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Economie : modernisation des services touristiques

Monsieur le président, permettez-moi tout d’abord de prendre le temps de déplorer les conditions dans lesquelles s’effectue désormais l’examen des textes : le texte de la commission n’est disponible que quelques jours avant la date limite de dépôt des amendements et le calendrier parlementaire frénétique nuit à la qualité de notre travail. Les groupes à petits effectifs comme le nôtre sont lésés par ce nouveau fonctionnement qui limite le temps d’examen et réduit nos prérogatives de représentants du peuple. Voilà qui ne grandit ni le Parlement ni la démocratie.
Dans ce projet de loi de développement et de modernisation des services touristiques, modernisation, comme toujours avec ce gouvernement, rime avec libéralisation, déréglementation et privatisation. Le titre I n’est rien de moins que la transposition dans notre droit de la directive relative aux services dans le marché intérieur, autrement dit la fameuse directive Bolkestein. Il s’agit donc de déréglementer l’activité de vente de voyages.
Les conditions d’autorisation pour la vente de séjours sont simplifiées : une seule autorisation pour l’immatriculation au registre sera désormais nécessaire, au lieu de trois ou quatre, mais les conditions d’accès sont rendues plus difficiles, qu’il s’agisse des garanties financières, des garanties en matière de responsabilité ou de compétence. Dans les faits, ces modifications ne laisseront la place qu’au privé et aux gros opérateurs, seuls capables de répondre à ces critères.
La section VI, intitulée « De la libre prestation de service », institue le principe du « moins-disant social » : tout opérateur communautaire est désormais autorisé à effectuer des activités commerciales en France, y compris lorsque celles-ci ne sont pas réglementées ou soumises à des conditions dans son État d’origine. Cette nouvelle entaille dans notre droit du travail fragilisera un peu plus les salariés du secteur, déjà loin d’être suffisamment protégés, en dépit de leur nombre important et de leur contribution à l’activité économique de nos territoires.
Mais il n’est bien évidemment pas suffisant, à vos yeux, de déréglementer des professions pour faire jouer la fameuse « concurrence libre et non faussée », favoriser les gros opérateurs du secteur et flexibiliser une main-d’œuvre déjà taillable et corvéable à merci. Il faut aussi que l’État n’ait plus son mot à dire en matière de politique du tourisme. L’ensemble de la mise en œuvre des politiques publiques concernant le tourisme sera donc désormais confié à un groupement d’intérêt économique, qui constitue pour vous une réponse miracle face à des résultats jugés insuffisants, stagnants, voire en régression.
Il est temps, selon vous, de mettre un terme à l’action de l’État et de ses services déconcentrés, et, comme dans bien d’autres domaines, le Gouvernement laisse les manettes à des organismes censés être indépendants. Il s’agit là de l’application du libéralisme à son degré le plus pur.
Le groupement d’intérêt économique baptisé « Atout France » rassemblera donc tous les acteurs du secteur susceptibles d’acquitter les frais d’immatriculation. Cela signifie que la direction du tourisme et ses services déconcentrés dans les régions et les départements disparaîtront. Seront en effet confiées à cette agence les missions administratives et régaliennes de l’État : définition et mise en œuvre de politiques touristiques, conception et développement de projets, conseils et recherche, promotion des territoires, et surtout tenue des registres et organisation du classement des acteurs du secteur.
L’État a beau avoir, en ce domaine, fait la démonstration de son efficacité et de son impartialité, vous considérez qu’il est urgent de le remplacer par une commission dont les membres seront nommés par le ministre, ce qui équivaut à institutionnaliser le mélange des genres, le clientélisme politique et les conflits d’intérêts.
Quant aux dispositions relatives aux garde-fous prévues dans la loi et renforcées par la commission, ce ne sont que des mesurettes cosmétiques bien trop limitées pour faire de l’Agence de développement touristique de la France un acteur réellement impartial. Si l’État et ses services déconcentrés sont dessaisis de la politique touristique du pays, le ministre, autrement dit, vous, monsieur le secrétaire d’État -enfin, pour le moment- se voit en revanche oint d’une toute-puissance nouvelle avec ce nouveau pouvoir de nomination par simple arrêté.
Ce projet de loi entend également massifier la pratique du classement en l’étendant à tous les établissements touristiques : hôtels, chambres d’hôtes, restaurants. Mais comment mettre sur le même plan les chambres d’hôtes, à l’authenticité si appréciée, et les hôtels de grand luxe, si ce n’est pour mieux faire jouer la concurrence libre et non faussée, censée galvaniser les marchés ?
Le classement par étoiles des hôtels, déjà mis en place par voie réglementaire, est entériné dans ce texte. On peut toutefois se demander pourquoi il est soumis au Parlement puisqu’il est déjà en vigueur depuis quelques jours – onze nouveaux établissements jouissent désormais de la cinquième étoile, récemment créée. L’avis de la représentation nationale sur l’article 8 n’aura donc aucune incidence alors même que cette réforme de la procédure de classement des établissements hôteliers pose problème. Ici encore, c’est la logique du libéralisme à outrance, la seule que connaît le Gouvernement, qui prévaut. Jusqu’alors, le préfet attribuait le classement après avis de la commission départementale d’action touristique, la CDAT, lui-même fondé sur le rapport de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Désormais, ce seront des organismes évaluateurs privés qui remettront un rapport au préfet. Il s’agit d’ouvrir un marché de plus au privé, ce qui revient à pratiquer une nouvelle entaille dans les missions régaliennes des administrations publiques.
