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Déclaration du Gouvernement sur le bilan de la Présidence française de l’UE suivie d’un débat

Tirer un bilan de la présidence française du Conseil de l’Union européenne relève de l’impossible tant l’ambition du candidat-président Emmanuel Macron était démesurée, cela même si la guerre sur notre continent n’était pas advenue. Quelle hypocrisie de la part d’Emmanuel Macron de laisser croire qu’en l’espace de six mois l’Europe deviendrait « pleinement souveraine », qu’elle créerait un nouveau modèle européen de production, de solidarité et de régulation et disposerait d’institutions européennes proches des gens ! La vérité est bien moins impressionnante. En réalité, une présidence de Conseil de l’Union européenne consiste à faire avancer les dossiers des précédentes présidences et d’en proposer quelques autres. On fait peu de choses en un semestre ! D’ailleurs, si l’on ne tient compte que des directives ayant abouti sous la présidence française, le bilan n’est pas aussi brillant que vous venez de l’affirmer, madame la secrétaire d’État.

Parlons de la directive relative aux salaires minimum : dans les faits, elle n’impose pas aux États d’instaurer un salaire minimal mais propose soit, si un salaire minimum existe, d’évaluer si son montant est suffisant pour assurer un niveau de vie décent – très important ! –, soit de créer un salaire minimum reposant sur la moitié du salaire mensuel moyen brut du pays concerné. En France, le salaire mensuel moyen brut est de 3 183 euros. Selon les recommandations de la directive, cela donnerait donc un SMIC à 1 591 euros bruts, soit 50 euros de moins que notre SMIC actuel. Or les députés communistes, comme ceux des différentes composantes de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, considèrent que le SMIC actuel ne permet pas de vivre décemment et proposent de le relever à 1 923 euros bruts, soit un salaire net mensuel de 1 500 euros. Les travailleurs européens méritent donc bien mieux que cette directive !

L’autre échec est celui de la fiscalité des entreprises : depuis l’accord obtenu sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) visant à instaurer un taux d’imposition mondial sur les entreprises de 15 %, rien n’a bougé. La France n’a pas avancé sur ce dossier, pourtant utile dans la lutte contre la fraude fiscale et l’amélioration des finances publiques.

Notons également l’échec des négociations sur la directive relative à la transparence salariale, qui vise à lutter contre les écarts de salaires entre les femmes et les hommes.

Voilà déjà trois sujets qui auraient mérité qu’on y consacre plus d’énergie ! Mais si les sujets sociaux n’ont pas été traités comme il se devait, d’autres, en revanche, ont bien avancé durant la présidence française. Ils concernent non pas les salariés, mais les très grandes entreprises !

Prenons l’accord de libre-échange signé avec la Nouvelle-Zélande. Validé le dernier jour de la présidence française, il libéralise le commerce avec un pays situé à 20 000 kilomètres de nos frontières. Il affaiblira notre secteur agricole en permettant aux agriculteurs néo-zélandais d’exporter vers l’Union européenne des quotas très importants de produits, sans qu’aucune clause miroir ait été prévue – contrairement à ce que vous affirmez, madame la secrétaire d’État –, c’est-à-dire sans obliger les produits importés à respecter les mêmes normes que ceux que nous produisons au sein de l’Union européenne. Emmanuel Macron avait pourtant promis d’en intégrer dans les futurs accords. C’est raté !

Durant la même période, l’accord modernisé de libre-échange avec le Mexique a également très bien avancé ! Enfin, le fameux Traité sur la charte de l’énergie (TCE) n’a pas non plus été remis en cause, malgré les alertes très claires émanant de nombreuses organisations de la société civile sur la menace qu’il fait peser sur la capacité des États à mener leurs propres politiques de transition énergétique.

L’Union européenne défendue par Emmanuel Macron a également protégé tous les profiteurs de crise qui pullulent depuis quelques mois, à commencer par le secteur pharmaceutique. Au lancement de la présidence française de l’Union européenne, il était question de faire du vaccin contre la covid-19 un bien public mondial, afin de le distribuer massivement aux États qui ne disposent pas des finances nécessaires pour l’acheter. Alors que dans les pays pauvres moins d’un habitant sur cinq a été vacciné ne serait-ce qu’une seule fois, rien n’a été fait.

