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Economie : droits et devoirs des demandeurs d’emploi

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, ce texte est le quatrième volet d’un projet de casse qui en comporte cinq.
Le premier volet est la recodification du code du travail, que l’on pourrait nommer aussi « réécriture du code du travail ou histoire des droits amoindris », car vous avez manqué à vos engagements. Vous avez profité en effet de cette recodification pour complexifier le code, en le faisant doubler de volume, et amoindrir la protection des salariés, en transposant certains droits du domaine législatif au domaine réglementaire, lorsque vous ne les avez pas tout simplement supprimés.
Le deuxième volet est la privatisation rampante du service public de l’emploi, avec la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC. En la matière, on aurait pu croire à vos déclarations de bonnes intentions, si elles n’avaient pas été contredites par le contenu même du texte. Je pense par exemple au fait que, demain, les agents seront tout à la fois agents de placement et de contrôle : ceux qui inscrivent, qui cherchent et qui radient. Autrement dit, ils seront à la fois juges et parties.
Le troisième volet est la modernisation du marché du travail dont le titre pourrait se résumer ainsi : « Circulez, on précarise ! ». Car en fait, ce que les salariés retiendront de ce projet de loi, c’est qu’il a été un outil supplémentaire dans la réduction du coût du travail et dans la diminution de leurs droits.
Le quatrième volet est celui qui nous réunit aujourd’hui. C’est le projet de loi relatif aux droits et devoirs des demandeurs d’emploi – comme c’est joliment dit –, c’est-à-dire des gens mis au chômage.
Le cinquième volet est la remise en cause du temps de travail. Vous préférez visiblement la semaine de 65 heures, soit 13 heures de travail journalier, que votre gouvernement a fait naître grâce au soutien des autres libéraux européens. C’est encore l’inversion des normes, avec la priorité aux accords d’entreprise sur les accords de branche, permettant au seul patron de fixer l’organisation du travail et de déterminer le contingent d’heures supplémentaires, sans demander l’avis de personne.
Cette contre-réforme globale, mise en scène par M. Fillon et promue pour une part par M. Xavier Bertrand, sera lourde de conséquences, particulièrement pour les plus fragiles de nos concitoyens, ceux qui pour s’en sortir, pour survivre même, dans l’honnêteté et la dignité, pouvaient compter sur la solidarité nationale.
Mais de tout cela, vous n’avez cure.
Votre modèle social on le connaît, vous le cherchez bien loin, aux États-Unis, ce pays que vous connaissez bien, madame la ministre, où la solidarité est confessionnelle, familiale, ou n’est pas ; ce pays où le droit de licencier est très large et peut s’appliquer du jour au lendemain ; ce pays où les malades les plus pauvres peinent à se soigner – réalité transposée en France, sous l’effet des dépassements d’honoraires non maîtrisés et des franchises médicales ; ce pays enfin où les aides sociales sont limitées au strict minimum.
Je voudrais d’ailleurs vous interroger, madame la ministre, sur les propos tenus jeudi dernier par M. Dassault, lors de votre audition par la commission des finances du Sénat, à propos du référé de la Cour des comptes sur la fusion ANPE-ASSEDIC. Selon le sénateur de la majorité présidentielle, le problème serait que « l’assistance et les aides diverses aux chômeurs sont trop élevées ». Et de rajouter, avec la pondération qui est la sienne : « On réduirait carrément les aides aux chômeurs, ce serait quand même plus efficace si on veut les faire travailler que de vouloir donner de l’argent sur les deniers de l’État. » Et de poursuivre : « Quant aux jeunes, pourquoi ne pas les mettre en apprentissage dès 14 ans ? »
Nous connaissons toutes et tous la mesure qui caractérise M. Dassault père – je le précise, car nous avons aussi un député qui porte le nom de Dassault. Cette mesure de M. Dassault s’était d’ailleurs manifestée lors de l’examen de loi relatif à la modernisation du marché du travail, dans sa défense d’une société totalement dérégularisée, dans laquelle le droit de licencier ne devrait pas être encadré et où les contrats les plus précaires, contrats de portage et de mission, devraient être généralisés à l’ensemble des salariés. Telle est la philosophie de M. Dassault, qui sait de quoi il parle ! Le futur que M. Dassault veut pour la France a un arrière-goût d’antan. Alors, me direz vous, il s’agit de propos excessifs qui n’engagent que celui qui les tient. Je ne le crois pas ! La réalité est tout autre. Ils sont la conséquence de la rhétorique, propre à la droite, de culpabilisation et de stigmatisation des demandeurs d’emploi.