Tout cela ne peut que porter atteinte à la nécessaire impartialité de l’agence et institutionnaliser le mélange des genres et les conflits d’intérêts. Il faudra donc payer pour jouir de ce classement. Les plus petits acteurs touristiques, exerçant leur activité dans un cadre familial, souvent en complément d’une autre activité, pourront se voir plus facilement privés de classement. À l’inverse, les gros du secteur seront nécessairement favorisés par leurs prestataires évaluateurs.
C’est encore une fois « Atout France » qui récupère l’ensemble des missions de classement qui relevaient jusqu’à présent de la puissance publique.
Ce projet de loi, censé constituer un texte de modernisation et de simplification, selon le dogme libéral, donne lieu à de multiples complications. En effet, à force d’ouvrir à tous les échelons d’innombrables possibilités d’entente et de collusion, le législateur doit faire mine d’instaurer des garde-fous. Dans le cadre du classement, par exemple, les organismes évaluateurs ne pourront concomitamment commercialiser des prestations autres que l’évaluation aux hôtels qui les sollicitent. Mais comment contrôler ? Quelles sanctions sont prévues pour les ententes illicites ? Le texte ne le dit pas mais on devine que la libéralisation du secteur nécessitera, effet pervers, une véritable usine à gaz pour contrôler la validité des procédures. Comme ce contrôle sera quasiment impossible à effectuer, il ne sera tout simplement pas pratiqué, n’en doutons pas.
Ce texte est aussi l’occasion pour le Gouvernement de multiplier et de renouveler les effets d’annonce ou d’affichage. Par un amendement opportun en commission, le projet de loi introduit en effet la TVA à taux réduit pour la restauration. Le texte prévoit en outre différentes aides au secteur de la restauration, comme des aides fiscales ou la création d’un fonds de modernisation de la restauration. Mais, très étonnamment – il ne doit s’agir que d’un oubli ! –, ces aides ne sont pas conditionnées alors que cette mesure était censée ouvrir des perspectives pour l’emploi.
Comme pour le secteur financier, le Gouvernement ne demande aux groupes qu’il soutient avec l’argent public aucune contrepartie, que ce soit en matière de protection des salariés, d’amélioration des salaires, de conditions de travail ou de baisse des prix. Ce projet de loi, censé avoir des visées sociales, ne comporte en réalité aucune disposition sérieuse en ce sens.
Il faut parler d’un autre ajout de dernière minute de la commission – qui vous gêne au point que vous avez omis de l’évoquer dans votre présentation du texte, monsieur le secrétaire d’État –, je veux parler de cette curieuse disposition sur les équipements, lesquels deviennent, après onction du ministre des sports, institutions d’intérêt général, ce qui permettra aux consortiums qui les gèrent de réclamer des aménagements et des investissements structurels auprès des collectivités territoriales.
Le Gouvernement sait faire preuve d’une inventivité décoiffante dès lors qu’il est question d’aider ses amis bétonneurs avec l’argent public, mais nous avons quelque mal à voir en quoi cette disposition relève de la modernisation des services touristiques. Tout juste constitue-t-elle une forme déguisée de partenariat public-privé, dispositif inspiré, là encore, de l’idéologie néolibérale.
Venons-en maintenant au prétendu volet social de ce projet de loi, sur lequel Marie-George Buffet reviendra. Après la déréglementation à tous les étages, les dispositions d’aide en faveur des salariés sont réduites à la portion congrue. La seule nouveauté apportée par le texte est que les entreprises de moins de cinquante salariés voient leur participation au dispositif des chèques-vacances facilitée pour ne pas dire enfin instituée.
Mais, au passage, les conditions de ressources pour bénéficier des chèques-vacances sont supprimées et renvoyées à un décret qui, je cite, « peut définir » de nouvelles conditions. Qu’en est-il de la priorité donnée aux plus défavorisés ? Nous l’ignorons.
Enfin, le statut de l’agence nationale pour les chèques-vacances est malmené : celle-ci devra désormais conclure des conventions avec des prestataires privés afin d’assurer la commercialisation des chèques-vacances. Pourtant, si cet acteur stratégique du tourisme social bénéficiait de moyens humains et budgétaires à la hauteur de ses besoins, il pourrait parfaitement étendre le réseau de commercialisation des chèques-vacances jusque dans les petites et moyennes entreprises.
On mesure l’importance que revêt la promotion du tourisme social aux yeux du Gouvernement à l’aune des mesures qui lui sont consacrées. Partir en vacances est pourtant de plus en plus difficile pour une part grandissante de nos concitoyens à l’heure où les politiques libérales menées depuis des années se soldent par la mise au chômage de 3 000 personnes supplémentaires chaque jour.
À la suite de ce rapide examen, un constat s’impose : profondément déséquilibré, peu soucieux de stimuler le marché intérieur grâce à l’amélioration des structures touristiques sociales, ce projet de loi est inspiré du début à la fin par le libéralisme exacerbé qui vous est si cher.
Ce gouvernement, qui prétend avoir pris acte de la crise du capitalisme dérégulé, continue en réalité à libéraliser des pans entiers de notre économie et à détricoter le droit du travail. Ce sont les recettes qui ont conduit à la crise mondiale que le chef de l’État continue d’appliquer dans tous les domaines, malgré ses dénégations et ses vœux pieux de moralisation du système financier.
Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce que des amendements portant sur le travail du dimanche aient été déposés sur ce texte.
Ils cadrent avec la philosophie générale du projet de loi : toujours moins de protection pour les salariés, toujours plus pour les gros opérateurs.
La révision générale des politiques publiques, qui commande de priver l’État impartial de tous ses moyens d’action pour laisser les acteurs privés se partager le gâteau, a encore frappé.
Vous ne vous étonnerez donc pas que les députés communistes et républicains votent contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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