L’Union européenne et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) se sont satisfaits d’un accord sur la levée temporaire des brevets, qui est totalement creux et ne résoudra en aucune manière les vrais problèmes de fond que seule la levée totale des brevets sur les vaccins aurait permis de régler. (M. Hadrien Clouet applaudit.) À l’OMC, l’Union européenne a même freiné les négociations allant dans le sens de la levée totale des brevets sur les vaccins ! Vous protégez les profiteurs de la crise liée à la covid-19. Mais qui paiera la facture ? Les peuples, bien sûr ! Car l’Union européenne prépare le retour à l’austérité.
La Première ministre Élisabeth Borne l’a rappelé lors de son discours de politique générale : la France doit impérativement revenir sous la barre des 3 % de déficit d’ici à 2027. Pourtant, il a été prouvé que, si de telles décisions font souffrir les peuples et les économies, elles ne résolvent jamais les problèmes ! Alors qu’il faudrait créer des dispositifs de réorientation des crédits et de maîtrise publique des banques, vous continuez d’utiliser des outils contre-productifs ! Pour faire advenir une Europe qui protège, nous devrions proposer de faire rouler la dette créée par la Banque centrale européenne (BCE), c’est-à-dire ne pas la rembourser, afin de libérer des financements massifs fléchés sur les vrais besoins des peuples d’Europe !
La crise liée à la covid-19 a démontré que nous pouvions décider politiquement de la création monétaire pour surmonter une crise majeure.

La crise écologique qui nous menace est sans commune mesure avec celle de la pandémie. Il faudra donc réfléchir sur un même mode de pensée : le « quoi qu’il en coûte ». Pour que l’Europe soit utile, nous devons passer d’une « Europe banque » à une « Europe assurance » qui couvrirait les peuples contre les crises à venir et déploierait la nécessaire transition énergétique. Selon la Cour des comptes, près de 1 000 milliards d’argent public et privé seront nécessaires annuellement pour parvenir à la neutralité carbone en 2050. De tels investissements seront impossibles à réaliser si l’on respecte ces carcans budgétaires. Les députés communistes avaient d’ailleurs proposé en décembre dernier une proposition de résolution relative au financement de la transition écologique, en s’appuyant sur ces réflexions.

Mais votre majorité, absolue à l’époque, l’a méprisée et rejetée ! Vous en êtes donc réduits à proposer des sommes ridicules aux citoyens européens, comme le fonds social pour le climat, censé servir à compenser les effets à venir de la transition écologique sur le pouvoir d’achat des populations. Ce fonds, qui ne sera actif qu’à partir de 2027, ne sera doté que de 59 milliards d’euros pour l’ensemble de l’Union européenne et pour une durée de sept ans, soit environ 19 euros par an et par habitant de la zone entre 2027 et 2033. Pensez-vous sincèrement que cela sera efficace ?

Compte tenu de ce que je viens d’énoncer, votre slogan « Relance, puissance, appartenance » est déjà moins grandiloquent. Mais poursuivons l’argumentaire. Parlons de la relance, pour commencer. Nous n’avons rien constaté d’autre que la chute du pouvoir d’achat, l’inflation, les pénuries et le creusement des inégalités. Rien n’a été relancé en Europe, si ce n’est l’idée d’un rideau de fer !

La puissance, ensuite : avec la guerre en Ukraine et le séisme géopolitique qu’elle a induit, l’Europe se réarme massivement et s’enferme dans une vision atlantiste du monde. L’OTAN restera ainsi le protecteur de l’Europe – tant pis pour sa souveraineté et son autonomie ! Mais pour nous, c’est la notion même de puissance qui doit être repensée – je vous ai interpellée à ce sujet, madame la secrétaire d’État. Car être puissant, c’est être écouté et respecté. Ce n’est pas la force qui doit triompher, mais la diplomatie. Les mois de guerre auraient dû être mis à profit afin de renforcer la diplomatie européenne et de préparer la paix. N’ayant pas obtenu de réponse de votre part en commission, je réitère ma question : des réflexions diplomatiques européennes sont-elles en cours en vue de préparer un plan de paix durable ?

L’appartenance, enfin : l’agression illégale et insupportable de l’Ukraine par la Russie a relancé le moteur de l’intégration européenne sur la seule peur de la Russie. S’il est légitime que ce pays inquiète les États qui lui sont frontaliers, l’Europe ne peut se construire sur la peur : il convient de le faire sur un projet politique plus fort, plus grand, incluant la promesse de liberté, de paix, d’amitié et de prospérité.

D’ailleurs, si l’on observe la manière dont l’Union européenne traite les migrants, on constate qu’il existe un vrai problème de valeurs. Pourquoi n’avez-vous pas proposé que tous les réfugiés contraints de fuir leur pays bénéficient du statut de protection temporaire ? (MM. André Chassaigne et Rodrigo Arenas applaudissent.) Ce statut, qui existe depuis 2001 et comprend l’accès à l’emploi, au logement, à la santé et à l’éducation, vient seulement d’être légitimement activé en faveur des réfugiés ukrainiens.

Vous l’aurez compris, les députés du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES ne partagent pas les mêmes constats que vous. Tandis que vous préparez la guerre et l’austérité, nous proposons de gagner la paix et de sortir du dogmatisme libéral de l’Europe pour construire une Europe des peuples, une Europe de la vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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