Ces mots d’une rare violence sociale sont l’une des conséquences de votre politique et de celle des gouvernements successifs de droite depuis 2002. Votre projet de loi, madame la ministre, stigmatise les demandeurs d’emploi, car vous partez du présupposé selon lequel un chômeur trouverait plus facilement un emploi si on limitait ses droits et son indemnisation.
Madame la ministre, êtes-vous d’accord avec les positions exprimées par M. Dassault ou les dénoncez-vous ? Quoi qu’il en soit, cela ne manquera pas d’avoir un impact sur votre méthode de travail.
Je voudrais d’ailleurs revenir ici sur le déni de démocratie sociale auquel nous assistons aujourd’hui. Aucune des cinq organisations syndicales représentatives des salariés n’a voulu parapher votre projet de loi ! Toutes, au contraire, de la CFE-CGC à la CGT, vous ont fait part de leur mécontentement quant à la méthode utilisée et au contenu même du texte. Elles dénoncent toutes un texte de stigmatisation et de culpabilisation, introduisant des dispositions qui risquent de porter la suspicion sur tous les chômeurs. Elles dénoncent aussi l’absence de droits nouveaux pour les demandeurs d’emploi. Un collectif de syndicats, d’associations de précaires et de chômeurs a d’ailleurs fait savoir qu’il s’opposait à ce projet de loi « qui rendait les chômeurs responsables de leur situation ».
Je remercie le rapporteur au Sénat d’avoir écrit dans son rapport : « Les organisations syndicales ont exprimé leur opposition à ces dispositions. Elles regrettent que le Gouvernement ne leur ait pas laissé la possibilité de négocier sur ce sujet et estiment que le projet de loi jette une suspicion sur l’ensemble des demandeurs d’emploi. » Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le rapporteur du Sénat !
Quant à la référence faite à l’accord national interprofessionnel, elle me laisse circonspect. Vous reprochez aujourd’hui aux partenaires sociaux d’avoir préféré écarter de la discussion une disposition qui, si elle avait été introduite, aurait hypothéqué la signature de l’accord que vous vous réjouissez par ailleurs d’avoir obtenu. De plus, et vous le savez bien, les partenaires sociaux s’étaient accordés à l’occasion de l’ANI pour reporter l’examen de l’offre raisonnable d’emploi – quels termes et quelle définition ! – à la négociation, fin 2008, de la convention d’assurance chômage. La ficelle est un peu grosse !
Madame la ministre, vous voudriez donc nous faire croire que c’est par sens des responsabilités que le Gouvernement se serait substitué à la négociation des partenaires sociaux. Est-ce bien cela ? Dans ce cas, je me réjouis, et ne doute pas que, dès la rentrée, vous proposerez à la représentation nationale un projet de loi sur la pénibilité du travail, ce sujet que la droite refuse obstinément d’aborder.
Notre groupe n’a malgré tout que peu d’espoir, car il ne s’agit pas ici de satisfaire aux exigences du patronat mais de répondre aux attentes légitimes des salariés, ce qui est pour le moins différent.
Où est donc passé votre déterminisme ? Le Gouvernement se vantait, il y a peu encore, de sa capacité à développer le dialogue social et à l’écouter. « L’histoire nous a montré que les lois les plus durables et les plus reconnues, celles qui sont entrées dans notre vie quotidienne de la meilleure façon, sont consécutives à des accords. » Cette belle citation – vous en conviendrez – n’est pas de Maxime Gremetz, mais de M. Xavier Bertrand.
Je me souviens également l’avoir entendu dire dans ce fameux exercice d’autocongratulation qu’était son intervention sur la modernisation du marché du travail : « La réalité, c’est que ce dialogue social bien portant et si longtemps attendu est enfin au rendez-vous. » Eh bien, je crains que, sur le sujet qui nous concerne aujourd’hui, le Gouvernement ait manqué son rendez-vous ! Vous n’avez pas respecté les organisations syndicales et avez manqué à votre promesse faite aux Français.
