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Dette souveraine des Etats de la zone euro (Niche GDR)

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, pour les députés du Front de gauche, réduire la dépendance à cette dette érigée en mythe est la mère des batailles. C’est un enjeu majeur pour que notre pays recouvre sa souveraineté face aux marchés financiers, une question vitale pour que les peuples européens retrouvent enfin la voie du progrès social.
À travers cette proposition de résolution européenne et l’excellent rapport de mon collègue Nicolas Sansu, les députés du Front de gauche veulent briser certains tabous et contribuer activement à une sortie de crise. Ils veulent aussi soutenir ainsi le peuple grec et son gouvernement dans leur combat courageux.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en dépit d’un affichage frénétique et anxiogène sur son essor, les pouvoirs publics européens ont dramatiquement échoué à réduire la dépendance à la dette. Les gouvernements conservateurs et socio-libéraux en avaient-ils véritablement la volonté ? La question mérite d’être posée. La dette a été imposée dans l’agenda médiatique et politique comme problème numéro un, éclipsant la lutte contre le chômage ou la pauvreté ! Elle est devenue une sorte de nouveau récit national, d’une désolante pauvreté, pour masquer l’absence de projet émancipateur pour les peuples européens.
Comme l’a parfaitement démontré notre rapporteur, l’endettement des États n’est ni un problème nouveau, ni une fatalité. Notre proposition de résolution européenne propose à cet égard plusieurs mesures fortes. Mais ce qui est nouveau, c’est le refus obstiné des dirigeants d’utiliser tous les outils efficaces pour sortir de cette spirale.
Au tournant des années 2000, en Europe, la question de la dette publique a quitté le rang du débat économique pour être érigée en mythe moral et politique. Au nom du remboursement de cette dette, des sacrifices terribles ont été infligés aux peuples européens. Ainsi, en Grèce, la Troïka a imposé huit plans d’austérité dévastateurs : la mortalité infantile a augmenté de 40 %, le chômage a été multiplié par quatre, et la pauvreté frappe un quart des Grecs tandis que la richesse nationale a chuté d’un quart. L’accès aux droits fondamentaux a été bafoué. Pour quel résultat ? La dette publique grecque s’est envolée.
Un tel aveuglement économique touche toute l’Europe, il n’épargne pas la France. Au nom de la dette, le gouvernement français a enfourché le cheval de l’austérité : les dotations aux collectivités territoriales sont amputées comme jamais, les moyens des services publics, des hôpitaux, des universités et de l’audiovisuel sont sabrés. Là encore, le résultat est désastreux : une croissance économique atone et un chômage qui dépasse désormais les cinq millions de personnes. On souhaite imposer dans toute l’Europe le modèle allemand, mais celui-ci est-il vraiment enviable ? C’est le modèle de la précarité généralisée, avec des millions de travailleurs pauvres, des jobs à un euro. Du fait de sa démographie déclinante, l’Allemagne a besoin de la dette et de la spéculation des fonds de pension pour faire vivre ses retraités. En réalité, l’Allemagne est un colosse aux pieds d’argile.
Contrairement au refrain fréquemment entonné, l’essor des dettes souveraines n’est en rien un accident de l’Histoire. Notre rapporteur a parfaitement démontré les mécanismes et les décisions qui ont, à partir de la fin des années 1970, progressivement placé les États sous le joug des marchés financiers. Les gouvernements successifs ont délibérément fait le choix d’accroître l’endettement auprès – et au profit – des marchés financiers, d’une part, en empruntant à des taux d’intérêt élevés, d’autre part, en s’asseyant sur de formidables recettes en faisant des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux plus riches.
L’essor des dettes publiques n’est donc pas un hasard. Il est devenu une stratégie pour imposer des régressions jamais vues sur notre continent. De même que le haut niveau de chômage permet d’imposer aux salariés le gel des salaires, le haut niveau de la dette publique permet d’imposer aux citoyens la réduction des prestations fournies par l’État providence.
Cette stratégie n’a rien de novateur : déjà dans les années 1990, le FMI l’avait expérimentée dans les pays en voie de développement. Grâce au chantage sur la dette, il avait imposé des potions ultralibérales à l’Afrique et à l’Amérique latine, anéantissant les économies locales, creusant les inégalités et démantelant des États encore chancelants. Ce qui est en revanche nouveau, c’est que l’Europe ait succombé aux mêmes sirènes et que la social-démocratie européenne, privée d’un projet de société alternatif, se soit ralliée à une politique de l’offre qui était jusqu’alors l’apanage des gouvernements les plus réactionnaires et droitiers, comme ceux de Thatcher ou de Reagan.
