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Dialogue social et emploi - lect. définitive

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici en lecture définitive du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi. Force est de constater que le texte que nous avons sous les yeux n’est pas très différent du projet de loi initial contre lequel nous nous sommes exprimés en première lecture.
Sur la forme, il convient de noter que le débat a été entravé au prétexte de respecter des équilibres trouvés par les organisations d’employeurs et les syndicats de salariés dans un projet d’accord qui n’a jamais été signé ! Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, cette position est intenable. En tant que députés, nous sommes dépositaires de l’intérêt général : que ces accords soient signés ou non, nous devons légiférer comme nous l’entendons.
M. Gérard Cherpion. Très juste !
M. Patrice Carvalho. En ce qui concerne le fond du texte, il aurait fallu trouver un équilibre entre l’octroi de droits nouveaux aux salariés et une clarification du rôle et des moyens de chaque institution représentative du personnel, afin de faciliter l’organisation des entreprises. L’enjeu du dialogue social est de permettre à la démocratie de gagner l’entreprise et l’ensemble de la vie économique. Pour ce faire, il faut renforcer le droit à la participation des salariés, droit qui vient compenser le rapport de subordination entre salariés et employeur.
Or, jusqu’à la dernière lecture de ce texte, vous avez réduit les prérogatives des représentants des salariés. Vous avez osé nous soumettre en séance, et à la dernière minute, plusieurs amendements marquant un net recul : vous avez baissé le nombre des administrateurs salariés ; vous leur avez interdit l’accès au sein des conseils d’administration des holdings de gestion patrimoniale, alors que c’est là que se font et défont les décisions structurantes pour l’entreprise…
M. François Rebsamen, ministre. Vous n’êtes jamais content !
M. Patrice Carvalho. J’ai été administrateur de la compagnie Saint-Gobain, monsieur ! Je sais de quoi je parle, et d’ailleurs je suis sans doute le seul ici !
M. Jean-Patrick Gille. C’est gentil pour les autres !
M. Patrice Carvalho. Vous avez également retardé l’entrée des administrateurs salariés dans les conseils d’administration de leurs entreprises.
Nous avons entendu les arguments les plus farfelus lors de ce débat, le ministre affirmant que « le fait de prévoir systématiquement deux administrateurs salariés présenterait en effet un risque profond de déstabilisation des conseils d’administration », dont l’effectif est pourtant de quinze ou vingt personnes. Comme si les salariés n’œuvraient pas pour l’intérêt de leur entreprise, comme s’ils souhaitaient mettre à mal leur outil de travail, leur moyen de vivre !
Vous avez aussi introduit en catimini un nouvel article qui impose, sauf accord collectif contraire, aux personnels navigants exerçant une fonction syndicale de regrouper en journée complète les heures de délégation prévues par la loi, alors que la Cour de la Cassation a jugé cette pratique illicite et a condamné Air France pour avoir contraint au regroupement des heures de délégation.
Ces incartades sont à l’image de ce texte : vous avez choisi d’aménager la représentation collective au détriment des salariés et pour satisfaire un patronat qui a refusé, de tout temps, de laisser ne serait-ce qu’une once de pouvoir aux salariés.
Toutefois, le texte comprend quelques mesures positives, à l’image des commissions paritaires régionales interprofessionnelles pour les petites entreprises de moins de onze salariés. Vous permettez ainsi la représentation de 4,6 millions salariés qui jusqu’ici en étaient privés. Néanmoins, ces salariés sont loin d’accéder à un droit favorisant leur participation à la détermination de leurs conditions de travail et à la gestion de leur entreprise. Pour cela, il faudrait donner d’autres missions, d’autres moyens aux membres des commissions régionales, par exemple un droit d’entrer dans les entreprises pour y rencontrer les salariés et les employeurs. Pour refuser cette disposition, vous vous abritez derrière un droit de propriété bien fragile s’agissant d’une entité, l’entreprise, qui est tout de même le fruit du travail de ses salariés.
D’autres avancées positives sont à noter, comme celles qui portent sur le régime d’indemnisation des intermittents du spectacle, la mise en œuvre du compte personnel d’activité ou la nouvelle prime d’activité.
Toutefois, même sur ces points, nous restons préoccupés par plusieurs aspects. Concernant le compte personnel d’activité, vous ne nous garantissez pas qu’il inclura l’ensemble des droits des salariés susceptibles d’être « portables », comme l’ancienneté par exemple.
