Depuis le début de cette crise sérieuse – nous vous le disons sur tous les tons ce soir –, nous assistons à une accumulation de textes, pris en urgence, allant souvent bien au-delà de la simple gestion de l’épidémie. Vous avez considérablement déséquilibré les institutions de la Ve République, en renforçant le pouvoir exécutif, permettant ainsi une limitation sans précédent de l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté de mouvement, la liberté de manifester ou le droit à un procès équitable. Il ne s’agit pas pour nous de minimiser la crise sanitaire. La volonté légitime d’agir, pour protéger nos concitoyens, ne doit cependant pas nous exonérer de porter, de manière responsable, un regard critique – c’est ce que nous faisons ce soir – sur la façon dont l’exécutif entend répondre à cette crise.
Les décisions prises l’ont été d’en haut, le plus souvent dans le secret du Conseil de défense sanitaire. Lorsque vous êtes venus devant la représentation nationale, c’est parce que vous y avez été contraints forcés.
Aujourd’hui encore vous voulez obtenir de votre majorité, très éparse et absente – elle a sans doute anticipé le vote –, qu’elle lève les deux bras dans le but de vous permettre de disposer d’une nouvelle période de totale liberté d’action, sans regard ni contrôle du Parlement. (Mme Caroline Fiat applaudit.) Même l’inflexion de l’épidémie n’infléchit pas l’habitude jupitérienne qui est la vôtre. Hier, vous pouviez vous prévaloir de l’urgence pour justifier l’exception. Vous n’avez plus cette excuse, mais qu’importe, vous le refaites. L’autoritarisme libéral, qui est la quintessence du quinquennat, prétend ainsi nous donner rendez-vous dans neuf mois, en enjambant tout de même – excusez du peu ! – deux élections et en en anticipant et hypothéquant le résultat. Neuf mois et, d’ici-là, rien à voir, rien à contrôler, rien à discuter.
Il existe peut-être une corrélation entre l’explosion des membres des cabinets ministériels – en augmentation de 76 % – et la volonté d’affaiblir, d’affadir, de minimiser le rôle du Parlement (M. Pierre Cordier acquiesce) : peut-être s’agit-il du règne de la technocratie. Cette énième demande de prorogation d’un dispositif d’exception atteste d’une approche trop sécuritaire de la gestion de la crise, d’une politique disciplinaire au nom, voire en lieu et place, de la prévention sanitaire. Pourtant, comme le souligne le Conseil scientifique dans son avis récent, « la situation sanitaire en Europe s’est considérablement améliorée grâce à la vaccination ». Le taux de couverture vaccinale est satisfaisant pour les adultes, les jeunes adultes et les adolescents : vous connaissez les chiffres.
Dans ce contexte d’accalmie, pourquoi prévoir de légiférer par ordonnance et de procéder à de potentielles restrictions massives, vous autorisant à utiliser des dispositifs exorbitants du droit commun ?
La meilleure façon de nous protéger consiste à nous appuyer sur le terrain, sur les maires, sur les départements, sur les acteurs de proximité, pour « aller vers » et mobiliser les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), non pas pour donner des missions nouvelles à la communauté éducative, comme vous prévoyez de le faire par voie d’amendement gouvernemental. Ce qu’il faut, c’est réveiller, soutenir et réarmer la médecine scolaire, en vue de privilégier la démocratie sanitaire.
Dans les territoires d’outre-mer, le faible taux de vaccination s’inscrit dans un contexte de défiance qui dépasse largement le cadre de la seule crise sanitaire, et englobe les scandales d’État que constituent l’empoisonnement au chlordécone ou les essais nucléaires en Polynésie : la parole publique abîmée aboutit à la situation que nous connaissons.
Le calendrier électoral – élections présidentielle et législatives, clôture de la session parlementaire à la fin du mois de février 2022 – n’est pas un argument recevable pour refuser de consulter le Parlement, que vous pouvez réunir où vous voulez, quand vous voulez, y compris en session extraordinaire, à chaque fois que cela sera nécessaire. Dans son avis du 5 octobre 2021, le Conseil scientifique alerte sur le risque d’une banalisation du passe sanitaire et des mesures qui lui sont associées. Je m’interroge d’ailleurs sur le fait qu’un second avis ait été commis, quelques heures plus tard, pour corriger la trajectoire du premier.
Installer notre pays dans un régime de croisière d’état d’urgence sanitaire permanent n’est pas le bon combat, en matière de santé, pour les mois à venir. Nous vous proposons plutôt de réarmer l’hôpital, de réarmer la médecine scolaire, d’établir un dialogue serein avec la communauté hospitalière. À cet égard, le taux d’immunité collective parmi les soignants est atteint et permet de réintégrer les 15 000 qui ont été suspendus : c’est une mesure de dignité que vous nous demandons. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine est déterminé à préserver l’équilibre entre l’objectif sanitaire et la garantie de l’État de droit, déterminé à se battre pour que soit réarmé notre système de soins, déterminé à considérer que rien n’est plus important que la démocratie. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre le projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. M. Alain David applaudit également.)