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Droit de vote par correspondance des personnes détenues (PPL)

En 2019, l’instauration du vote par correspondance a représenté une réelle avancée démocratique. Les chiffres en témoignent : la participation carcérale est passée de 2 % pour l’élection présidentielle de 2017 à 22 % pour les élections européennes de 2024. Pas moins de 90 % des détenus choisissent le vote par correspondance.
Les autres modalités de votes, vote par procuration ou vote grâce à une permission de sortir, sont très peu utilisées car complexes d’un point de vue pratique, a fortiori dans un contexte de surpopulation carcérale. Les permissions de sortir, qui seraient certes la meilleure option, sont rarissimes : seulement 187 ont été accordées pour l’élection présidentielle de 2022, 92 pour les élection législatives de 2024. Par conséquent, revenir sur le vote par correspondance marquerait un grave recul.
Tel est précisément l’objectif de la proposition de loi adoptée au Sénat. Si l’article qui prévoit la suppression du vote par correspondance aux élections locales a été retoqué en commission, nul doute que le rapporteur s’emploiera a défendre un retour au texte initial.
Les défenseurs de cette proposition de loi estiment que la loi de 2019, qui prévoit que les détenus votent dans la commune chef-lieu du département ou d’implantation de la prison, peut poser des difficultés lors des élections locales. Pour appuyer leur démonstration, ils citent six communes chefs-lieux de département –⁠ je dis bien six – dans lesquelles le nombre d’électeurs détenus potentiellement inscrits dépasserait les 5 % des inscrits. Je parle bien des inscrits et non des votants.
Plutôt que de réfléchir à une adaptation intelligente du vote par correspondance, à une amélioration du dispositif, le Sénat a fait le choix, brutal, de supprimer cette possibilité d’accès au vote. C’est une régression maquillée en solution, un recul qui dit tout de la considération portée aux détenus : quand le droit gêne, plutôt que de l’ajuster, on le gomme.
Tout en écorchant le droit fondamental, le Sénat tente la solution de consolation puisque le texte mentionne le vote par procuration ou grâce à une permission de sortir, des dispositifs qui existaient avant la loi de 2019 et qui aboutissaient à des taux de participation extrêmement bas.
Le droit de vote des détenus est un sujet fondamental qui doit être traité comme tel au lieu d’être instrumentalisé. Or c’est ce qu’a fait le Sénat, qui a préféré se concentrer sur les effets des suffrages plutôt que sur leur importance. Le texte issu de ses travaux constitue une régression démocratique, avec pour cible l’une des populations les plus précaires et marginalisées de la République.
Au lieu d’encourager l’expression politique des prisonniers, dans l’optique de leur réinsertion, ce texte réduit leur individualité à leur seul état de détention. Il nie leur statut de citoyen qui, comme tout autre, dispose du droit de vote.
Les défenseurs de cette loi expliquent qu’elle permettrait de reconnecter les détenus à leur commune d’appartenance ou à celle d’un proche, ce qui conférerait au bulletin déposé dans l’urne un véritable intérêt et un sens. Il y a là une grande hypocrisie car la suppression du vote par correspondance n’aurait qu’une conséquence : une baisse brutale de la participation.
Il faut ajouter que la question du lieu de résidence des détenus est une matière délicate. Nombreux sont les détenus qui, parce qu’isolés ou indigents, ne sont pas toujours rattachés à une commune de manière stable ou évidente.
Toutefois, si l’intention réelle est de permettre aux détenus de voter dans leur commune d’origine ou de rattachement, pourquoi ne pas activer des leviers bien plus pertinents ? Je pense d’abord à des actions en matière de régulation carcérale : désengorger les prisons, rapprocher les lieux de détention des bassins de vie ou encore éviter l’éloignement social et géographique, qui rend le droit de vote théorique.
La possibilité d’accorder davantage de permissions de sortir marquerait une première avancée. Grâce à ce dispositif légal, mais sous-utilisé, un nombre bien plus élevé de personnes détenues pourraient exercer leur droit dans des conditions dignes. Toutefois, soyons francs : comment imaginer que l’on y ait recours au vu des conditions d’exercice des personnels pénitentiaires ?
Nous le voyons, des pistes existent mais elles sont ignorées. La question que nous devrions nous poser est : comment garantir un droit ? –⁠ et non : comment s’en débarrasser ?
Nous refusons que la prison devienne un angle mort de notre démocratie. Le détenu n’est pas seulement un corps à surveiller mais aussi un citoyen qu’il faut réinsérer, ce qui passe d’abord par la reconnaissance de ses droits et non par leur effacement. En affaiblissant le droit de vote des personnes incarcérées, ce texte isole davantage une population déjà marginalisée et nie son appartenance à la République. Cette proposition de loi trahit nos principes ; surtout, elle n’apporte aucune solution concrète aux problèmes qu’elle prétend résoudre.
Si nous restons ouverts aux propositions, notamment le vote par correspondance dans la commune de résidence antérieure ou celle de la famille proche, qui permettait de corriger des effets de bord de la loi de 2019, nous restons fortement opposés au recul des droits que prévoit ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)

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Nicolas
Sansu

Député de Cher (2ème circonscription)
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