S’agissant de la nouvelle prime d’activité, qui est une fusion du RSA activité et de la prime pour l’emploi, nous sommes préoccupés par l’insuffisance de l’enveloppe financière. En effet, vous restez à moyens constants alors que vous envisagez d’élargir le nombre de bénéficiaires, puisque les étudiants, les apprentis et les jeunes actifs âgés de dix-huit à vingt-quatre ans pourront, sous certaines conditions, prétendre à cette prime alors qu’ils étaient exclus du RSA activité.
Ces dispositifs ne suffisent pas à contrebalancer un texte qui, dans sa logique et dans ses modalités, contrevient aux droits d’une grande majorité de salariés. Ainsi, l’extension des délégations uniques du personnel aux entreprises de moins de 300 salariés, et au-delà lorsqu’un accord collectif le prévoit, entraîne une baisse des moyens, donc une restriction des droits des représentants des salariés.
La DUP, en effet, c’est moins d’élus et moins d’heures de délégation pour traiter davantage de missions, puisque les différentes instances représentatives du personnel y sont regroupées, à savoir : le comité d’entreprise, les délégués du personnel, et désormais le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Cela signifie que les représentants des salariés, moins nombreux et avec moins de moyens, devront traiter davantage de sujets dans des domaines aussi divers que la législation du travail, la santé ou les questions économiques.
L’intégration du CHSCT à la DUP est encore plus inquiétante s’agissant des entreprises de plus de 300 salariés. Vous l’avez reconnu lors de nos débats, dans ces grandes entreprises, vous proposez une fusion des instances. Or vous savez que le CHSCT n’a pas de budget propre. Actuellement, lorsqu’il décide d’entamer une procédure en justice ou de faire réaliser une expertise, c’est l’entreprise qui prend en charge les frais. Qu’en sera-t-il demain lorsque, dans le cadre de son intégration à une DUP, il prendra la forme d’une commission ? Partagera-t-il son budget avec le comité d’entreprise ? Nous pouvons le craindre, et les conséquences seront terribles. Le budget d’un comité d’entreprise étant limité, il est facile d’en conclure que les actions des CHSCT le seront tout autant. En d’autres termes, vous condamnez l’action du CHSCT !
J’ajoute que siègent souvent au CHSCT des personnes qui ne sont pas forcément des syndicalistes mais qui ont une fibre pour les sujets de la compétence du comité, et qui accomplissent un travail continu tout au long de l’année. Aujourd’hui, vous faites basculer tout le monde dans le cercle syndicaliste organisé !
Le danger de ces « nouvelles » DUP c’est aussi que l’on risque de contraindre les élus à cumuler leurs mandats et à devenir des sortes de « permanents syndicaux » tenus éloignés de leurs collègues et du terrain, et de priver certains établissements d’une représentation en la centralisant au niveau de l’entreprise. En effet, les DUP seront uniquement mises en place dans les établissements de plus de cinquante salariés. Autrement dit, dans les autres établissements de l’entreprise, y compris ceux de plus de onze salariés, il n’y aura aucun représentant du personnel !
Cette perte de proximité est une des grandes faiblesses de la DUP. Malgré nos propositions, vous n’avez pas voulu y remédier en faisant en sorte que des représentants des salariés soient présents dans tous les établissements de l’entreprise. Il s’agit de régressions importantes qui affaibliront les droits des représentants du personnel, et par là même des salariés. Nous regrettons qu’au prétexte de « moderniser » et de « simplifier » les modalités du dialogue social, vous réduisiez globalement, en réalité, les droits des représentants des salariés. D’ailleurs, le patronat ne s’y est pas trompé. Vous imposez, finalement par la loi, des dispositions que les représentants des salariés ont repoussées lors des négociations.
Pensez-vous sincèrement, monsieur le ministre, que la France et le monde industriel souffrent de trop de droits pour les salariés ? Je pense que c’est l’inverse. Le nom de Continental, dans ma circonscription,…
M. François Rebsamen, ministre. Que je connais !
M. Patrice Carvalho. …devrait résonner à vos oreilles ! Ce qui s’est passé, c’est que des patrons voyous ont licencié et ont fermé une usine, en bénéficiant de tous les droits que l’on sait !
M. François Rebsamen, ministre. Je sais bien qu’il y a aussi des patrons voyous.
M. Patrice Carvalho. C’est pourquoi mon groupe ne pourra que voter contre ce texte.

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Patrice
Carvalho

Député de Oise (6ème circonscription)

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