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Déclaration du Gouvernement sur le projet de programme de stabilité 2022-2027, suivi d’un débat

Trois mois après qu’il aurait dû être envoyé à la Commission européenne, vous présentez enfin à l’Assemblée nationale votre projet de programme de stabilité, qui expose les perspectives économiques à moyen terme.

À la lecture des grandes orientations de ce texte, nous comprenons sans difficulté votre volonté de repousser au maximum sa publication, tant il constitue un cocktail de mesures antisociales : paru pendant les campagnes électorales, il aurait pu éclairer les Français sur vos intentions réelles.

En revanche, vous présentez un programme de stabilité qui devrait assez largement convenir à la Commission européenne, tant il regroupe l’ensemble des stéréotypes néolibéraux. En somme, la feuille de route est la suivante : des mesures dites structurelles, comme les réformes des retraites ou de l’assurance chômage, pour faire des économies et faire travailler davantage nos concitoyens, couplées à une bonne politique de l’offre qui permettra, par magie, d’augmenter la croissance et de ramener le déficit sous la barre fatidique des 3 % du PIB.

Malgré vos efforts de dissimulation, ce texte ne contient pas de surprise : le rapport de la commission Arthuis sur l’avenir des finances publiques et celui de la Cour des comptes avaient jeté les bases de ce programme de stabilité. Il ne restait plus qu’à s’entendre sur les chiffres.

Vous proposez donc de réduire drastiquement le rythme de croissance des dépenses publiques : il serait de 0,6 %, soit 1,4 point de moins qu’au cours des vingt dernières années. Contrairement à vos affirmations, vous actez bel et bien l’entrée dans une période d’austérité plus importante encore que celle qui avait suivi la crise de 2008, durant laquelle la croissance moyenne des dépenses en volume avait été de 0,9 %.

Cet effort inédit affectera d’abord l’État, qui verra ses dépenses diminuer de 0,4 %. Si l’on intègre la hausse inévitable des dépenses liées à la charge de la dette, en raison de la remontée des taux d’intérêt et de l’inflation, la cure devrait se révéler particulièrement dure. L’avantage non négligeable du programme de stabilité, pour vous, c’est qu’il ne contient que des mesures globales, de grands agrégats macroéconomiques et budgétaires. Il ne vous oblige pas à entrer dans le détail des mesures. C’est pourtant là que le bât risque de blesser.

Au-delà des grands slogans sur l’efficacité des dépenses publiques, sur la bonne et la mauvaise dépense, vous devrez bientôt nous dire, dans la loi de programmation, où vous allez couper. Dans l’audiovisuel public ? Avec la loi de finances rectificative, vous avez d’ores et déjà préparé le terrain pour faire quelques économies de bouts de chandelle sur les 3,7 milliards du budget actuel. Dans les 53 milliards de compensation attribués à la sécurité sociale, qui va profiter des deux grandes réformes déjà annoncées des retraites et de l’assurance chômage ?

Dans le budget de l’éducation nationale, avec la réforme de la gouvernance des établissements ? Dans le secteur de la recherche, que vous avez profondément abîmé avec la loi de programmation ?

Tout cela reste encore parcellaire. Une chose est sûre, la dotation globale de financement des collectivités territoriales devrait, elle, être touchée. Avec une baisse prévue de 0,5 % de leurs dépenses de fonctionnement, vous allez mettre un peu plus à mal les services publics de proximité, qui garantissent un dernier lien avec certains de nos concitoyens.

La baisse drastique de la dotation globale de fonctionnement des communes (DGF) de 11,2 milliards, opérée entre 2013 et 2017, a profondément fragilisé les collectivités.

La hausse de leurs dépenses de fonctionnement, inévitable avec l’inflation, les met un peu plus sous tension. Pour finir, vous poursuivez la levée progressive de leur autonomie, en amplifiant la logique des contrats de Cahors et en supprimant à partir de 2023 la dernière moitié de la CVAE.