Durant la campagne des élections présidentielles, j’ai encore entendu M. Bertrand – je n’écoute pas que lui, mais comme il est picard, je l’entends un peu plus que les autres – dire, parlant des 35 heures, que ce mode de gouvernement était dépassé. Vous fustigiez une loi imposée d’en haut, disiez-vous alors, et promettiez de ne plus jamais agir ainsi. Une promesse de plus dissoute dans l’acide de la version sarkozyste du dialogue social, à savoir recourir aux syndicats parfois, les opposer les uns aux autres et les trahir régulièrement ! (Approbations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) C’est ce que vous avez fait avec la loi sur le dialogue social et le temps de travail.
Il y a une incohérence manifeste à vouloir nous faire adopter un projet de loi sur les droits et devoirs des demandeurs d’emploi, alors même que la nouvelle institution, qui aura pour mission de garantir leurs droits et d’imposer leurs devoirs, n’est pas encore en fonction.
Il y a une incohérence plus grande encore à vouloir faire adopter ce texte, alors que les négociations sur la convention d’assurance chômage, qui présentera l’offre de service de la nouvelle institution, n’est pas encore entamée et qu’on ne connaît rien de ses conclusions. C’est dire combien vous déconnectez l’offre de services de ce projet de loi. Pourtant, vous en conviendrez, l’offre de service de la nouvelle institution est l’une des composantes des droits des demandeurs d’emploi.
Tout cela, mes chers collègues, fait de ce projet de loi au titre abusif un texte profondément déséquilibré, dans lequel les devoirs sont très nombreux et les droits absents. C’est d’autant plus vrai que la politique de bas salaires que vous conduisez et qui est prégnante dans ce projet de loi conduira inévitablement à une baisse généralisée des salaires, comme nous le constatons déjà avec le recours à l’intérim et au temps partiel. Des tas de gens, je le rappelle, ne sont pas indemnisés.
En réalité, l’urgence vous est fort utile, elle vous permet de contourner le débat qu’aurait légitimement fait naître votre projet de loi si vous aviez eu recours à la voie législative classique : celui de la responsabilité sociale des employeurs, dont il n’est pas question ici. J’ai cité tout à l’heure l’entreprise Goodyear, je pourrais également parler de Cosserat, la seule entreprise a fabriquer encore du velours dans notre pays, ou de Whirlpool, toujours à Amiens, autant de noms synonymes de milliers ou, pour le moins, de centaines de salariés qui risquent le licenciement.
Depuis quelques années émerge dans la société un débat sur la responsabilité sociale de l’entreprise, qui vise à réintégrer cette dernière dans un contexte social de droits et de devoirs envers les salariés comme envers l’environnement.
La Commission européenne donne de cette responsabilité sociale la définition suivante : « L’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes. » Beau projet en apparence ! On a même assisté à l’élaboration de chartes de bonne conduite et à la création de sociétés chargées d’évaluer le respect de ces engagements.
Mais autant vous dire que les promesses formulées ne sont pas tenues ! Les entreprises ne cessent de poursuivre leurs politiques de réduction des masses salariales, licenciant les plus anciens des salariés – les plus coûteux –, faisant peser sur les sous-traitants le poids de leurs décisions économiques, refusant d’utiliser les crédits consacrés à la formation professionnelle, recourant aux stagiaires pour occuper des postes à temps plein, et j’en passe !
Il faut dire que les employeurs n’ont aucune raison de faire progresser leurs engagements, puisque l’État lui-même manque à ses obligations ! Votre gouvernement participe en effet d’un grand mouvement de déresponsabilisation. On ne peut pas compter sur une charte pour protéger les salariés.
Les députés communistes ne sont pas, vous le savez, des partisans de l’époque où les employeurs se comportaient en bons pères de famille, avec un paternalisme parfois étouffant, mais il nous semble impératif de revenir à une situation où les salariés faisaient l’objet d’une réelle reconnaissance. La vie dans l’entreprise était faite alors de solidarité, et celle-ci se poursuivait à l’extérieur de l’entreprise elle-même. Aujourd’hui, les employeurs divisent autant qu’ils le peuvent, parfois avec le soutien du Gouvernement. Hier encore, l’entreprise était responsable du salarié durant et après son activité. Ce temps est bien révolu.
En abordant la question du chômage et du retour à l’emploi, nous aurions pu et nous aurions dû, dans un débat plus long, aborder frontalement la place de l’entreprise dans la société avec ses différentes composantes. Mais, vous ne le voulez pas.
Madame la ministre, vous aurez compris que les députés communistes et républicains et le groupe GDR voteront contre ce mauvais coup fait aux demandeurs d’emploi.
 

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Maxime
Gremetz

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