la répartition des richesses, vous ne touchez qu’au superficiel.
Pour cette raison et parce que vos mesures seront au bout du compte un coup d’épée dans l’eau, les députés communistes et républicains et l’ensemble du groupe de la gauche démocrate et républicaine voteront contre ce projet de loi qui ne répond absolument pas aux besoins actuels de nos concitoyens en matière de pouvoir d’achat.
 

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Jean-Claude
Sandrier

Député de Cher (2ème circonscription)
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