Beaucoup de collectivités sont déjà exsangues. Les préconisations du programme de stabilité se révèlent particulièrement dangereuses ; si elles sont appliquées, la qualité des services publics en pâtira inévitablement.
L’austérité sera prochainement de retour. Pour revenir à la comparaison avec la période post-crise de 2008, force est de constater qu’aucune des leçons de cette période n’a été retenue. Alors que beaucoup ont mis en avant les effets délétères de la consolidation budgétaire qui avait alors eu lieu, vous vous apprêtez à récidiver pour des raisons purement idéologiques. Revenir sous la barre des 3 % de déficit prévus par les traités européens ? Ce seuil, sans aucun fondement économique, a été jugé dépassé par le Président de la République lui-même en décembre 2021.

Diminuer le fameux taux de 59 % des dépenses publiques, qui semble hanter Bruno Le Maire ? Ce ratio général fait pourtant fi des disparités entre les pays européens, qui n’ont pas tous un système public de protection sociale, pourtant moins cher. La vérité est la suivante : la réduction des dépenses publiques n’a pour unique objectif que de réduire la place et les prérogatives de l’État, quitte à vous priver des ressources essentielles. Quand des entreprises françaises comme Total font plus de profits en un semestre qu’en une année habituellement – 18,7 milliards –, la justice fiscale doit passer.

(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES.)

Quand, dans le monde, les patrimoines des milliardaires ont plus augmenté en dix-neuf mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie, là aussi, la justice fiscale impose d’instaurer une participation à l’effort national. (Mêmes mouvements.) Notre conclusion, partagée par des économistes et des exécutifs européens, est la suivante : il y a une incompatibilité fondamentale entre les besoins en investissements publics, immédiats et de grande ampleur, qu’impose la transition écologique, et les règles budgétaires européennes qui vont entraver nos capacités de dépenses publiques.

À ceux qui affirment que l’on peut mener ces deux combats simultanément, nous répondons qu’ils nous condamnent à échouer sur les deux volets. À ceux qui s’inquiètent du niveau d’endettement public en raison du risque de remontée des taux d’intérêt, nous répondons : pensez-vous que les marchés financiers resteront stables lorsque les conséquences du réchauffement climatique se feront de plus en plus pressantes ? (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

À une politique de soutenabilité budgétaire fondée sur des critères comptables doit succéder un principe de soutenabilité économique et environnementale, prenant appui sur une planification rigoureuse des investissements, qui soit à la fois garante de création d’emplois, d’amélioration du pouvoir d’achat des plus modestes, de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre et d’une protection accrue des biens communs et de la biodiversité. (M. Benjamin Lucas applaudit.)

Le développement du ferroviaire impose des investissements de 100 milliards sur quinze ans, comme cela sera le cas en Allemagne. La rénovation des bâtiments, si importante pour la neutralité carbone à l’horizon 2040, impose 10 milliards d’investissements annuels. L’investissement pour le grand âge et l’autonomie impose au moins 15 milliards par an.

Nous sommes convaincus que les dépenses publiques d’investissement doivent être impérativement versées au débat sur la soutenabilité de la dette. Nul n’ignore qu’elles ont un effet multiplicateur sur le PIB.

Le FMI estimait en 2017 que la valeur des multiplicateurs d’investissements se situe entre 1 et 2,8, en fonction des pays : ainsi, 1 euro dépensé en commande publique crée entre 1 et 2,8 euros d’activité économique après trois ans.

Dans cet effort d’investissement nécessaire, État, collectivités et administrations de la sécurité sociale doivent prendre chacun leur part. Pourtant, en coupant toute marge de manœuvre budgétaire – comme vous vous apprêtez à le faire –, vous enterrez toute possibilité de faire face aux grands enjeux de notre époque. Bâtir le monde d’après, dans une perspective écologique, sociale et solidaire, impose de ne pas reproduire les erreurs de 2008 et de nous détourner des potions amères promues dans ce texte. Il est temps d’abandonner le dogme de l’austérité, qui a montré toute sa dangerosité et son inadéquation aux enjeux actuels.

Il faut, bien au contraire, ouvrir la voie à une transformation radicale du système économique.

(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

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Jean-Marc
Tellier

Député de Pas-de-Calais (3ème circonscription)

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