Enfin, si l’explosion de la dette publique a ses causes, elle a aussi ses bénéficiaires. Les banques ont réalisé le « casse du siècle », en se finançant à bas taux et en prêtant ensuite aux États à des taux très élevés. Selon le magazine américain The Banker, leurs profits ont battu un nouveau record en 2014, avec 920 milliards de dollars. L’oligarchie financière est gagnante sur tous les tableaux : elle encaisse les intérêts de la dette et augmente ses profits grâce aux politiques de déréglementation mises en œuvre au nom de la dette. Les plus riches ont tout intérêt au maintien d’un haut niveau de dette publique !
Partant de là, nous disons avec force que les peuples ne sont pas responsables de ce fardeau et qu’ils n’ont pas à en payer le prix. Une partie de la dette n’ayant aucunement servi à financer des politiques publiques au service des besoins élémentaires de la population, je souscris totalement à la notion de « dette illégitime ».
À travers la dette, c’est aujourd’hui la souveraineté des peuples qui est en jeu.
Au lieu de favoriser le recours direct à l’épargne des citoyens, abondante et garante de notre indépendance, les États sont devenus les otages des banques et autres fonds spéculatifs, ainsi que des agences de notations, qui peuvent à tout moment les mettre à genoux.
Grâce à ce meccano financier infernal, les ultralibéraux sont passés à l’offensive. La Troïka, instance illégitime et néocoloniale, a voulu mettre la Grèce sous tutelle. L’oligarchie financière souhaitait en faire le laboratoire des politiques néolibérales, fondées sur la privatisation de pans entiers des services publics, sur la liquidation de biens fondamentaux, bref, sur l’anéantissement du rôle de l’État. Aujourd’hui encore, « l’Europe allemande », pour reprendre le terme du sociologue Ulrich Beck, veut dicter son avenir au peuple grec, qui est désespéré de ne pouvoir compter sur l’appui du gouvernement français.
Dans toute l’Europe, les choix démocratiques sont contestés par un pouvoir bis, celui des marchés financiers, dont Bruxelles est le porte-étendard.
L’architecture institutionnelle européenne a gravé dans le marbre la perte de souveraineté des peuples en matière monétaire et en matière budgétaire. La Commission européenne, « chien de garde de l’austérité », surveille les budgets nationaux via le semestre européen, au point que le philosophe allemand Jürgen Habermas n’a pas hésité à parler d’une « Europe post-démocratique ».
En France, au moment du référendum constitutionnel de 2005, le choix souverain des électeurs a été foulé aux pieds par la droite. Hélas, par la suite, les dirigeants socialistes n’ont pas fait mieux ! Leur abstention lors du Congrès réuni à Versailles en 2008 a permis l’adoption du traité de Lisbonne, qui n’était qu’un succédané du précédent – et l’on sait ce qu’il est advenu de la promesse du candidat François Hollande de renégocier le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance : elle est passée sous les fourches caudines d’Angela Merkel.
Mais si les gouvernements conservateurs et socio-libéraux se sont entendus pour faire perdre aux peuples leur souveraineté, leur bilan est désormais rejeté.
La face obscure de cette contestation, c’est bien évidement la montée des mouvements xénophobes et nationalistes en Europe. Les politiques ultralibérales l’ont largement nourrie, au point de menacer la paix et la cohésion européennes.
Sa face lumineuse, c’est la contestation qui a surgi dans la plupart des pays européens pour réclamer la fin de l’austérité. En Grèce, hier, avec nos amis de Syriza, demain peut-être, en Espagne, avec Podemos, le peuple réclame de reprendre en mains son destin. Il est temps d’écouter sa voix, notamment pour la gauche européenne.
Chers collègues, notre texte avance plusieurs propositions sur lesquelles une majorité de gauche devrait pouvoir se retrouver de manière à éviter un nouveau naufrage.
Oui, il faut convoquer en urgence une conférence européenne afin de restructurer les dettes publiques insoutenables. Lorsque nous affirmons que la dette grecque et d’autres dettes doivent être renégociées, restructurées et en partie effacées, comme cela s’est toujours fait par le passé, nous sommes du côté du réalisme économique. Dois-je rappeler que l’Allemagne a fait trois fois défaut au cours du XXe siècle ?
Oui, nous devons obtenir la transparence des détenteurs de la dette, car la France ne peut demeurer à la merci de fonds souverains.
Oui, il faut une taxation des transactions financières pour juguler la spéculation folle.
Oui, nous avons besoin d’une politique fiscale européenne redistributive et d’une véritable lutte contre l’évasion fiscale.
Oui, nous avons besoin d’une autre politique monétaire, au service du développement social, écologique et économique de l’Europe.
Contre ceux qui veulent faire croire que le capitalisme financier marquerait la fin de l’histoire, les députés du Front de gauche affirment qu’il existe une alternative, qui ne réclame que courage et lucidité. Écoutons enfin le message des peuples et avançons vers un new deal européen, un new deal monétaire, budgétaire et démocratique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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François
Asensi

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